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Quant à la princesse, assise immobile comme une statue, elle ne pouvait prononcer une parole. Finalement elle se leva et tendit sa main au jeune homme. Sans regarder à droite ni à gauche, elle soupira faiblement:

– Maintenant tu es mon seigneur et maître! Ce soir nous nous marierons.

– Ah! que je suis content, dit le roi. C'est ainsi que nous ferons.

Tout le peuple criait: «Hourra!» La musique de la garde parcourait les rues, les cloches sonnaient et les marchandes enlevaient le crêpe noir du cou de leurs cochons de sucre puisqu'on était maintenant tout à la joie. Trois boeufs rôtis entiers fourrés de canards et de poulets, furent servis au milieu de la grand-place. Chacun pouvait s'en découper un morceau, des fontaines publiques jaillissait, à la place de l'eau, un vin délicieux, et si l'on achetait un craquelin chez le boulanger, il vous donnait en prime six grands pains mollets.

Le soir toute la ville fut illuminée, les soldats tirèrent le canon, les gamins faisaient partir des pétards, on but et on mangea, on trinqua et on dansa au château. Les nobles seigneurs et les jolies demoiselles dansaient ensemble, on les entendait chanter de très loin:

On voit ici tant de belles fillesQui ne demandent qu'à danserAu son de la marche du tambour.Tournez jolies filles, tournez encoreDansez et tapez des piedsJusqu'à en user vos souliers.

Cependant la princesse était encore une sorcière, elle n'aimait pas Johannès le moins du monde, le compagnon de route s'en souvint heureusement. Il donna trois plumes de ses ailes de cygne à Johannès avec une petite fiole contenant quelques gouttes et il lui recommanda de faire placer un grand baquet plein d'eau auprès du lit nuptial. Lorsque la princesse voudrait monter dans son lit, il lui conseilla de la pousser un peu pour la faire tomber dans l'eau où il devrait la plonger trois fois, après y avoir jeté les trois plumes et les gouttes. Alors elle serait délivrée du sortilège et l'aimerait de tout son coeur.

Johannès fit tout ce que le compagnon lui avait conseillé. La princesse cria très fort lorsqu'il la plongea sous l'eau: la première fois, elle se débattait dans ses mains sous la forme d'un grand cygne noir aux yeux étincelants, lorsque pour la deuxième fois il la plongea dans le baquet, elle devint un cygne blanc avec un seul cercle noir autour du cou. Johannès pria Dieu et, pour la troisième fois, il plongea complètement l'oiseau. À l'instant, elle redevint une charmante princesse encore plus belle qu'auparavant. Elle le remercia avec des larmes dans ses beaux yeux de l'avoir délivrée de l'ensorcellement.

Le lendemain matin, le vieux roi vint avec toute sa cour et le défilé des félicitations dura toute la journée. En tout dernier s'avança le compagnon de voyage, son bâton à la main et son sac au dos. Johannès l'embrassa mille fois, lui demanda instamment de ne pas s'en aller, de rester auprès de lui puisque c'était à lui qu'il devait tout son bonheur.

Le compagnon de route secoua la tête et lui répondit doucement, avec grande amitié:

– Non, non, maintenant mon temps est terminé, je n'ai fait que payer ma dette. Te souviens-tu du mort que deux mauvais garçons voulaient maltraiter? Tu leur as donné alors tout ce que tu possédais pour qu'ils le laissent en repos dans sa tombe. Ce mort, c'était moi.

Ayant parlé, il disparut.

Le mariage dura tout un mois. Johannès et la princesse s'aimaient d'amour tendre, le vieux roi vécut de longs jours heureux, il laissait leurs tout petits enfants monter à cheval sur son genou et même jouer avec le sceptre. Et Johannès régnait sur tout le pays.

Le concours de saut

La puce, la sauterelle et l'oie sauteuse voulurent une fois voir laquelle savait sauter le plus haut. Elles invitèrent à cette compétition le monde entier et tous les autres qui avaient envie de venir, et ce furent trois sauteurs de premier ordre qui se présentèrent.

