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— Oui, comte, Phistoire de cette momie! reprîmes-nous tous ensemble.

— Vous le voulez, messieurs? le récit ne sera pas long et Paventure ne vaut que par le résultat; cependant la voici :

III

Il y a trois ans, en janvier 1879, j'étais allé faire à Nuremberg une de ces chasses au bibelot que j'affectionne tout particulièrement, en mes heures de spleen, surtout en hiver, quand la jolie ville bavaroise montre ses pignons, ses tours, ses portails couverts de neige, et que les étrangers et les pèlerins de Bayreuth ne sont plus là, le Bœdeker en main, pour troubler la paix de ses rues et la solitude nécessaire au véri-table chercheur.

Je venais de faire une promenade pittoresque sur les rives de la Pegnitz et de m^émerveiller le regard à la vue d'un blanc panorama de campagne éclairé par le soleil anémié de la saison, lorsqu^en revenant du côté de Saint-Sebald, j'entrai dans la maison du vieux Juif brocanteur Abraham Lévy, que vous connaissez tous, je suppose, et où, pour ma part, j^ai toujours trouvé quelque babiole précieuse à emporter.

Le bonhomme me fit voir ses coffres, ses bahuts, ses faïences rares, ses plaques de poêles locaux; je le suivis d^étage en étage jusqu^au grenier, et je redescendais avec la sourde irritation de n'avoir rien trouvé, quand il me proposa d*aller visiter quelques panneaux de bois sculpté conservés dans ses caves. — Il alluma sa lanterne, et nous nous trouvâmes bientôt sous des voûtes d'une superbe ordonnance architecturale, qui avaient dû naguère appartenir à quelque couvent d'avant la Réforme. — Je le suivais, les pieds mal assurés sur un sol humide, quand, tout à coup, je heurtai une boîte d'où s'échappa une boule que je frappai du bout de ma bottine et que je vis rouler sous la lumière du médiocre fanal du papa Lévy.

La curiosité du chercheur, vous le savez, ne néglige rien et s'épand sur toutes choses ; je m'inclinai pour ramasser la boule, et ce ne fut pas sans un saisissement d'effroi et de dégoût que je sentis sous mes doigts la crevasse des yeux et les chairs racornies de la tête que vous venez de contempler à votre aise.

— Laissez ça, monsieur le comte, me dit négligemment le vieux Juif.

— Non pas^ père Lévy; je garde le macchabée. Seriez-vous criminel? est-ce une de vos victimes?

— Ah ! que non, monsieur le comte ; j'ai trouvé cette vilaine caboche il y a plus de quinze ans, avec des liasses de paperasses inutiles, dans une crédence du xvi« siècle, qui venait, m'a-t-on dit, de la maison d'un sieur Cari Fleischman, docteur de Nuremberg, descendant d'un grand chirurgien d'autrefois; les écrits qui enveloppaient ce masque affreux racontaient tout cela, mais cette histoire n'a pas d'importance et n'intéresse personne ; laissez donc cette tète de côté, monsieur le comte.

Le bonhomme n'était nullement troublé; il ne voyait pas, dans ce débris humain, la possibilité d'une affaire à conclure; mais, je ne sais pourquoi, je ne pouvais abandonner ce morceau momifié, je le tenais entre le pouce et l'index dans la cavité des orbites, et je me sentais anxieux de l'examiner en plein jour.

— Allons, mon père Lévy, cherchez-moi ces papiers et remontons à la lumière... Et je me disais involontairement à part moi : Qui sait, peut-être n'aurai-je point aujourd'hui entièrement perdu ma journée?

