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De quels doux souvenirs mon âme est attendrie!

Sur ce, coup de clairon de Bourgogne-Cavalerie :

Je ne sais pas encor si la jeune Hébé m'aime.

Mais ses yeux sont si doux quand nous nous reffarJons! ..

Sylvie murmure :

... Au joug de l'hyménée Parmi nous une belle est à peine enchaînée Qu'elle prend un despote et non pas un époux.

— Non, proteste M. de Coudray :

Croyez-moi, changez de pensée Prenez de plus doux sentimentsl

Hallali. Le cœur de Sylvie qui, depuis le matin, parbleu, ne deman-dait que la défaite, avoue ceci :

Il est d'heureux moments, des moments où le cœur Est ouvert sans défense et n'attend qu'un vainqueur...

Et M. de Coudray, retroussant sa moustache en galant officier de Bourgogne'CaValérie, entonne la fanfare de triomphe :

Et quand on songe à s'embrasser. Oh! qu'il est ennuyeux d'écrire !

Oh! oh! Halte là ! Pas de suppositions avcnture'es. Ce roman vrai du XVIII» siècle est un roman honnête, l^Almanack des Muses fut un entremetteur matrimonial ; les Mélanges d'histoire locale, déjà consultés tout à l'heure, le constatent, M. de Coudray et M'" Sylvie de Ligneul se marièrent aux Islettes vers le milieu de cette belle année 17S9.

La phrase finale et naïve des anciens contes peut<elle leur éire appliquée? Furent-ils heureux et eurent-ils beaucoup d'enfants ? Sans nul doute, l'ave-nir devait leur tenir en réserve de longues années de joies paisibles et douces ; ils avaient l'amour, la jeunesse, la beauté, une honnête fortune, une habitation charmante, les beaux cm "^ - brages des Islettes,,.. le bonheur, enfin!

Cupidon, sur son autel en rocaille, devait sourire et se préparer à rayer le mot Philosophie pour rétablir l'invocation primitive : Amour !

IV

Ouvrons encore les Mélanges d'histoire locale, et voyons ce qu'il y avait sur le livre du destin pour chacun des deux époux ;

a ... Pendant la période révolutionnaire, les Islettes eurent une existence agitée. Les nouveaux propriétaires s'y calfeutrèrent pour laisser passerrorage,maisletonnerreles atteignit. M.de Coudray, qui avait donné sa démission d'otHcier, paraît s'être jeté bientôt, et vigoureusement, dans le mouvement contre-révolutionnaire ; blessé au 10 août, menacé d'arrestation, il resta quelque temps caché aux Islettes auprès de sa femme, puis passa en Angleterre, d'oCi il gagna la Vendée. Pris à l'attaque du château de Pornic, il fut, quatre jours après,guillotiné à Nantes, dans une fournée de Vendéens, et M"* de Coudray, restée aux Islettes, faillit avoir le même sort. Arrêtée sur la dénonciation d'un comité, accusée de détenir aux Islettes un dépôt d'armes, lesperquisitionneurs ayant misia main sur les fusils de chasse de M. de Coudray, elle fut, heureusement pour elle.

oubliée quelques mois dans la prison de Beauval et ne panit à Paris, avec un convoi de Carmélites, qu'à la veille même de Thermidor.

Délivrée mais complètement ruinée, elle revint s'enfermer aux Islenes qu'elle quitta en 1809 pour se remarier à un magistrat de la ville, M. F... Elle mourut plus qu'octogénaire, vers 1860... »

M™ F....! — Ainsi la Sylvie de Ligneul de VAImanach des Muses, c'était la vieille M'"* F... entrevue aux jours d'enfance dans les rues de Beauval, une petite vieille mince et frêle qui se faisait, le dimanche, rouler à l'église dans une vinaigrette par un Caleb presque également vénérable J La vieille dame dans son antique véhicule, espèce de chaise à porteurs montée sur roues, était une des curiosités de la ville; sa figure encore rose et peu ridée, impassible, fîgée dans une expression de distraction dédaigneuse, encadrée avec une sorte de coquetterie de dentelles et d'épaisses boucles blanches, apparaissait aux gens de Beauval, à travers le carreau de la vinaigrette, comme la personnification d'un passé fabuleusement lointain.

