Выбрать главу

– Sais-tu pondre? demandait-elle.

– Non.

– Alors, tais-toi.

Et le chat disait:

– Sais-tu faire le gros dos, ronronner?

– Non.

– Alors, n'émets pas des opinions absurdes quand les gens raisonnables parlent. Le caneton, dans son coin, était de mauvaise humeur; il avait une telle nostalgie d'air frais, de soleil, une telle envie de glisser sur l'eau. Il ne put s'empêcher d'en parler à la poule.

– Qu'est-ce qui te prend, répondit-elle. Tu n'as rien à faire, alors tu te montes la tête. Tu n'as qu'à pondre ou à ronronner, et cela te passera.

– C'est si délicieux de glisser sur l'eau, dit le caneton, si exquis quand elle vous passe par-dessus la tête et de plonger jusqu'au fond!

– En voilà un plaisir, dit la poule. Tu es complètement fou. Demande au chat, qui est l'être le plus intelligent que je connaisse, s'il aime glisser sur l'eau ou plonger la tête dedans. Je ne parle même pas de moi. Demande à notre hôtesse, la vieille paysanne. Il n'y a pas plus intelligent. Crois-tu qu'elle a envie de nager et d'avoir de l'eau par-dessus la tête?

– Vous ne me comprenez pas, soupirait le caneton.

– Alors, si nous ne te comprenons pas, qui est-ce qui te comprendra! Tu ne vas tout de même pas croire que tu es plus malin que le chat ou la femme… ou moi-même! Remercie plutôt le ciel de ce qu'on a fait pour toi. N'es-tu pas là dans une chambre bien chaude avec des gens capables de t'apprendre quelque chose? Mais tu n'es qu'un vaurien, et il n'y a aucun plaisir à te fréquenter. Remarque que je te veux du bien et si je te dis des choses désagréables, c'est que je suis ton amie. Essaie un peu de pondre ou de ronronner!

– Je crois que je vais me sauver dans le vaste monde, avoua le caneton.

– Eh bien! vas-y donc.

Il s'en alla.

L'automne vint, les feuilles dans la forêt passèrent du jaune au brun, le vent les faisait voler de tous côtés. L'air était froid, les nuages lourds de grêle et de neige, dans les haies nues les corbeaux croassaient kré! kru! krà! oui, il y avait de quoi grelotter. Le pauvre caneton n'était guère heureux.

Un soir, au soleil couchant, un grand vol d'oiseaux sortit des buissons. Jamais le caneton n'en avait vu de si beaux, d'une blancheur si immaculée, avec de longs cous ondulants. Ils ouvraient leurs larges ailes et s'envolaient loin des contrées glacées vers le midi, vers les pays plus chauds, vers la mer ouverte. Ils volaient si haut, si haut, que le caneton en fut impressionné; il tournait sur l'eau comme une roue, tendait le cou vers le ciel… il poussa un cri si étrange et si puissant que lui-même en fut effrayé.

Jamais il ne pourrait oublier ces oiseaux merveilleux! Lorsqu'ils furent hors de sa vue, il plongea jusqu'au fond de l'eau et quand il remonta à la surface, il était comme hors de lui-même. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux ni où ils s'envolaient, mais il les aimait comme il n'avait jamais aimé personne. Il ne les enviait pas, comment aurait-il rêvé de leur ressembler…

L'hiver fut froid, terriblement froid. Il lui fallait nager constamment pour empêcher l'eau de geler autour de lui. Mais, chaque nuit, le trou où il nageait devenait de plus en plus petit. La glace craquait, il avait beau remuer ses pattes, à la fin, épuisé, il resta pris dans la glace.

Au matin, un paysan qui passait le vit, il brisa la glace de son sabot et porta le caneton à la maison où sa femme le ranima.

Les enfants voulaient jouer avec lui, mais lui croyait qu'ils voulaient lui faire du mal, il s'élança droit dans la terrine de lait éclaboussant toute la pièce; la femme criait et levait les bras au ciel. Alors, il vola dans la baratte où était le beurre et, de là, dans le tonneau à farine. La paysanne le poursuivait avec des pincettes; les enfants se bousculaient pour l'attraper… et ils riaient… et ils criaient. Heureusement, la porte était ouverte! Il se précipita sous les buissons, dans la neige molle, et il y resta anéanti.

Il serait trop triste de raconter tous les malheurs et les peines qu'il dut endurer en ce long hiver. Pourtant, un jour enfin, le soleil se leva, déjà chaud, et se mit à briller. C'était le printemps.

