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Johannès était sorti du bois quand une forte voix d'homme cria derrière lui:

– Holà! camarade, où ton voyage te mène-t-il?

– Dans le monde! répondit Johannès. Je n'ai ni père ni mère. Je suis un pauvre gars, mais le Seigneur me viendra en aide.

– Moi aussi je veux voir le monde! dit l'étranger, faisons route ensemble.

– Ça va! dit Johannès. Et les voilà partis.

Très vite ils se prirent en amitié car ils étaient de braves garçons tous les deux. Mais Johannès s'aperçut que l'étranger était bien plus malin que lui-même, il avait presque fait le tour du monde et savait parler de tout.

Le soleil était déjà haut lorsqu'ils s'assirent sous un grand arbre pour déjeuner. À ce moment, vint à passer une vieille femme. Oh! qu'elle était vieille! Elle marchait toute courbée, s'appuyait sur sa canne et portait sur le dos un fagot ramassé dans le bois. Dans son tablier relevé Johannès aperçut trois grandes verges faites de fougères et de petites branches de saule qui en dépassaient. Lorsqu'elle fut tout près d'eux, le pied lui manqua, elle tomba et poussa un grand cri. Elle s'était cassée la jambe, la pauvre vieille.

Johannès voulait tout de suite la porter chez elle, aidé de son compagnon, mais celui-ci ouvrant son sac à dos, en sortit un pot et déclara qu'il avait là un onguent qui guérirait sa jambe en moins de rien. Mais en échange il demandait qu'elle leur fasse cadeau des trois verges qu'elle avait dans son tablier.

– C'est cher payé! dit la vieille en hochant la tête d'un air bizarre.

Elle ne tenait pas du tout à se séparer des trois verges mais il n'était pas non plus agréable d'être là par terre, la jambe brisée. Elle lui donna donc les trois verges et dès qu'il lui eut frotté la jambe avec l'onguent, la vieille se mit debout et marcha, elle était même bien plus leste qu'avant.

– Que veux-tu faire de ces verges? demanda Johannès à son compagnon.

– Ça fera trois jolies plantes en pots, répondit-il; elles me plaisent.

Ils marchèrent encore un bon bout de chemin.

– Comme le temps se couvre, dit Johannès en montrant du doigt les épais nuages. C'est inquiétant.

– Mais non, dit le compagnon de voyage, ce ne sont pas des nuages mais d'admirables montagnes très hautes, où l'on arrive très au-dessus des nuages, dans l'air le plus pur et le plus frais. Un paysage de toute beauté, tu peux m'en croire! Demain nous y atteindrons sans doute.

Ce n'était pas aussi près qu'il y paraissait, ils marchèrent une journée entière avant d'arriver aux montagnes où les sombres forêts poussaient droit dans l'azur et où il y avait des rocs grands comme un village entier. Ce serait une rude excursion que d'arriver là-haut; aussi Johannès et son compagnon entrèrent-ils dans une auberge pour s'y bien reposer et rassembler des forces.

En bas, dans la grande salle où l'on buvait, il y avait beaucoup de monde, un homme y donnait un spectacle de marionnettes. Il venait d'installer son petit théâtre et le public s'était assis tout autour pour voir la comédie; au premier rang un gros vieux boucher avait pris place-la meilleure du reste-, son énorme bouledogue-oh! qu'il avait l'air féroce-assis à côté de lui ouvrait de grands yeux comme tous les autres spectateurs. La comédie commença. C'était une histoire tout à fait bien avec un roi et une reine assis sur un trône de velours. De jolies poupées de bois aux yeux de verre et portant la barbe se tenaient près des portes qu'elles ouvraient de temps en temps afin d'aérer la salle.

C'était vraiment une jolie comédie, mais à l'instant où la reine se levait et commençait à marcher, le chien fit un bond jusqu'au milieu de la scène, happa la reine par sa fine taille. On entendit: cric! crac! C'était affreux!