Avait-elle dû penser à Bourgogne-Cavalerie au doux temps de sa jeunesse, rêver aux ombrages des Islettes, pendant sa longue vie, aux côtés d'un vieux magistrat rigide, dans sa vieille maison étroite et froide plantée au fond d'une ruelle solitaire, aux grands murs moisis!

Pauvre Bourgogne-Cavalerie! pauvre Sylvie!

Ainsi le souffle du destin avait brutalement balayé leurs rêves; ils avaient été pris, les deux amoureux, par la tempête formidable et roulés dans la grande catastrophe faite de millions de catastrophes particulières. Le pimpant ofScicr de 1789, en quittant les Islettes pour se lancer dans la chouannerie, emporta VAlmanack des Muses, en souvenir des jours heureux, et, jusqu'au voyage final, de Pornic aux rues sanglantes de Nantes, il relut sans dôme bien souvent, avec un amer sourire aux lèvres en songeant aux douces heures passées sous la charmille à côté de Sylvie, les poésies légères, lespastoralesetlesmadrigaux d'avant le déluge.

Les Islettes, divisées en une quinzaine de lots, ne sont plus les Islettes; le château contient les bureaux, et l'habitation d'un gros manufacturier, qui de la charmille surveille les cheminées de son usine noircissant Tazur à 5oo métrés au delà. Le parc bouleversé, coupé en tranches égales, en jardins carrés et niaisement combinés, contient deux belles rangées de maisons bien régulières, des cubes d'un bourgeoisisme effréné, avec des boules de verre devant les portes et des statuettes de galants jardiniers en zinc. Disparu, le temple de la Nature! écroulé définitivement, le petit Amour rococo! finies, les Islettes !

Et toi, pauvre Almanach des Muses, qui, du salon des Islettes, en passant par les plaines de la Vendée guerroyante et par les sinistres prisons de Nantes, t'en vins échouer dans la boite à 12 sous des quais, repose en paix maintenant chez un ami, à l'abri pour le plus longtemps possible, je l'espère, dans un bon coin, sur le rayon le plus tranquille et le plus poétique de la bibliothèque.

L'HÉRITAGE SIGISMOND

LUTTES HOMÉRIQUES D'UN VRAI BIBLIOFOL

ment qu^en ces termes : Ce petit intrigant de Guillemard, mon ami,... cet affreux roublard de Guillemard !

Ah ! c^est qu'ils avaient brûlé des mêmes feux pour les mêmes divinités reliées en vélin estampé ou en vieux maroquin, soupiré sous la dentelle des mêmes livres rares, des mêmes éditions étonnantes et introuvables, c'est quMIs avaient tourné autour du même « exemplaire unique relié aux armes de François P% Mazarin, ou M""® de Pompadour », des mêmes incunables ou princeps, c^est encore qu'ils avaient creusé des mines aux approches de certains livres adorés de loin pendant des ans et des ans, ouvert des sapes, donné des assauts, c'est qu'ils s'étaient enfin livré de furieux combats au billet bleu, c'est que l'un avait souvent infligé à l'autre de cruelles défaites ou que celui-ci avait forcé celui-là à remporter des vestes mémorables ! — Rien ne lie autant que la rivalité.

Guillemard et Sigismond s'étaient rencontrés chaque jour pendant vingt ans aux mêmes bons endroits, ils avaient même parfois, au feu des enchères, poussé la familiarité jusqu'au tutoiement; mais toujours, pour l'aimable Guillemard, son rival était resté ce gredin de Sigismond, sauf toutefois depuis les derniers six mois.

Car l'aimable bibliophile Sigismond venait de trépasser, il y avait environ un semestre, abandonnant douloureusement sur cette terre son incomparable bibliothèque ; il était devenu simplement « cet animal de Sigismond ».

M. Guillemard consultait tous les jours le calendrier. — Comment, voilà six mois que mon ami est relié en chêne et l'on n'annonce pas encore sa vente?.,. Voilà des héritiers bien négligents ! A quoi pensent-ils donc, ces Iroquois?