Выбрать главу

Sous ce premier coffre, un second coffre plus délicatement ouvragé encore, à l'intérieur aussi bien qu'à l'extérieur, et enfin le cercueil définitif couvert de longues bandes d'or chargées d^inscriptïons. C'éuit, à

LE MANUSCRIT DE LA MO.MiK [Peinture iniéneure du second coff.e)

n'en point douter, la momie d^un roi qu'il s'agissait de transporter, sans tarder, à la direction des musées et des fouilles, ainsi que les canopes, vases sacrés où les viscères du mort avaient été déposés, les stèles d'albâtre, les bijoux et objets de prix qu'on avait réunis.

Ce fut en grande cérémonie et devant une assemblée de savants distingués que l'on procéda & la dépouille de la momie dans une des grandes salles du musée du Caire. Robert Magrin était ému par le mystère de sa trouvaille plus qu'il ne l'avait jamais été au cours de ses expéditions périlleuses. L'examen du premier coffre fit découvrir le cachet d'un roi de la XII" dynastie, Na-Lou-Pa... ou quelque chose d'approchant. La momie, qui bientôt apparut, portait encore le klaft ou coiffure souveraine, et le long de son maigre corps avaient été placés les sceptres et le flabellum, insignes et emblèmes de sa puissance souveraine et de sa domination sur les deux terres, la haute et la basse Egypte.

Revêtu de sa blouse d'ana-tomiste, armé de son scalpel, le docteur F..., bien connu de tous les archéologues égyptiens, procéda au dépouillement de la momie, qui avait été étendue sur une planche reposant sur deux chevalets. Il trancha les premières bandelettes et déligota lentement la pièce rigide et noirâtre, tandis que le conservateur adjoint du musée fournissait aux assistants les renseignements précis sur l'examen sommaire des documents écrits, découvens dans le tombeau, ei dont l'importance, paraît-il, était exceptionnelle.

Roben Magrin, presque grisé par l'odeur acre et pénétrante qui se dégageait des bitumes et des aromates depuis si longtemps concentrés sur ce corps et que l'air vivifiait avec une trop soudaine intensité, se sentait mal & l'aise et inquiet. Ce sportsman n'était décidément pas fait pour ces missions scientifiques ; sa gorge était serrée par ces émanations d'outre-tombe, et toutes ces poussières impalpables, qui prenaient leur essor dans l'atmosphère, pénétraient en lui, l'indisposaient plus qu'il n'aurait su le^dire, et, pour la première fois peut-être, pensoit-il sérieusement au néant des êtres, à la vanité de toutes choses devant ces résidus fanés qui se brisaient au moindre toucher.

Cependant, tandis que le conservateur recueillait les papyrus qu'il avait charge de restaurer et de reconstituer, le docteur F... continuait placidement son opération minutieuse et peu à peu apparaissait plus fluette, plus osseuse, plus lamentable, la ligne de ce petit corps de roi desséché, dont les dernières bandelettes de lin masquaient maintenant à peine le visage. L'ultime voile qui couvrait la tête fut enSn déroulé et la figure de la momie fut visible; mais, à la stupeur générale, on s'aperçut qu'elle portait sur le front, contrairement à l'usage, un large bandeau d'or sur lequel était gravée une inscription, qui parut d'abord indéchiffrable et qui nécessita une longue consultation des Egyptologues assemblés.

Ce visage apparaissait terrible, tant la bouche, meublée de toutes ses dents, était proéminente et menaçante; mais, en dépit des corynètesrufipés, insectes, eux aussi millénaires, qui avaientrongé la basse partie du masque, les lignes du crâne étaient fort belles, et il se dégageait de ce resUnt de roi une impression vraiment souveraine, autoritaire et fatidique; aussi les assistants restèrent-ils silencieux et presque consternés lorsque le conser-vateur du musée donna la traduaion du texte inscrit sur le bandeau d'or royal.

« Messieurs, de l'avis unanime de nos collègues ici présents, les caractères gravés sur le métal du frontal contiennent cette prophétie :

<Celui qui aura été asse^ audacieux et impie pour violer ma sépulture en sera puni — dans Vannée même qui suivra cette spoliation; — son corps sera brisé, meurtri, pulvérisé et nul ne trouvera trace de ses ossements.

