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Un autre nous jette le même mot.

Et soudain une ville considérable, d’après l’étendue de son gaz, se montre juste devant nous. C’est Lille, peut-être. Comme nous approchons d’elle, apparaît sous nous, tout à coup, une si surprenante lave de feu, que je me crois emporté sur un pays fabuleux où on fabrique des pierres précieuses pour les géants.

C’est une briqueterie, paraît-il. En voici d’autres, deux, trois. Les matières en fusion bouillonnent, scintillent, jettent des éclats bleus, rouges, jaunes, verts, des reflets de diamants monstrueux, de rubis, d’émeraudes, de turquoises, de saphirs, de topazes. Et près de là les grandes forges soufflent leur haleine ronflante, pareille à des mugissements de lion apocalyptique ; les hautes cheminées jettent au vent leurs panaches de flammes, et l’on entend des bruits de métal qui roule, de métal qui sonne, de marteaux énormes qui retombent.

« Où sommes-nous ? »

Une voix, voix de farceur ou d’affolé, nous répond :

« Dans un ballon.

— Où sommes-nous ?

— Lille. »

Nous ne nous étions point trompés. Déjà on ne voit plus la ville et voici Roubaix sur la droite, puis des champs bien cultivés, réguliers, de tons différents selon les cultures et qui semblent tous jaunes, gris ou bruns dans la nuit. Mais des nuages s’amassent derrière nous, couvrent la lune, tandis qu’à l’Est le ciel s’éclaircit, devient d’un bleu clair avec des reflets rouges. C’est l’aube. Elle grandit vite, nous montrant maintenant tous les petits détails de la terre, les trains, les ruisseaux, les vaches, les chèvres. Et tout cela passe sous nous avec une prodigieuse vitesse ; on n’a pas le temps de regarder, à peine le temps de voir que d’autres prés, d’autres champs, d’autres maisons ont déjà fui. Les coqs chantent, mais la voix des canards domine tout, on dirait que le monde en est peuplé, couvert, tant ils font de bruit.

Les paysans matineux agitent les bras, nous criant : « Laissez-vous tomber. » Mais nous allons toujours, sans monter ni descendre, penches au bord de la nacelle et regardant couler l’univers sous nos pieds.

Jovis signale une autre ville, très loin. Elle approche, dominée par des clochers antiques, et ravissante, vue ainsi d’en haut. On discute. Est-ce Courtrai ? Est-ce Gand ?

Déjà nous sommes tout près et nous voyons qu’elle est entourée d’eau, traversée en tous sens par des canaux. On dirait une Venise du Nord. Juste au moment où nous passons sur le beffroi, si près que notre guide-rope, longue corde traînant sous la nacelle, a failli le toucher, le carillon flamand se met à chanter trois heures. Ses sons légers et rapides, doux et clairs, semblent jaillit pour nous de ce mince toit de pierre frôlé dans notre course errante C’est un bonjour charmant, un bonjour ami que nous jette la Flandre. Nous répondons avec la sirène dont l’horrible voix résonne par les rues.

C’était Bruges ; mais à peine l’avions-nous perdue de vue, que mon voisin Paul Bessand me demande : « Ne voyez-vous rien sur la droite et devant vous ? On dirait un fleuve. »

Devant nous, en effet, s’étend au loin une ligne lumineuse, sous la clarté de l’aube. Oui, cela a l’air d’un fleuve, d’un immense fleuve, avec des îles dedans.

« Préparons la descente », dit le capitaine. Il fait rentrer dans la nacelle M Mallet toujours perché dans son filet ; puis on serre les baromètres et tous les objets durs qui pourraient nous blesser dans les secousses.

M. Bessand s’écrie : « Mais voilà des mâts de navires à gauche. Nous sommes à la mer. »

Des brumes nous l’avaient cachée jusque-là. La mer était partout, à gauche et en face, tandis qu’à notre droite l’Escaut, joint à la Meuse, étendait jusqu’à la mer ses bouches plus vastes qu’un lac.

