Et elle partit.
– Réjouis-toi de ta jeunesse, dirent les rayons du soleil, réjouis-toi de ta fraîcheur, de la jeune vie qui est en toi.
Le vent baisa le jeune arbre, la rosée versa sur lui des larmes, mais il ne les comprit pas.
Quand vint l'époque de Noël, de tout jeunes arbres furent abattus, n'ayant souvent même pas la taille, ni l'âge de notre sapin, lequel, sans trêve ni repos, désirait toujours partir. Ces jeunes arbres étaient toujours les plus beaux, ils conservaient leurs branches, ceux-là, et on les couchait sur les charrettes que les chevaux tiraient hors de la forêt.
– Où vont-ils? demanda le sapin, ils ne sont pas plus grands que moi, il y en avait même un beaucoup plus petit. Pourquoi leur a-t-on laissé leur verdure?
– Nous le savons, nous le savons, gazouillèrent les moineaux. En bas, dans la ville, nous avons regardé à travers les vitres, nous savons où la voiture les conduit. Oh! ils arrivent au plus grand scintillement, au plus grand honneur que l'on puisse imaginer. À travers les vitres, nous les avons vus, plantés au milieu du salon chauffé et garnis de ravissants objets, pommes dorées, gâteaux de miel, jouets et des centaines de lumières.
– Suis-je destiné à atteindre aussi cette fonction? dit le sapin tout enthousiasmé. C'est encore bien mieux que de voler au-dessus de la mer. Je me languis ici, que n'est-ce déjà Noël! Je suis aussi grand et développé que ceux qui ont été emmenés l'année dernière. Je voudrais être déjà sur la charrette et puis dans le salon chauffé, au milieu de ce faste. Et, ensuite… il arrive sûrement quelque chose d'encore mieux, de plus beau, sinon pourquoi nous décorer ainsi. Cela doit être quelque chose de grandiose et de merveilleux! Mais quoi?… Oh! je m'ennuie… je languis…
– Sois heureux d'être avec nous, dirent l'air et la lumière du soleil. Réjouis-toi de ta fraîche et libre jeunesse.
Mais le sapin n'arrivait pas à se réjouir. Il grandissait et grandissait. Hiver comme été, il était vert, d'un beau vert foncé et les gens qui le voyaient s'écriaient: Quel bel arbre!
Avant Noël il fut abattu, le tout premier. La hache trancha d'un coup, dans sa moelle; il tomba, poussant un grand soupir, il sentit une douleur profonde. Il défaillait et souffrait.
L'arbre ne revint à lui qu'au moment d'être déposé dans la cour avec les autres. Il entendit alors un homme dire:
– Celui-ci est superbe, nous le choisissons.
Alors vinrent deux domestiques en grande tenue qui apportèrent le sapin dans un beau salon. Des portraits ornaient les murs et près du grand poêle de céramique vernie il y avait des vases chinois avec des lions sur leurs couvercles. Plus loin étaient placés des fauteuils à bascule, des canapés de soie, de grandes tables couvertes de livres d'images et de jouets! pour un argent fou-du moins à ce que disaient les enfants.
Le sapin fut dressé dans un petit tonneau rempli de sable, mais on ne pouvait pas voir que c'était un tonneau parce qu'il était enveloppé d'une étoffe verte et posé sur un grand tapis à fleurs! Oh! notre arbre était bien ému! Qu'allait-il se passer?
Les domestiques et des jeunes filles commencèrent à le garnir. Ils suspendaient aux branches de petits filets découpés dans des papiers glacés de couleur, dans chaque filet on mettait quelques fondants, des pommes et des noix dorées pendaient aux branches comme si elles y avaient poussé, et plus de cent petites bougies rouges, bleues et blanches étaient fixées sur les branches. Des poupées qui semblaient vivantes-l'arbre n'en avait jamais vu-planaient dans la verdure et tout en haut, au sommet, on mit une étoile clinquante de dorure.
C'était splendide, incomparablement magnifique.
– Ce soir, disaient-ils tous, ce soir ce sera beau.
«Oh! pensa le sapin, que je voudrais être ici ce soir quand les bougies seront allumées! Que se passera-t-il alors? Les arbres de la forêt viendront-ils m'admirer? Les moineaux me regarderont-ils à travers les vitres? Vais-je rester ici, ainsi décoré, l'hiver et l'été?»
On alluma les lumières. Quel éclat! Quelle beauté! Un frémissement parcourut ses branches de sorte qu'une des bougies y mit le feu: une sérieuse flambée.
