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«Sire, ne vous dépouillez pas pour moi.

– Je ne puis faire moins pour toi que tu n’as fait pour moi», répondit le roi. Il ôta ses riches vêtements, se vêtit de guenilles et partit avec sa femme et ses enfants pieds nus et besace au dos. Le fidèle Jean tenta de le retenir, mais ses jambes de pierre le rivaient au sol, loin de son roi qui refusait de l’écouter et s’en allait.

Alors la force de son amour l’emporta sur la pesanteur de la matière et l’on vit Jean, marchant sur ses jambes pétrifiées, traverser le palais, descendre le perron et se jeter aux genoux de son maître pour le supplier de ne pas partir.

«Tu es mon fidèle Jean, lui dit alors le roi. Tout ce que tu veux, je le veux», et il remonta sur son trône.

Le trésor du roi demeura vide et Jean conserva ses jambes de pierre, mais à travers le temps et à travers l’espace jamais ne régna un monarque plus heureux que celui-là, qui avait appris qu’un serviteur fidèle vaut tous les trésors du monde.

Jorinde et Joringel

Il était une fois un vieux château au cœur d’une grande forêt épaisse où vivait toute seule une vieille femme qui était une très grande magicienne. Le jour, elle se transformait en chatte ou en chouette, mais le soir elle reprenait ordinairement forme humaine. Elle avait le pouvoir d’attirer les oiseaux et le gibier, et elle les tuait ensuite pour les faire cuire et rôtir. Si quelqu’un approchait du château à plus de cent pas, il était forcé de s’arrêter et ne pouvait plus bouger de là tant qu’elle ne l’avait pas délivré d’une formule magique: mais si une pure jeune fille entrait dans ce cercle de cent pas, elle la métamorphosait en oiseau, puis elle l’enfermait dans une corbeille qu’elle portait dans une chambre du château. Elle avait bien sept mille corbeilles de cette sorte dans le château avec un oiseau aussi rare dans chacune d’elle.

Or, il était une fois une jeune fille qui s’appelait Jorinde; elle était plus belle que toutes les autres filles. Et puis il y avait un très beau jeune homme nommé Joringeclass="underline" ils s’étaient promis l’un à l’autre. Ils étaient au temps de leurs fiançailles et leur plus grand plaisir était d’être ensemble.

Un jour, ils allèrent se promener dans la forêt afin de pouvoir parler en toute intimité.

– Garde-toi, dit Joringel, d’aller aussi près du château.

C’était une belle soirée, le soleil brillait entre les troncs d’arbres, clair sur le vert sombre de la forêt, et la tourterelle chantait plaintivement sur les vieux hêtres. Jorinde pleurait par moment, elle s’asseyait au soleil et gémissait; Joringel gémissait lui aussi. Ils étaient aussi consternés que s’ils allaient mourir; ils regardaient autour d’eux, ils étaient perdus et ne savaient pas quelle direction ils devaient prendre pour rentrer chez eux. Il y avait encore une moitié de soleil au-dessus de la montagne, l’autre était déjà derrière. Joringel regarda à travers les taillis et vit la vieille muraille du château tout près de lui; il fut pris d’épouvante et envahi par une angoisse mortelle. Jorinde se mit à chanter:

«Mon petit oiseau bagué du rouge anneau, Chante douleur, douleur:

Te voilà chantant sa mort au tourtereau,

Chante douleur, doul…tsitt, tsitt, tsitt.»

Joringel se tourna vers Jorinde. Elle était transformée en rossignol qui chantait «Tsitt, Tsitt». Une chouette aux yeux de braise vola trois fois autour d’elle et par trois fois cria «hou, hou, hou». Joringel ne pouvait plus bouger: il restait là comme une pierre, il ne pouvait ni pleurer, ni parler, ni remuer la main ou le pied. À présent, le soleil s’était couché: la chouette vola dans le buisson, et aussitôt après une vieille femme en sortit, jaune, maigre et voûtée avec de grands yeux rouges et un nez crochu dont le bout lui atteignait le menton. Elle marmonna, attrapa le rossignol et l’emporta sur son poing. Joringel ne put rien dire, ne put pas avancer: le rossignol était parti.