Chacun se retourna du côté de Robcn Magrin; il était pâle, maïs souriant, sceptique ; il demanda à emponer le bandeau d'or et la téie momifiée du roi Na-Lou-Pa, puis il partit d'une allure assurée et la mine insoucieuse.

— Mon cher lord, dis-je k mon complaisant narrateur, qui semblait un peu fatigué et ému, votre histoire dans sa concise exposition est aussi fanustique et aussi étonnante que tous les romans de Gautier, de Poe et de Hawthorne, et je m'étonne que vous, qui savez si bien donner ua charme mystérieux & cet inquiétant problème de la vie et de la mort, ne l'ayez point écrite... — Quel joli titre: te Bandeau de la Momie, « The Mummy's headband >, ou mieux encore : le Bandeau du Roi.

Vous oubliez le loisir pour faire un tel conte, reprit mon interlocuteur, dans un milieu où la politique est comme le simoun desséchant la pensée créatrice... et puis, voyez-vous, les récits vrais sont plus difficiles à enchâsser dans la griffe d'un style personnel que les fictions que notre imagination nous suggère. C'est trop écrit, comme disent les artistes vis-i-vis d'une chose trop précise h rendre; il n'y a de beau et de vrai pour le romancier amoureux de sa profession que ce qui n'existe pas.

— Cependant, mon ami, les broderies ne manqueraient pas autour de ces faits positifs. Vous avez le motif principal, mais tout le reste esta créer : le début, la psychologie de votre sportsman, ses états d'âme, ces fameux états d'âme des bourgetisants, puis enfin la conclusion, la réalisation de la prophétie d'outre-tombe...

— Mais elle existe, Dear fellow, cène conclusion, et elle est aussi a coupdethéâtre > que tout ce que je pourrais combiner. Elle mérite de votre part quelques minutes d'attention, incurîeux que vous êtes; jVn tiens le récit de William Magrin en personne; il est simple, terrible, concis; écoutez-le :

Après la découverte du tombeau du roi Na-Lou-Pa, Roben Magrin abandonna la conquête des hypogées; il licencia ses ouvriers et reprit la vie errante. L'Egypte, qui déjà l'avait ensorcelé, en le lançant dans des aventures archéologiques contraires à son tempérament de bas de cuir, de vrai trappeur indomptable , cette vieille Égyp«e devait de nouveau le métamorphoser en amoureux, lui pour qui la femme n'avait jamais été jusque-là qu'un simple passe-temps hygiénique.

En remontant le Nil aux environs de Louqsor, il rencontra sur le bateau la Cîrcé qui devait faire capituler son cœur; c'était une jeune Américaine, fille d'un sénateur du Colorado, une de ces créatures exquises et volontaires qui jettent le lazzo de leur dévolu autour du cou d'un homme et qui ne le lâchent plus qu'il ne les ait conduites au pied des autels. La petite Yankee trouva dans Robert Magrin l'homme qui réalisait son idéal de romanesque confonable; il était jeune, solide, téméraire, supérieur dans tous les exercices du corps et, de plus il possédait assez de dollars pour défrayer toutes les fantaisies. C'était donc le héros rêvé. Robert, de son côté, ne résista point, et deux mois après la première entrevue, les noces Eurent célébrées à Londres. Le journal England iliustrated News publia un dessin gravé en commémoration de cette cérémonie, qui préoccupa, quelques jours durant, tous les printing offices de la iZité.

Le nouveau marié, à peine installé en une princière demeure, au milieu de laquelle il avait conservé, dans sa library, la tête desséchée du roi d'Egypte munie de son bandeau d'or fatal, repartit bientôt pour l'Afrique. C'était son voyage de lune de miel, combiné avec un but déterminé de consacrer quelques mois à la chasse de l'éléphant, car vous savez que la poursuite de ce lourd mammifère est devenue un art qui a ses règles et sa stratégie, et Robert Magrin ne pouvait certes pas vieillir sans y être passé maitre.