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11 décembre 1883

La farce

Mémoires D’un Farceur

Nous vivons dans un siècle où les farceurs ont des allures de croque-morts et se nomment : politiciens. On ne fait plus chez nous la vraie farce, la bonne farce, la farce joyeuse, saine et simple de nos pères. Et, pourtant, quoi de plus amusant et de plus drôle que la farce ? Quoi de plus amusant que de mystifier des âmes crédules, que de bafouer des niais, de duper les plus malins, de faire tomber les plus retors en des pièges inoffensifs et comiques ? Quoi de plus délicieux que de se moquer des gens avec talent, de les forcer à rire eux-mêmes de leur naïveté, ou bien, quand ils se fâchent, de se venger avec une nouvelle farce ?

Oh ! J’en ai fait, j’en ai fait des farces, dans mon existence. Et on m’en a fait aussi, morbleu ! et de bien bonnes. Oui, j’en ai fait, de désopilantes et de terribles. Une de mes victimes est morte des suites. Ce ne fut une perte pour personne. Je dirai cela un jour ; mais j’aurai grand mal à le faire avec retenue, car ma farce n’était pas convenable, mais pas du tout, pas du tout. Elle eut lieu dans un petit village des environs de Paris. Tous les témoins pleurent encore de rire à ce souvenir, bien que le mystifié en soit mort. Paix à son âme !

J’en veux aujourd’hui raconter deux, la dernière que j’ai subie et la première que j’aie infligée.

Commençons par la dernière, car je la trouve moins amusante, vu que j’en fus la victime.

J’allais chasser, à l’automne, chez des amis, en un château de Picardie. Mes amis étaient des farceurs, bien entendu. Je ne veux pas connaître d’autres gens.

Quand j’arrivai, on me fit une réception princière qui me mit en défiance. On tira des coups de fusils ; on m’embrassa, on me cajola comme si on attendait de moi de grands plaisirs ; je me dis : « Attention, vieux furet, on prépare quelque chose. »

Pendant le dîner la gaieté fut excessive, trop grande. Je pensais : « Voilà des gens qui s’amusent double, et sans raison apparente. Il faut qu’ils aient dans l’esprit l’attente de quelque bon tour. C’est à moi qu’on le destine assurément. Attention. »

Pendant toute la soirée on rit avec exagération. Je sentais dans l’air une farce, comme le chien sent le gibier. Mais quoi ? J’étais en éveil, en inquiétude. Je ne laissais passer ni un mot, ni une intention, ni un geste. Tout me semblait suspect, jusqu’à la figure des domestiques.

L’heure de se coucher sonna, et voilà qu’on se mit à me reconduire à ma chambre en procession. Pourquoi ? On me cria bonsoir. J’entrai, je fermai ma porte, et je demeurai debout, sans faire un pas, ma bougie à la main.

J’entendais rire et chuchoter dans le corridor. On m’épiait sans doute. Et j’inspectais de l’œil les murs, les meubles, le plafond, les tentures, le parquet. Je n’aperçus rien de suspect. J’entendis marcher derrière ma porte. On venait assurément regarder à la serrure.

Une idée me vint : « Ma lumière va peut-être s’éteindre tout à coup et me laisser dans l’obscurité. » Alors j’allumai toutes les bougies de la cheminée. Puis je regardai encore autour de moi sans rien découvrir. J’avançai à petits pas faisant le tour de l’appartement. — Rien. — J’inspectai tous les objets l’un après l’autre. — Rien. — Je m’approchai de la fenêtre. Les auvents, de gros auvents en bois plein, étaient demeurés ouverts. Je les fermai avec soin, puis je tirai les rideaux, d’énormes rideaux de velours, et je plaçai une chaise devant, afin de n’avoir rien à craindre du dehors.

Alors je m’assis avec précaution. Le fauteuil était solide. Je n’osais pas me coucher. Cependant le temps marchait. Et je finis par reconnaître que j’étais ridicule. Si on m’espionnait, comme je le supposais, on devait, en attendant le succès de la mystification préparée, rire énormément de ma terreur.