Quand je vis, je vous l'avoue, continua notre hôte, dans la clarté neigeuse du rez-de-chaussée, la mâle énergie de ce visage que ni la mort ni l'embaumement n'avaient pu effacer, je me décidai, par un sentiment que vous comprendrez, à retirer cette relique humaine du ghetto où elle menaçait de pourrir, sinon d^étre brutalisée dans Péternel déménagement des mobiliers de toutes provenances qui s^y trouvaient déposés ; j^attendis donc que le Juif m^apportât les pièces manuscrites dont il m^avait parlé, et quand il m^eut jeté sur une table une brassée de parchemins, jaunis, souillés, à demi mangés par les rats et Phumidité, je glissai au brocanteur un billet de cent marcs qu^il accepta avec d'infinis témoignages de reconnaissance, et je regagnai mon hôtel, emportant avec piété, intérêt et mystère ma funèbre découvene.

IV

L^anecdote, vous le voyez, n^a rien de particulièrement rare dans sa note positive, reprit, après quelques instants, le comte W*** ; un romancier dMmagination, amoureux des broderies littéraires et des mises en scène pathétiques, pourrait peut-être en tirer des effets palpitants et mystérieux, mais j'estime que rien ne vaut la vérité dépouillée de toute la joaillerie du style; au surplus, comme le remarquait tout à Pheure le général, Thistoire pourrait tirer de mon aventure autant de parti que la fîaion, car, diaprés les papiers que j^ai inventoriés et lus avec attention, voici quel serait le fragment biographique du gentilhomme qui dut porter fièrement cette admirable tête.

Durant la néfaste guerre de Trente ans qui ravagea si brutalement, si longuement et si profondément le centre de l'empire germanique, des hommes de toutes nationalités prirent du service dans les corps de l'Electeur palatin, dans ceux de Christian IV^ de Tilly, de Wallestein, de Gustave-Adolphe et des autres illustres personnages de cette épopée extraordinaire et compliquée, dont Schiller, en historien plus dramatique et pittoresque que vraiment fidèle, nous retrace les exploits, les vicissitudes, les coups de théâtre imprévus et les événements innombrables.

On peut dire que jamais, au cours des temps modernes, on ne vit une conflagration plus générale, plus cruelle et plus sanglante.

Toutes les grandes nations d'Europe apparurent et brillèrent tour à tour sur la scène, et je n'ai pas besoin de vous rappeler que, pour arriver à se reconnaître dans les excessives péripéties de cette guerre monstrueuse, il est devenu nécessaire de la diviser en quatre périodes successives : la période palatine, la période danoise, la période suédoise et la période française qui dure de i635 à 1648.

C^est pendant cette dernière période que je place Thistoire de celui dont nous admirons aujourd'hui le chef momifié.

Rappelez-vous que tandis que le général Torstenson, qui succéda à Baner^ faisait des prodiges de valeur à Breitenfeld et s'emparait de Leipzig^ les Français, sous les ordres de^Guébriant, poursuivaient contre les Impériaux une lutte qui demeura longtemps sans résultat définitif, car ce ne fut qu^en 1646 que Français et Suédois, envahissant et ravageant la Bavière, forcèrent PElecteur à abandonner la cause de TEmpire.

Parmi les seigneurs de marque qui combattaient aux côtés de Turenne et du duc d^Enghien, se trouvait un comte Bernard d'Harcourt, admirable soldat, sobre, désintéressé, sévère et rude, disent les documents que je possède, et qui descendait en droite ligne de cette belle lignée de héros normands dont la maison remonterait, diaprés certains généalogistes, à Bernard le Danois, un des pirates du Nord qui accompagnèrent Rollon en France.

Ce Bernard d'Harcourt qui, en i64i,*se vit blessé devant Ratis-bonne, avait, paraît-il, toutes les vertus et la bravoure des guerriers de ce temps merveilleux; c'était un risque tout, un indomptable amoureux des périls, se jetant toujours en avant, poitrinant à Tennemi, passant à travers la mitraille, un ardent au feu qui montrait pour la mort ce sincère mépris qu'affichaient alors tous les fanatiques religieux.

En août 1645, à la bataille de NOrdlingen, il se signala tout particulièrement dans la lutte contre les troupes impériales que commandait ce brave à tous poils, le général bavarois comte de Mercy, dont la position dans la plaine semblait inexpugnable.