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Je pensai donc qu’il y avait dans la maison une influence fiévreuse due au voisinage du fleuve et j’allais m’en aller pour deux ou trois mois, bien que nous fussions en pleine saison de chasse, quand un petit fait très bizarre, observé par hasard, amena pour moi une telle suite de découvertes invraisemblables, fantastiques, effrayantes, que je restai.

Ayant soif un soir, je bus un demi-verre d’eau et je remarquai que ma carafe, posée sur la commode en face de mon lit, était pleine jusqu’au bouchon de cristal.

J’eus, pendant la nuit, un de ces réveils affreux dont je viens de vous parler. J’allumai ma bougie, en proie à une épouvantable angoisse, et, comme je voulus boire de nouveau, je m’aperçus avec stupeur que ma carafe était vide. Je n’en pouvais croire mes yeux. Ou bien on était entré dans ma chambre, ou bien j’étais somnambule.

Le soir suivant, je voulus faire la même épreuve. Je fermai donc ma porte à clef pour être certain que personne ne pourrait pénétrer chez moi. Je m’endormis et je me réveillai comme chaque nuit. On avait bu toute l’eau que j’avais vue deux heures plus tôt.

Qui avait bu cette eau ? Moi, sans doute, et pourtant je me croyais sûr, absolument sûr, de n’avoir pas fait un mouvement dans mon sommeil profond et douloureux.

Alors j’eus recours à des ruses pour me convaincre que je n’accomplissais point ces actes inconscients. Je plaçai un soir, à côté de la carafe, une bouteille de vieux bordeaux, une tasse de lait dont j’ai horreur, et des gâteaux au chocolat que j’adore.

Le vin et les gâteaux demeurèrent intacts. Le lait et l’eau disparurent. Alors, chaque jour, je changeai les boissons et les nourritures. Jamais on ne toucha aux choses solides, compactes, et on ne but, en fait de liquide, que du laitage frais et de l’eau surtout.

Mais ce doute poignant restait dans mon âme. N’était-ce pas moi qui le levais sans en avoir conscience, et qui buvais même les choses détestées, car mes sens engourdis par le sommeil somnambulique pouvaient être modifiés, avoir perdu leurs répugnances ordinaires et acquis des goûts différents.

Je me servis alors d’une ruse nouvelle contre moi-même. J’enveloppai tous les objets auxquels il fallait infailliblement toucher avec des bandelettes de mousseline blanche et je les recouvris encore avec une serviette de batiste.

Puis, au moment de me mettre au lit, je me barbouillai les mains, les lèvres et les moustaches avec de la mine de plomb.

A mon réveil, tous les objets étaient demeurés immaculés bien qu’on y eût touché, car la serviette n’était point posée comme je l’avais mise ; et, de plus, on avait bu de l’eau et du lait. Or ma porte fermée avec une clef de sûreté et mes volets cadenassés par prudence n’avaient pu laisser pénétrer personne.

Alors, je me posai cette redoutable question : Qui donc était là, toutes les nuits, près de moi ?

Je sens, Messieurs, que je vous raconte cela trop vite. Vous souriez, votre opinion est déjà faite : « C’est un fou. » J’aurais dû vous décrire longuement cette émotion d’un homme qui, enfermé chez lui, l’esprit sain, regarde, à travers le verre d’une carafe, un peu d’eau disparue pendant qu’il a dormi. J’aurais dû vous faire comprendre cette torture renouvelée chaque soir et chaque matin, et cet invincible sommeil, et ces réveils plus épouvantables encore.

Mais je continue.

Tout à coup, le miracle cessa. On ne touchait plus à rien dans ma chambre. C’était fini. J’allais mieux, d’ailleurs. La gaieté me revenait, quand j’appris qu’un de mes voisins, M. Legite, se trouvait exactement dans l’état où j’avais été moi-même. Je crus de nouveau à une influence fiévreuse dans le pays. Mon cocher m’avait quitté depuis un mois, fort malade.

L’hiver était passé, le printemps commençait. Or, un matin, comme je me promenais près de mon parterre de rosiers, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d’une des plus belles roses se casser comme si une main invisible l’eût cueillie ; puis la fleur suivit la courbe qu’aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et resta suspendue dans l’air transparent, toute seule, immobile, effrayante, à trois pas de mes yeux.

Saisi d’une épouvante folle, je me jetai sur elle pour la saisir. Je ne trouvai rien. Elle avait disparu. Alors, je fus pris d’une colère furieuse contre moi-même. Il n’est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d’avoir de pareilles hallucinations !

Mais était-ce bien une hallucination ? Je cherchai la tige. Je la retrouvai immédiatement sur l’arbuste, fraîchement cassée, entre deux autres roses demeurées sur la branche ; car elles étaient trois que j’avais vues parfaitement.

Alors je rentrai chez moi, l’âme bouleversée. Messieurs, écoutez-moi, je suis calme ; je ne croyais pas au surnaturel, je n’y crois pas même aujourd’hui ; mais, à partir de ce moment-là, je fus certain, certain comme du jour et de la nuit, qu’il existait près de moi un être invisible qui m’avait hanté, puis m’avait quitté, et qui revenait.

Un peu plus tard j’en eus la preuve.

Entre mes domestiques d’abord éclataient tous les jours des querelles furieuses pour mille causes futiles en apparence, mais pleines de sens pour moi désormais.

Un verre, un beau verre de Venise se brisa se brisa tout seul, sur le dressoir de ma salle à manger, en plein jour.

Le valet de chambre accusa la cuisinière, qui accusa la lingère, qui accusa je ne sais qui.

Des portes fermées le soir étaient ouvertes le matin. On volait du lait, chaque nuit dans l’office. – Ah !

Quel était-il ? De quelle nature ? Une curiosité énervée, mêlée de colère et d’épouvante, me tenait jour et nuit dans un état d’extrême agitation.

Mais la maison redevint calme encore une fois ; et je croyais de nouveau à des rêves quand se passa la chose suivante :

C’était le 20 juillet, à neuf heures du soir. Il faisait fort chaud ; j’avais laissé ma fenêtre toute grande, ma lampe allumée sur ma table, éclairant un volume de Musset ouvert à la Nuit de Mai ; et je m’étais étendu dans un grand fauteuil où je m’endormis.

Or, ayant dormi environ quarante minutes, je rouvris les yeux, sans faire un mouvement, réveillé par je ne sais quelle émotion confuse et bizarre. Je ne vis rien d’abord, puis tout à coup il me sembla qu’une page du livre venait de tourner toute seule. Aucun souffle d’air n’était entré par la fenêtre. Je fus surpris ; et j’attendis. Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis, Messieurs, de mes yeux, une autre page se soulever et sa rabattre sur la précédente comme si un doigt l’eût feuilletée. Mon fauteuil semblait vide, mais je compris qu’il était là, lui ! Je traversai ma chambre d’un bond pour le prendre, pour le toucher, pour la saisir, si cela se pouvait... Mais mon siège, avant que je l’eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant moi ; ma lampe aussi tomba et s’éteignit, le verre brisé ; et ma fenêtre brusquement poussée comme si un malfaiteur l’eût saisie en se sauvant alla frapper sur son arrêt... Ah !

Je me jetai sur la sonnette et j’appelai. Quand mon valet de chambre parut, je lui dis :

« J’ai tout renversé et tout brisé. Donnez-moi de la lumière. »