Je résolus donc de me coucher. Mais le lit m’était particulièrement suspect. Je tirai sur les rideaux. Ils semblaient tenir. Là était le danger pourtant. J’allais peut-être recevoir une douche glacée du ciel-de-lit, ou bien, à peine étendu, m’enfoncer sous terre avec mon sommier. Je cherchais en ma mémoire tous les souvenirs de farces accomplies. Et je ne voulais pas être pris. Ah ! mais non ! Ah ! mais non !

Alors je m’avisai soudain d’une précaution que je jugeai souveraine. Je saisis délicatement le bord du matelas, et je le tirai vers moi avec douceur. Il vint, suivi du drap et des couvertures. Je traînai tous ces objets au beau milieu de la chambre, en face de la porte d’entrée. Je refis là mon lit, le mieux que je pus, loin de la couche suspecte et de l’alcôve inquiétante. Puis, j’éteignis toutes les lumières, et je revins à tâtons me glisser dans mes draps.

Je demeurai au moins encore une heure éveillé tressaillant au moindre bruit. Tout semblait calme dans le château. Je m’endormis.

J’ai dû dormir longtemps, et d’un profond sommeil ; mais soudain je fus réveillé en sursaut par la chute d’un corps pesant abattu sur le mien, et, en même temps, je reçus sur la figure, sur le cou, sur la poitrine un liquide brûlant qui me fit pousser un hurlement de douleur. Et un bruit épouvantable comme si un buffet chargé de vaisselle se fût écroulé m’entra dans les oreilles.

J’étouffais sous la masse tombée sur moi, et qui ne remuait plus. Je tendis les mains, cherchant à reconnaître la nature de cet objet. Je rencontrai une figure, un nez, des favoris. Alors, de toute ma force, je lançai un coup de poing dans ce visage. Mais je reçus immédiatement une grêle de gifles qui me firent sortir, d’un bond, de mes draps trempés, et me sauver en chemise, dans le corridor, dont j’apercevais la porte ouverte. O stupeur ! il faisait grand jour. On accourut au bruit et on trouva, étendu sur mon lit, le valet de chambre éperdu qui, m’apportant le thé du matin, avait rencontré sur sa route ma couche improvisée, et m’était tombé sur le ventre en me versant, bien malgré lui, mon déjeuner sur la figure.

Les précautions prises de bien fermer les auvents et de me coucher au milieu de ma chambre m’avaient seules fait la farce redoutée.

Ah ! on a ri, ce jour-là !

L’autre farce que je veux dire date de ma première jeunesse. J’avais quinze ans, et je venais passer chaque vacance chez mes parents, toujours dans un château, toujours en Picardie.

Nous avions souvent en visite une vieille dame d’Amiens, insupportable, prêcheuse, hargneuse, grondeuse, mauvaise et vindicative. Elle m’avait pris en haine, je ne sais pourquoi, et elle ne cessait de rapporter contre moi, tournant en mal mes moindres paroles et mes moindres actions. Oh ! la vieille chipie !

Elle s’appelait Mme Dufour, portait une perruque du plus beau noir, bien qu’elle fût âgée d’au moins soixante ans, et posait là-dessus des petits bonnets ridicules à rubans roses. On la respectait parce qu’elle était riche. Moi, je la détestais du fond du cœur et je résolus de me venger de ses mauvais procédés.

Je venais de terminer ma classe de seconde et j’avais été frappé particulièrement, dans le cours de chimie, par les propriétés d’un corps qui s’appelle le phosphure de calcium, et qui, jeté dans l’eau, s’enflamme, détone et dégage des couronnes de vapeur blanche d’une odeur infecte. J’avais chipé, pour m’amuser pendant les vacances, quelques poignées de cette matière assez semblable à l’œil à ce qu’on nomme communément du cristau.