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De manière paradoxale, son attirance pour les braquages spectaculaires et les casses de haut vol lui vint de son éducation religieuse et des bons principes que lui inculquèrent ses parents.

À l’âge de onze ans, il fut contraint de servir la messe à l’église de sa paroisse, tâche dont il s’acquittait en compagnie de son ami Alex et d’autres gamins de l’école. Pas moins de six offices étaient célébrés le dimanche, quatre dans la matinée et deux en début de soirée.

La grand-messe de 11 heures était la plus solennelle et la plus fréquentée. Elle s’étirait sur près de deux heures, jalonnées par les chants liturgiques scandés par l’organiste et le sermon enflammé du prêtre.

Durant l’offertoire, les enfants de chœur se rendaient en file indienne dans la sacristie pour y prendre les sébiles et retourner faire la quête.

Franck aimait ce moment.

Ce rituel lui permettait d’observer les gens, d’étudier leur comportement et leur rapport à l’argent. Les donateurs les plus généreux se plaçaient au premier rang ou près de l’allée centrale. Quand il arrivait à leur niveau, ils exhibaient le billet qu’ils avaient préparé et le lâchaient dans la sébile d’un air détaché.

D’autres, tapis dans les recoins, faisaient mine d’ignorer sa présence, les yeux baissés sur leur missel. Les plus regardants lançaient une pièce en espérant que le tintement masquerait la maigreur de leur don. Il n’était pas rare de trouver de la monnaie étrangère, des rondelles de boulonnerie ou des pièces trouées de vingt-cinq centimes.

L’incident qui allait décider de son avenir se produisit lors de la grand-messe du dimanche de Pâques.

Ce jour-là, l’église était comble. L’encens embaumait l’air, l’organiste était déchaîné et le sermon avait été plus virulent que jamais. Bon nombre de personnes stationnaient dans les allées latérales. Les retardataires s’étaient regroupés à proximité des portes d’entrée et devisaient à mi-voix.

Franck était d’humeur maussade.

L’enfant de chœur en charge de la messe de 13 heures était malade et le curé l’avait désigné pour le remplacer, ce qui l’obligeait à servir deux messes d’affilée.

Lorsque vint la collecte, il retrouva Alex et les autres acolytes dans la sacristie où ils entamèrent une courte négociation pour se répartir les secteurs.

Franck invoqua son recrutement forcé pour l’office suivant et revendiqua la partie antérieure du chœur.

L’un des acolytes objecta.

— Ce matin, je me suis tapé la messe de 8 heures. En plus, je déteste les grands cons qui traînent dans le fond, ils se fichent de moi et me pincent les fesses quand je passe.

Franck connaissait le petit groupe. Il avait déjà eu à subir leurs sarcasmes et leurs gestes déplacés. Ils venaient dans le seul but de s’amuser et faire du charme aux filles.

Alex, l’ami de Franck, l’aîné de la bande, intervint.

— Dans ce cas, tu feras l’allée centrale, Philippe et Franck prendront le chœur et je m’occuperai du fond, on verra s’ils oseront me pincer les fesses.

Personne ne trouva à redire et les quatre gamins reprirent la direction de l’église, équipés de leur sébile.

L’objet était en bois, pourvu d’une poignée et muni d’un couvercle que l’on refermait à la fin de la tournée. De loin, il faisait vaguement penser à un gaufrier.

Franck se dirigea vers la première rangée, occupée par les notables, les familles aisées et les veuves fortunées.

À Pâques, la collecte se révélait fructueuse, comme si le principal intéressé, fraîchement ressuscité, veillait à la bonne marche de l’opération.

Après quelques billets de vingt et de cinquante francs, un homme chauve de haute stature sortit un billet de cinq mille francs, ce qui ne manqua pas de générer quelques chuchotements feutrés.

Les yeux de Franck s’agrandirent.

Il savait qu’un tel billet existait, mais il n’en avait jamais vu ailleurs que dans les brochures publicitaires ou à la télévision. Autour du buste d’André Vésale, le chiffre cinq et sa suite de zéros étaient imprimés à trois endroits sur la coupure.

Franck fixa le billet, hypnotisé par la somme d’argent qu’il représentait.

5 000

5 000

5 000

Les zéros se mirent à danser au fond du gaufrier tandis que Vésale le défiait de ses yeux globuleux. Les lettres qui figuraient au bas du billet lui apportèrent la certitude qu’il ne rêvait pas.

CINQ MILLE FRANCS
PAYABLES À VUE

Il poursuivit tant bien que mal la quête, les mains tremblantes, les yeux rivés sur le billet qui disparaissait peu à peu sous les petites coupures et les pièces de monnaie.

Entre deux rangées, il secouait le gaufrier pour dégager le billet. Les zéros se remettaient aussitôt à tourbillonner.

Sa mission terminée, il rabattit le couvercle, le cerveau en ébullition. Un tel montant lui permettrait de s’offrir les extravagances dont les enfants de riches parlaient en se moquant de lui. Le ski en hiver, la plage en été.

Lorsqu’ils eurent bouclé leur circuit, les acolytes pénétrèrent de concert dans le local et posèrent les gaufriers sur la table.

De retour dans le chœur, Franck était dans un état second, en proie à une tentation grandissante.

L’Ite, missa est à peine prononcé, il se rua dans la sacristie, le cœur battant. Franck savait que le curé vidait le contenu des sébiles dès son retour dans la sacristie. Il plaçait l’argent dans une caissette métallique qu’il rangeait ensuite dans un coffre-fort mural.

Il réfléchit à toute vitesse.

Il fallait trouver un moyen d’éloigner l’ecclésiastique le temps de s’emparer du précieux billet sans attirer l’attention des autres enfants de chœur.

Il prit Alex à part et lui demanda de faire diversion.

Son ami marqua son accord, mais voulut en savoir plus.

— Qu’est-ce que tu mijotes ?

— Tu me fais confiance ?

— Bien sûr.

— Alors, fais ce que je te dis, je t’expliquerai après.

— D’accord.

Alex reprit la direction des vestiaires.

De son côté, Franck prétexta un besoin pressant. Il prit la direction des toilettes, revint sur ses pas et se dissimula derrière la porte.

Déchiré entre le bien et le mal, il ferma les yeux et formula une brève prière, mais le Ciel ne vint pas à son secours.

Par l’interstice, il guetta le curé, conscient qu’il ne lui restait que quelques secondes avant que le billet ne disparaisse à jamais dans le coffre-fort.

Impuissant, l’œil collé à l’ouverture, il continua à observer l’homme. Ce dernier souleva le couvercle des gaufriers, étala l’argent sur la table et sépara les pièces des billets.

Les yeux exorbités, Franck le vit prélever les cinq mille francs dans le tas de billets, soulever un pan de sa soutane et les glisser dans sa poche.

Franck retint de cet événement que les plus fervents défenseurs de certaines valeurs étaient souvent les premiers à les bafouer. Il garda également en mémoire que la rapidité était un facteur déterminant.

Enfin, qu’une préparation minutieuse offrait le meilleur gage de succès.

6

Attirer mon attention

Une affaire n’est pas l’autre.

Je ne cesse de le dire aux jeunes avocats qui nous rejoignent. Certaines se ressemblent a priori, mais aucune n’est identique. Chacune a ses particularités, son lot de bizarreries, sa part d’imprévu.