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– Alors, sais-tu maintenant ce que c'est que d'avoir le frisson? lui dit-il.

– Non, répondit le garçon. D'où le saurais-je? Ceux qui sont là-haut n'ont pas ouvert la bouche, et ils sont si bêtes qu'ils ont laissé brûler les quelques hardes qu'ils ont sur le dos.

L'homme comprit qu'il n'obtiendrait pas les cinquante talents ce jour-là et s'en alla en disant: «Je n'ai jamais vu un être comme celui-là!»

Le jeune homme reprit également sa route et se dit à nouveau, parlant à haute voix.

– Ah! si seulement j'avais peur! Si seulement je savais frissonner!

Un cocher qui marchait derrière lui l'entendit et demanda:

– Qui es-tu?

– Je ne sais pas, répondit le garçon.

Le cocher reprit:

– D'où viens-tu?

– Je ne sais pas, rétorqua le jeune homme.

– Qui est ton père?

– Je n'ai pas le droit de le dire.

– Que marmonnes-tu sans cesse dans ta barbe?

– Eh! répondit le garçon, je voudrais frissonner. Mais personne ne peut me dire comment j'y arriverai.

– Cesse de dire des bêtises! reprit le cocher. Viens avec moi!

Le jeune homme accompagna donc le cocher et, le soir, ils arrivèrent à une auberge avec l'intention d'y passer la nuit. En entrant dans sa chambre, le garçon répéta à haute et intelligible voix:

– Si seulement j'avais peur! Si seulement je savais frissonner!

L'aubergiste l'entendit et dit en riant:

– Si vraiment ça te fait plaisir, tu en auras sûrement l'occasion chez moi.

– Tais-toi donc! dit sa femme. À être curieux, plus d'un a déjà perdu la vie, et ce serait vraiment dommage pour ses jolis yeux s'ils ne devaient plus jamais voir la lumière du jour.

Mais le garçon répondit:

– Même s'il fallait en arriver là, je veux apprendre à frissonner. C'est d'ailleurs pour ça que je voyage.

Il ne laissa à l'aubergiste ni trêve ni repos jusqu'à ce qu'il lui dévoilât son secret. Non loin de là, se trouvait un château maudit, dans lequel il pourrait certainement apprendre ce que c'était que d'avoir peur, en y passant seulement trois nuits. Le roi avait promis sa fille en mariage à qui tenterait l'expérience et cette fille était la plus belle qu'on eût jamais vue sous le soleil. Il y avait aussi au château de grands trésors gardés par de mauvais génies dont la libération pourrait rendre un pauvre très riche. Bien des gens étaient déjà entrés au château, mais personne n'en était jamais ressorti. Le lendemain, le jeune homme se rendit auprès du roi:

– Si vous le permettez, je voudrais bien passer trois nuits dans le château.

Le roi l'examina, et comme il lui plaisait, il répondit:

– Tu peux me demander trois choses. Mais aucune d'elles ne saurait être animée et tu pourras les emporter avec toi au château.

Le garçon lui dit alors:

– Eh bien! je vous demande du feu, un tour et un banc de ciseleur avec un couteau.

Le jour même, le roi fit porter tout cela au château. À la tombée de la nuit, le jeune homme s'y rendit, alluma un grand feu dans une chambre, installa le tabouret avec le couteau tout à côté et s'assit sur le tour.

– Ah! si seulement je pouvais frissonner! dit-il. Mais ce n'est pas encore ici que je saurai ce que c'est.

Vers minuit, il entreprit de ranimer son feu. Et comme il soufflait dessus, une voix retentit tout à coup dans un coin de la chambre:

– Hou, miaou, comme nous avons froid!

– Bande de fous! s'écria-t-il. Pourquoi hurlez-vous comme ça? Si vous avez froid, venez ici, asseyez-vous près du feu et réchauffez-vous!

À peine eut-il prononcé ces paroles que deux gros chats noirs, d'un bond formidable, sautèrent vers lui et s'installèrent de part et d'autre du garçon en le regardant d'un air sauvage avec leurs yeux de braise. Quelque temps après, s'étant réchauffés, ils dirent:

– Si nous jouions aux cartes, camarade?

– Pourquoi pas! répondit-il, mais montrez-moi d'abord vos pattes.

Les chats sortirent leurs griffes.

– Holà! dit-il. Que vos ongles sont longs! attendez! il faut d'abord que je vous les coupe.

Il les prit par la peau du dos, les posa sur l'étau et leur y coinça les pattes.

– J'ai vu vos doigts, dit-il, j'en ai perdu l'envie de jouer aux cartes.

Il les tua et les jeta par la fenêtre dans l'eau d'un étang. À peine s'en était-il ainsi débarrassé que de tous les coins et recoins sortirent des chats et des chiens, tous noirs, tirant des chaînes rougies au feu. Il y en avait tant et tant qu'il ne pouvait leur échapper. Ils criaient affreusement, dispersaient les brandons du foyer, piétinaient le feu, essayaient de l'éteindre. Tranquillement, le garçon les regarda faire un moment. Quand il en eut assez, il prit le couteau de ciseleur et dit:

– Déguerpissez, canailles!

Et il se mit à leur taper dessus. Une partie des assaillants s'enfuit; il tua les autres et les jeta dans l'étang. Puis il revint près du feu, le ranima en soufflant sur les braises et se réchauffa. Bientôt, il sentit ses yeux se fermer et eut envie de dormir. Il regarda autour de lui et vit un grand lit, dans un coin.

– Voilà ce qu'il me faut, dit-il.

Et il se coucha. Comme il allait s'endormir, le lit se mit de lui-même à se déplacer et à le promener par tout le château.

– Très bien! dit-il. Plus vite!

Le lit partit derechef comme si une demi-douzaine de chevaux y étaient attelés, passant les portes, montant et descendant les escaliers. Et tout à coup, il versa sens dessus dessous hop! et le garçon se retrouva par terre avec comme une montagne par-dessus lui. Il se débarrassa des couvertures et des oreillers, se faufila de dessous le lit et dit:

– Que ceux qui veulent se promener, se promènent.

Et il se coucha auprès du feu et dormit jusqu'au matin.

Le lendemain, le roi s'en vint au château. Quand il vit le garçon étendu sur le sol, il pensa que les fantômes l'avaient tué. Il murmura:

– Quel dommage pour un si bel homme!

Le garçon l'entendit, se leva, et dit:

– Je n'en suis pas encore là!

Le roi s'étonna, se réjouit et lui demanda comment les choses s'étaient passées.

– Très bien. Voilà une nuit d'écoulée, les autres se passeront bien aussi.

Quand il arriva chez l'aubergiste, celui-ci ouvrit de grands yeux.

– Je n'aurais jamais pensé, dit-il, que je te reverrais vivant. As- tu enfin appris à frissonner?

– Non! répondit-il; tout reste sans effet. Si seulement quelqu'un pouvait me dire comment faire!