Le pauvre directeur de théâtre fut tout effrayé et désolé pour sa reine, la plus ravissante de ses marionnettes, à laquelle le vilain bouledogue avait coupé la tête d'un coup de dents. Mais ensuite, tandis que le public s'écoulait, le compagnon de voyage de Johannès déclara qu'il pourrait réparer et, sortant son pot, il la graissa avec l'onguent qui avait guéri la pauvre vieille femme à la jambe cassée. Aussitôt graissée, la poupée fut en bon état, bien plus, elle pouvait remuer elle-même ses membres délicats-on n'avait nul besoin de tenir sa ficelle-, elle était semblable à une personne vivante, à la parole près. Le propriétaire du théâtre était enchanté, il n'avait plus besoin de manoeuvrer cette poupée, elle dansait parfaitement toute seule ce dont les autres étaient bien incapables.

La nuit venue, tout le monde étant couché dans l'auberge, quelqu'un se mit à pousser des soupirs si profonds et pendant si longtemps que tout le monde se releva pour voir qui pouvait bien se plaindre ainsi. L'homme qui avait donné la comédie alla vers son petit théâtre d'où provenaient les soupirs. Toutes les marionnettes-le roi, les gardes-, gisaient là, pêle-mêle, et c'étaient elles qui soupiraient si lamentablement, dardant leurs gros yeux de verre, elles désiraient si fort être un peu graissées comme la reine afin de pouvoir remuer toutes seules. La reine émue tomba sur ses petits genoux et élevant sa ravissante couronne d'or, supplia:

– Prenez-la, au besoin, mais graissez mon mari et les gens de ma cour!

À cette prière, le pauvre propriétaire du théâtre et de la troupe de marionnettes ne put retenir ses larmes tant il avait de la peine, il promit au compagnon de route de lui donner toute la recette du lendemain soir s'il voulait seulement graisser quatre ou cinq de ses plus belles poupées. Le compagnon cependant affirma ne rien demander si ce n'est le grand sabre que l'autre portait à son côté et dès qu'il l'eut obtenu, il graissa six poupées, lesquelles se mirent aussitôt à danser et cela avec tant de grâce que toutes les jeunes filles, les vivantes, qui les regardaient, se mirent à danser aussi. Le cocher dansait avec la cuisinière, le valet avec la femme de chambre, et la pelle à feu avec la pincette, mais ces deux dernières s'écroulèrent dès le premier saut. Quelle joyeuse nuit!

Le lendemain Johannès partit avec son camarade. Quittant toute la compagnie, ils grimpèrent sur les montagnes et traversèrent les grandes forêts de sapins. Ils montèrent si haut qu'à la fin les clochers d'églises au-dessous d'eux semblaient de petites baies rouges perdues dans la verdure et la vue s'étendait loin.

Johannès n'avait encore jamais vu d'un coup une si grande et si belle étendue de merveilles de ce monde, le soleil brillait et réchauffait dans la fraîcheur de l'air bleu, le son des cors de chasse à travers les monts était si beau que des larmes d'heureuse émotion montaient à ses yeux et qu'il ne pouvait que répéter:

– Notre-Seigneur miséricordieux, je voudrais t'embrasser. Toi si bon pour nous tous qui nous fais don de tout ce bonheur et de ces délices!

Le camarade, debout, joignait aussi les mains, admirant les forêts et les villes.

À cet instant, ils entendirent une musique exquise et étrange et, levant les yeux, ils virent un grand cygne blanc planant dans l'air. Il était si beau et chantait comme ils n'avaient encore jamais entendu chanter un oiseau mais il s'affaiblissait de plus en plus, il pencha sa tête et vint tomber mort à leurs pieds.

– Deux ailes magnifiques, si blanches et si grandes, cela vaut de l'argent, je vais les emporter, dit le compagnon de route.

Il trancha d'un coup les deux ailes du cygne mort, il voulait les conserver. Leur voyage les mena encore des lieues et des lieues par-dessus les montagnes, enfin ils virent devant eux une grande ville aux cent tours qui étincelaient dit le compagnon de route comme de l'argent sous les rayons du soleil. Au centre de la ville s'élevait un magnifique palais de marbre, à la toiture d'or rouge. Là vivait le roi.

Johannès et son camarade s'arrêtèrent hors des portes à une auberge pour faire un brin de toilette et avoir bonne apparence en arrivant dans les rues. L'hôtelier leur raconta que le roi était un brave homme mais que sa fille était une très méchante princesse. Belle, elle l'était certainement, mais à quoi bon puisqu'elle était si mauvaise, une véritable sorcière responsable de la mort de tant de beaux princes.