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Elle parla de nouveau d’un calorifère ; mais son mari l’écouta comme si elle eût demandé la lune. L’installation d’un appareil semblable à Parville lui paraissait aussi impossible que la découverte de la pierre philosophale.

Ayant été à Rouen, un jour, pour affaire, il rapporta à sa femme une mignonne chaufferette de cuivre qu’il appelait en riant un « calorifère portatif » ; et il jugeait que cela suffirait désormais à l’empêcher d’avoir jamais froid.

Vers la fin de décembre, elle comprit qu’elle ne pourrait vivre ainsi toujours, et elle demanda timidement, un soir, en dînant :

« Dis donc, mon ami, est-ce que nous n’irons point passer une semaine ou deux à Paris avant le printemps ? »

Il fut stupéfait.

« À Paris ? à Paris ? Mais pourquoi faire ! Ah ! mais non, par exemple ! On est trop bien ici, chez soi. Quelles drôles d’idées tu as, par moments ! »

Elle balbutia :

« Cela nous distrairait un peu. »

Il ne comprenait pas.

« Qu’est-ce qu’il te faut pour te distraire ? Des théâtres, des soirées, des dîners en ville ? Tu savais pourtant bien en venant ici que tu ne devais pas t’attendre à des distractions de cette nature ! »

Elle vit un reproche dans ces paroles et dans le ton dont elles étaient dites. Elle se tut. Elle était timide et douce, sans révoltes et sans volonté.

En janvier, les froids revinrent avec violence. Puis la neige couvrit la terre.

Un soir, comme elle regardait le grand nuage tournoyant des corbeaux se déployer autour des arbres, elle se mit, malgré elle, à pleurer.

Son mari entrait. Il demanda tout surpris :

« Qu’est-ce que tu as donc ? »

Il était heureux, lui, tout à fait heureux, n’ayant jamais rêvé une autre vie, d’autres plaisirs. Il était né dans ce triste pays, il y avait grandi. Il s’y trouvait bien, chez lui, à son aise de corps et d’esprit.

Il ne comprenait pas qu’on pût désirer des événements, avoir soif de joies changeantes ; il ne comprenait point qu’il ne semble pas naturel à certains êtres de demeurer aux mêmes lieux pendant les quatre saisons ; il semblait ne pas savoir que le printemps, que l’été, que l’automne, que l’hiver ont, pour des multitudes de personnes, des plaisirs nouveaux en des contrées nouvelles.

Elle ne pouvait rien répondre et s’essuyait vivement les yeux. Elle balbutia enfin, éperdue :

« J’ai… Je… Je suis un peu triste… Je m’ennuie un peu… »

Mais une terreur la saisit d’avoir dit cela, et elle ajouta bien vite :

« Et puis… J’ai… J’ai un peu froid. »

À cette parole, il s’irrita :

« Ah ! oui… toujours ton idée de calorifère. Mais voyons, sacrebleu ! tu n’as seulement pas eu un rhume depuis que tu es ici. »

La nuit vint. Elle monta dans sa chambre, car elle avait exigé une chambre séparée. Elle se coucha. Même en son lit, elle avait froid. Elle pensait :

« Ce sera ainsi toujours, toujours, jusqu’à la mort. »

Et elle songeait à son mari. Comment avait-il pu lui dire cela :

« Tu n’as seulement pas eu un rhume depuis que tu es ici. »

Il fallait donc qu’elle fût malade, qu’elle toussât pour qu’il comprît qu’elle souffrait !

Et une indignation la saisit, une indignation exaspérée de faible, de timide.

Il fallait quelle toussât. Alors il aurait pitié d’elle, sans doute. Eh bien ! elle tousserait ; il l’entendrait tousser ; il faudrait appeler le médecin ; il verrait cela, son mari, il verrait !

Elle s’était levée nu-jambes, nu-pieds, et une idée enfantine la fit sourire :

« Je veux un calorifère, et je l’aurai. Je tousserai tant, qu’il faudra bien qu’il se décide à en installer un. »

Et elle s’assit presque nue sur une chaise. Elle attendit une heure, deux heures. Elle grelottait, mais elle ne s’enrhumait pas. Alors elle se décida à employer les grands moyens.

Elle sortit de sa chambre sans bruit, descendit l’escalier, ouvrit la porte du jardin.

La terre, couverte de neige, semblait morte. Elle avança brusquement son pied nu et l’enfonça dans cette mousse légère et glacée. Une sensation de froid, douloureuse comme une blessure, lui monta jusqu’au cœur ; cependant elle allongea l’autre jambe et se mit à descendre les marches lentement.

Puis elle s’avança à travers le gazon, se disant :

« J’irai jusqu’aux sapins. »

Elle allait à petits pas, en haletant, suffoquée chaque fois qu’elle faisait pénétrer son pied nu dans la neige.

Elle toucha de la main le premier sapin, comme pour bien se convaincre elle-même qu’elle avait accompli jusqu’au bout son projet ; puis elle revint. Elle crut deux ou trois fois qu’elle allait tomber, tant elle se sentait engourdie et défaillante. Avant de rentrer, toutefois, elle s’assit dans cette écume gelée, et même, elle en ramassa pour se frotter la poitrine.

Puis elle rentra et se coucha. Il lui sembla, au bout d’une heure, qu’elle avait une fourmilière dans la gorge. D’autres fourmis lui couraient le long des membres. Elle dormit cependant.

Le lendemain elle toussait, et elle ne put se lever.

Elle eut une fluxion de poitrine. Elle délira, et dans son délire elle demandait un calorifère. Le médecin exigea qu’on en installât un. Henry céda, mais avec une répugnance irritée.

Elle ne put guérir. Les poumons atteints profondément donnaient des inquiétudes pour sa vie.

« Si elle reste ici, elle n’ira pas jusqu’aux froids », dit le médecin.

On l’envoya dans le Midi.

Elle vint à Cannes, connut le soleil, aima la mer, respira l’air des orangers en fleur.

Puis elle retourna dans le Nord au printemps. Mais elle vivait maintenant avec la peur de guérir, avec la peur des longs hivers de Normandie ; et sitôt qu’elle allait mieux, elle ouvrait, la nuit, sa fenêtre, en songeant aux doux rivages de la Méditerranée.

À présent, elle va mourir, elle le sait. Elle est heureuse.

Elle déploie un journal qu’elle n’avait point ouvert, et lit ce titre : « La première neige à Paris. »

Alors elle frissonne, et puis sourit. Elle regarde là-bas l’Esterel qui devient rose sous le soleil couchant ; elle regarde le vaste ciel bleu, si bleu, la vaste mer bleue, si bleue, et se lève.

Et puis elle rentre, à pas lents, s’arrêtant seulement pour tousser, car elle est demeurée trop tard dehors, et elle a eu froid, un peu froid.

Elle trouve une lettre de son mari. Elle l’ouvre en souriant toujours, et elle lit :

« Ma chère amie,

« J’espère que tu vas bien et que tu ne regrettes pas trop notre beau pays. Nous avons depuis quelques jours une bonne gelée qui annonce la neige. Alors, j’adore ce temps-là et tu comprends que je me garde bien d’allumer ton maudit calorifère… »

Elle cesse de lire, toute heureuse à cette idée qu’elle l’a eu, son calorifère. Sa main droite, qui tient la lettre, retombe lentement sur ses genoux, tandis qu’elle porte à sa bouche sa main gauche comme pour calmer la toux opiniâtre qui lui déchire la poitrine.