Il fallait descendre en une minute ou deux.

La corde de la soupape, religieusement enfermée dans un petit sac de toile blanche et placée bien en vue afin qu’elle ne soit touchée par personne, fut deroulée, et M. Mallet la tient en main, tandis que le capitaine Jovis cherche au loin une place favorable.

Derrière nous, le tonnerre gronde et aucun oiseau ne suivrait notre course folle.

« Tirez ! » cria Jovis.

Nous passions sur un canal. La nacelle frémit deux fois et s’inclina. Le guide-rope a touché les grands arbres des deux rives.

Mais notre vitesse est telle que la longue corde qui traîne maintenant ne semble pas la ralentir, et nous arrivons, avec une rapidité de boulet sur une grande ferme, dont les poules, les pigeons, les canards effarés s’envolent dans tous les sens, tandis que les veaux, les chats et les chiens fuient, éperdus, vers la maison.

Il nous reste juste un demi-sac de lest. Jovis le jette ; et Le Horla légèrement s’envole par-dessus le toit.

« La soupape ! » crie de nouveau le capitaine.

M. Mallet se suspend à la corde et nous descendons comme une flèche.

D’un coup de couteau, l’amarre qui retient l’ancre est coupée, nous la traînons derrière nous dans un grand champ de betteraves.

Voici des arbres.

« Attention ! Cramponnez-vous ! Gare aux têtes ! »

Nous passons encore dessus ; puis une forte secousse nous bouscule. L’ancre a mordu.

« Attention ! Tenez-vous bien ! Soulevez-vous à la force des poignets. Nous allons toucher. »

La nacelle touche en effet. Et puis s’envole de nouveau. Elle retombe encore, rebondit et, enfin, se pose à terre, tandis que le ballon se débat follement, avec des efforts d’agonisant.

Des paysans accouraient, mais n’osaient point approcher. Ils furent longtemps à se décider avant de venir nous délivrer, car on ne peut mettre pied à terre sans que l’aérostat soit presque complètement dégonflé.

Puis, en même temps que les hommes effarés, dont quelques-uns sautaient d’étonnement avec des gestes de sauvages, toutes les vaches qui paissaient sur les dunes venaient à nous, entourant notre ballon d’un cercle étrange et comique de cornes, de gros yeux et de naseaux soufflants.

Avec l’aide des paysans belges, complaisants et hospitaliers, nous avons pu, en peu de temps, empaqueter tout notre matériel et le porter à la gare de Heyst où nous reprenions à huit heures vingt le train pour Paris.

La descente avait eu lieu à trois heures quinze minutes du matin, ne précédant que de quelques secondes la pluie torrentielle et les éclairs aveuglants de l’orage qui nous chassait devant lui.

Nous avons donc pu, grâce au capitaine Jovis, dont mon confrère Paul Ginisty m’avait depuis longtemps raconté la hardiesse, car ils sont tombés ensemble et volontairement en pleine mer, en face de Menton, nous avons donc pu, en une seule nuit, voir, du haut du ciel, le coucher du soleil, le lever de la lune et le retour du jour et aller de Paris aux bouches de l’Escaut à travers les airs.

16 juillet 1887

Comment on cause

Le monsieur qui fait des visites, qui promène par les salons, de quatre à sept heures, son sourire et sa conversation, retrouve infailliblement, presque chaque jour, les mêmes visages sur les mêmes fauteuils et les mêmes propos dans les mêmes bouches.

Il est d’usage de s’aller voir, bien qu’on n’ait rien à se dire. Les femmes dans leur salon, attendent d’autres femmes, et des hommes qui entrent saluent, baisent les mains, prennent un siège, émettent ce qu’on croit être une idée, qu’ils ont émise déjà dans la maison précédente, et qu’ils émettront encore dans la maison suivante ; puis ils se lèvent et vont recommencer ailleurs cette exhibition polie de leur figure et de leur niaiserie.