Enfin, la femme revint et dit d’une voix sourde:

«Je te salue, Zachiel, si la lune brille sur la corbeille, détache-le, Zachiel, au bon moment.»

Alors Joringel fut délivré. Il tomba à genoux devant la femme et la supplia de lui rendre sa Jorinde, mais elle déclara qu’il ne l’aurait plus jamais et s’en alla. Il appela, pleura et se lamenta, mais ce fut en vain.

Joringel s’en fut et finit par arriver dans un village inconnu où il resta longtemps à garder les moutons. Il allait souvent tourner autour du château, mais pas trop près. Enfin, une nuit, il rêva qu’il trouvait une fleur rouge sang avec une belle et grosse perle en son cœur. Il cueillait cette fleur et l’emportait pour aller au château: tout ce qu’il touchait avec la fleur était délivré de l’enchantement, et il rêva aussi qu’il avait trouvé Jorinde de cette manière.

En se réveillant le matin, il se mit en quête par monts et par vaux d’une fleur semblable: il chercha jusqu’au neuvième jour, et voilà qu’à l’aube il trouva la fleur rouge sang. En son cœur, il y avait une grosse goutte de rosée, aussi grosse que la perle la plus belle.

Il porta cette fleur jour et nuit jusqu’à ce qu’il arrivât au château. Quand il s’approcha à cent pas du château, il ne fut point cloué sur place, mais il continua à marcher jusqu’à la porte. Joringel s’en réjouit fort, il toucha la porte de sa fleur et elle s’ouvrit d’un coup. Il entra, traversa la cour, prêtant l’oreille pour savoir s’il n’entendrait pas les nombreux oiseaux: enfin, il les entendit. Il alla dans cette direction et trouva la salle où la magicienne était en train de donner à manger aux oiseaux dans leurs sept mille corbeilles.

Quand elle aperçut Joringel, elle se fâcha: prise d’une grande fureur, elle l’injuria et vomit tout son fiel contre lui, mais elle ne put pas l’approcher à plus de deux pas. Il ne tint pas compte de la magicienne et alla examiner les corbeilles aux oiseaux; mais c’est qu’il y avait là des centaines de rossignols. Comment allait-il retrouver sa Jorinde maintenant?

Pendant qu’il regardait ainsi, il s’aperçut que la sorcière s’emparait à la dérobée d’une petite corbeille contenant un oiseau et gagnait la porte avec elle. Sur-le-champ il bondit sur elle, toucha la petite corbeille avec sa fleur et la vieille femme aussi: maintenant elle ne pouvait plus rien ensorceler, et Jorinde était là, le tenant embrassé, aussi belle qu’elle l’était auparavant. Alors Joringel refit aussi de tous les autres oiseaux des jeunes filles, puis il rentra avec sa Jorinde, et ils vécurent longtemps heureux.

La Lampe bleue

Pendant de longues années, un soldat avait servi le roi fidèlement. Mais lorsque la guerre vint à finir et que le soldat ne put plus servir à cause de ses nombreuses blessures, le Roi lui dit: «Tu peux t’en aller, je n’ai plus besoin de toi. Tu ne recevras plus d’argent: seuls ceux qui peuvent accomplir un travail se méritent un salaire.»

Le soldat, ne sachant pas comment il gagnerait sa vie, s’en alla, inquiet. Il marcha toute la journée et, le soir venu, il se retrouva dans une forêt. À la nuit tombante, il aperçut une lumière, s’en rapprocha, et arriva à une maison habitée par une sorcière. «Donne-moi un lit, de quoi manger et de quoi boire», lui dit le soldat, «je languis.» «Oh! Oh!», répondit la sorcière, «qui oserait donner quelque chose à un soldat égaré? Allons, je serai miséricordieuse et je t’accueillerai, mais à condition que tu fasses ce que je demande.» «Et que veux-tu?», demanda le soldat. «Je veux que demain tu bêches mon jardin.»