Alors, soudain, il éleva ses ailes qui bruirent et le soulevèrent, et avant qu'il pût s'en rendre compte, il se trouva dans un grand jardin plein de pommiers en fleurs. Là, les lilas embaumaient et leurs longues branches vertes tombaient jusqu'aux fossés.

Comme il faisait bon et printanier! Et voilà que, devant lui, sortant des fourrés trois superbes cygnes blancs s'avançaient. Il ébouriffaient leurs plumes et nageaient si légèrement, et il reconnaissait les beaux oiseaux blancs. Une étrange mélancolie s'empara de lui.

– Je vais voler jusqu'à eux et ils me battront à mort, moi si laid, d'avoir l'audace de les approcher! Mais tant pis, plutôt mourir par eux que pincé par les canards, piqué par les poules ou par les coups de pied des filles de basse-cour!

Il s'élança dans l'eau et nagea vers ces cygnes pleins de noblesse. À son étonnement, ceux-ci, en le voyant, se dirigèrent vers lui.

– Tuez-moi, dit le pauvre caneton en inclinant la tête vers la surface des eaux.

Et il attendit la mort.

Mais alors, qu'est-ce qu'il vit, se reflétant sous lui, dans l'eau claire? C'était sa propre image, non plus comme un vilain gros oiseau gris et lourdaud… il était devenu un cygne!!!

Car il n'y a aucune importance à être né parmi les canards si on a été couvé dans un oeuf de cygne!

Il ne regrettait pas le temps des misères et des épreuves puisqu'elles devaient le conduire vers un tel bonheur! Les grands cygnes blancs nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec.

Quelques enfants approchaient, jetant du pain et des graines. Le plus petit s'écria:-Oh! il y en a un nouveau.

Et tous les enfants de s'exclamer et de battre des mains et de danser en appelant père et mère.

On lança du pain et des gâteaux dans l'eau. Tous disaient: «Le nouveau est le plus beau, si jeune et si gracieux.» Les vieux cygnes s'inclinaient devant lui.

Il était tout confus, notre petit canard, et cachait sa tête sous l'aile, il ne savait lui-même pourquoi. Il était trop heureux, pas du tout orgueilleux pourtant, car un grand coeur ne connaît pas l'orgueil. Il pensait combien il avait été pourchassé et haï alors qu'il était le même qu'aujourd'hui où on le déclarait le plus beau de tous! Les lilas embaumaient dans la verdure, le chaud soleil étincelait. Alors il gonfla ses plumes, leva vers le ciel son col flexible et de tout son coeur comblé il cria: «Aurais-je pu rêver semblable félicité quand je n'étais que le vilain petit canard!»

Les voisins

On aurait vraiment pu croire que la mare aux canards était en pleine révolution; mais il ne s'y passait rien. Pris d'une folle panique, tous les canards qui, un instant avant, se prélassaient avec indolence sur l'eau ou y barbotaient gaiement, la tête en bas, se mirent à nager comme des perdus vers le bord, et, une fois à terre, s'enfuirent en se dandinant, faisant retentir les échos d'alentour de leurs cris les plus discordants. La surface de l'eau était tout agitée. Auparavant elle était unie comme une glace; on y voyait tous les arbres du verger, la ferme avec son toit et le nid d'hirondelles; au premier plan, un grand rosier tout en fleur qui, adossé au mur, se penchait au-dessus de la mare. Maintenant on n'apercevait plus rien; le beau paysage avait disparu subitement comme un mirage. À la place il y avait quelques plumes que les canards avaient perdues dans leur fuite précipitée; une petite brise les balançait et les poussait vers le bord. Survint une accalmie, et elles restèrent en panne. La tranquillité rétablie, l'on vit apparaître de nouveau les roses. Elles étaient magnifiques; mais elles ne le savaient pas. La lumière du soleil passait à travers leurs feuilles délicates; elles répandaient la plus délicieuse senteur.

– Que l'existence est donc belle! dit l'une d'elles. Il y a pourtant une chose qui me manque. Je voudrais embrasser ce cher soleil, dont la douce chaleur nous fait épanouir; je voudrais aussi embrasser les roses qui sont là dans l'eau. Comme elles nous ressemblent! Il y a encore là-haut les gentils petits oiseaux que je voudrais caresser. Comme ils gazouillent joliment quand ils tendent leurs têtes mignonnes hors de leur nid! Mais il est singulier qu'ils n'aient pas de plumes, comme leur père et leur mère. Quels excellents voisins cela fait! Ces jeunes oiseaux étaient des moineaux; leurs parents aussi étaient des moineaux; ils s'étaient installés dans le nid que l'hirondelle avait confectionné l'année d'avant: ils avaient fini par croire que c'était leur propriété.