– Je donnerai ma fille à celui qui sautera le plus haut, dit le roi, il serait mesquin de faire sauter ces personnes pour rien. La puce s'avança la première; elle se présentait bien et saluait à la ronde, car elle avait en elle du sang de demoiselle et l'habitude de ne fréquenter que des humains, ce qui donne de l'aisance. Ensuite vint la sauterelle, sensiblement plus lourde, mais qui avait tout de même de l'allure et portait un uniforme vert qu'elle avait de naissance. Elle disait de plus qu'elle était d'une très ancienne famille d'Égypte et qu'elle était fort considérée ici. On l'avait prise dans les champs et déposée directement dans un château de cartes à trois étages, tous les trois bâtis de cartes à figures, l'envers tourné vers l'intérieur, on y avait découpé des portes et des fenêtres, même dans le corps de la dame de coeur.

– Je chante si bien, dit-elle, que seize grillons du pays qui crient depuis l'enfance et qui n'ont même pas eu de châteaux de cartes, en m'entendant, en ont encore maigri de dépit. Toutes les deux, aussi bien la puce que la sauterelle, se faisaient valoir de leur mieux et pensaient bien pouvoir épouser une princesse. L'oie sauteuse ne dit rien, mais on assurait qu'elle n'en pensait pas moins, et quand le chien de la cour l'eut seulement flairée, il se porta garant qu'elle était de bonne famille. Le vieux conseiller qui avait reçu trois décorations uniquement pour se taire affirma que l'oie sauteuse avait un don divinatoire, que l'on pouvait voir sur son dos si l'hiver serait doux ou rigoureux, ce que l'on ne peut même pas voir sur le dos du rédacteur de l'almanach qui prédit l'avenir.

– Bon, bon, je ne dis rien, dit le vieux roi, mais j'ai quand même ma petite idée. Maintenant, c'était le moment de sauter… La puce sauta si haut que personne ne put la voir; le public soutint qu'elle n'avait pas sauté du tout, ce qui était une calomnie. La sauterelle sauta moitié moins haut, mais en plein dans la figure du roi qui dit que c'était dégoûtant. L'oie sauteuse resta longtemps immobile, elle hésitait. Chacun pensait qu'elle ne savait pas sauter du tout.

– Pourvu qu'elle n'ait pas pris mal, dit le chien de cour, et il la flaira encore un peu. Alors, paf! elle fit un petit saut maladroit, droit sur les genoux de la princesse, laquelle était assise sur un tabouret bas en or. Alors le roi déclara:

– Le saut le plus élevé, c'est de sauter sur les genoux de ma fille car cela dénote une certaine finesse et il faut de la tête pour en avoir eu l'idée. L'oie sauteuse a montré qu'elle avait de la tête et du ressort sous le front. Et elle eut la princesse.

– C'est pourtant moi qui aie sauté le plus haut, dit la puce. Mais peu importe! Qu'elle garde sa carcasse d'oie avec sa baguette et sa boulette de poix. J'ai sauté le plus haut, mais il faut en ce monde un corps énorme pour que les gens puissent vous voir. Et la puce alla prendre du service dans une armée étrangère en guerre où l'on dit qu'elle fut tuée. La sauterelle alla se poser dans le fossé et médita sur la façon dont vont les choses en ce monde. Elle aussi se disait:

– Il faut du corps, il faut du corps… Elle reprit sa chanson si particulière et si triste où nous avons puisé cette histoire, qui n'est peut-être que mensonge, même si elle est imprimée dans un livre. L'oie sauteuse n'est pas un animal, c'est un jouet. Les enfants danois, à l'époque d'Andersen, s'amusaient à prendre la carcasse d'une oie que l'on avait mangée en famille. Ils reliaient les deux côtés du sternum par une ficelle double dans laquelle ils inséraient un bâtonnet. Plus ils tournaient le bâtonnet, plus les deux ficelles se tordaient, et, lorsqu'au bout d'un moment, ils lâchaient le bâtonnet, les ficelles, en se détordant subitement, faisaient sauter la carcasse plus ou moins haut.

Le coq de poulailler et le coq de girouette

Il était une fois deux coqs, un sur le tas de fumier, l'autre sur le toit, et ils étaient aussi prétentieux l'un que l'autre. Mais lequel des deux était le plus utile? Dites ce que vous en pensez… nous ne changerons pas d'avis pour autant.

La basse-cour était séparée du reste de la cour par un grillage. Là il y avait un tas de fumier et là poussait un grand concombre. Il savait bien qu'il était en fait une plante de serre.