– Mon Dieu! crièrent les demoiselles en se dépêchant d'éteindre.
Le pauvre arbre n'osait même plus trembler. Quelle torture! Il avait si peur de perdre quelqu'une de ses belles parures, il était complètement étourdi dans toute sa gloire… Alors, la porte s'ouvrit à deux battants, des enfants en foule se précipitèrent comme s'ils allaient renverser le sapin, les grandes personnes les suivaient posément. Les enfants s'arrêtaient-un instant seulement-, puis ils se mettaient à pousser des cris de joie-quel tapage!-et à danser autour de l'arbre. Ensuite, on commença à cueillir les cadeaux l'un après l'autre.
«Qu'est-ce qu'ils font? se demandait le sapin. Qu'est-ce qui va se passer?»
Les bougies brûlèrent jusqu'aux branches, on les éteignait à mesure, puis les enfants eurent la permission de dépouiller l'arbre complètement. Ils se jetèrent sur lui, si fort, que tous les rameaux en craquaient, s'il n'avait été bien attaché au plafond par le ruban qui fixait aussi l'étoile, il aurait été renversé.
Les petits tournoyaient dans le salon avec leurs jouets dans les bras, personne ne faisait plus attention à notre sapin, si ce n'est la vieille bonne d'enfants qui jetait de-ci de-là un coup d'oeil entre les branches pour voir si on n'avait pas oublié une figue ou une pomme.
– Une histoire! une histoire! criaient les enfants en entraînant vers l'arbre un gros petit homme ventru.
Il s'assit juste sous l'arbre.
– Comme ça, nous sommes dans la verdure et le sapin aura aussi intérêt à nous écouter, mais je ne raconterai qu'une histoire. Voulez-vous celle d'Ivède-Avède ou celle de Dumpe-le-Ballot qui roula en bas des escaliers, mais arriva tout de même à s'asseoir sur un trône et à épouser la princesse?
L'homme racontait l'histoire de Dumpe-le-Ballot qui tomba du haut des escaliers, gagna tout de même le trône et épousa la princesse. Les enfants battaient des mains. Ils voulaient aussi entendre l'histoire d'Ivède-Avède, mais ils n'en eurent qu'une. Le sapin se tenait coi et écoutait.
«Oui, oui, voilà comment vont les choses dans le monde», pensait-il. Il croyait que l'histoire était vraie, parce que l'homme qui la racontait était élégant.
– Oui, oui, sait-on jamais! Peut-être tomberai-je aussi du haut des escaliers et épouserai-je une princesse!
Il se réjouissait en songeant que le lendemain il serait de nouveau orné de lumières et de jouets, d'or et de fruits.
Il resta immobile et songeur toute la nuit.
Au matin, un valet et une femme de chambre entrèrent.
– Voilà la fête qui recommence! pensa l'arbre. Mais ils le traînèrent hors de la pièce, en haut des escaliers, au grenier… et là, dans un coin sombre, où le jour ne parvenait pas, ils l'abandonnèrent.
– Qu'est-ce que cela veut dire? Que vais-je faire ici?
Il s'appuya contre le mur, réfléchissant. Et il eut le temps de beaucoup réfléchir, car les jours et les nuits passaient sans qu'il ne vînt personne là-haut et quand, enfin, il vint quelqu'un, ce n'était que pour déposer quelques grandes caisses dans le coin. Elles cachaient l'arbre complètement. L'avait-on donc tout à fait oublié?
«C'est l'hiver dehors, maintenant, pensait-il. La terre est dure et couverte de neige. On ne pourrait même pas me planter; c'est sans doute pour cela que je dois rester à l'abri jusqu'au printemps. Comme c'est raisonnable, les hommes sont bons! Si seulement il ne faisait pas si sombre et si ce n'était si solitaire! Pas le moindre petit lièvre. C'était gai, là-bas, dans la forêt, quand sur le tapis de neige le lièvre passait en bondissant, oui, même quand il sautait par-dessus moi; mais, dans ce temps-là, je n'aimais pas ça. Quelle affreuse solitude, ici!»
«Pip! pip!» fit une petite souris en apparaissant au même instant, et une autre la suivait. Elles flairèrent le sapin et furetèrent dans ses branches.
– Il fait terriblement froid, dit la petite souris. Sans quoi on serait bien ici, n'est-ce pas, vieux sapin?
– Je ne suis pas vieux du tout, répondit le sapin. Il en y a beaucoup de bien plus vieux que moi.