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TROISIÈME CONJURÉ. – Profitez donc du moment favorable, avant qu’il s’explique et qu’il gagne le peuple par ses discours; qu’il sente votre fer; nous vous seconderons. Lorsqu’il sera couché sur la terre, alors vous raconterez son histoire suivant vos intérêts; et votre harangue ensevelira son apologie avec son corps.

AUFIDIUS. – Cessons nos discours; voici les nobles qui arrivent.

(Entrent les sénateurs volsques.)

LES SÉNATEURS, à Aufidius. – Nous vous félicitons de votre retour dans notre ville.

AUFIDIUS. – Je ne l’ai pas mérité: mais, dignes sénateurs, avez-vous lu avec attention l’écrit que je vous ai fait remettre?

TOUS. – Nous l’avons lu.

PREMIER SÉNATEUR. – Et sa lecture nous a affligés. Les fautes que nous avions à lui reprocher auparavant pouvaient, je pense, aisément s’oublier; mais de finir par où il aurait dû commencer, sacrifier tout le fruit de nos préparatifs de guerre, en faire retomber tout le fardeau sur nous-mêmes en signant un traité avec Rome, lorsque Rome se rendait à nous, c’est un crime qui n’admet aucune excuse.

AUFIDIUS. – Il approche: vous allez l’entendre.

(Coriolan paraît, marchant au milieu des instruments de guerre et des drapeaux; le peuple le suit en foule.)

CORIOLAN. – Salut, seigneurs: je reviens votre soldat, et je rapporte un cœur qui n’est pas plus entaché de l’amour de mon pays, qu’il ne l’était lorsque je suis sorti de cette ville. Je vous suis toujours dévoué, et tout prêt à suivre vos ordres. Vous devez savoir que j’ai commencé notre expédition avec succès: et que j’ai conduit vos armées par une route sanglante jusqu’aux portes de Rome. Les dépouilles que nous rapportons dans cette ville surpassent d’un tiers les dépenses de l’armement. Nous avons fait une paix aussi honorable pour Antium qu’elle est ignominieuse pour Rome. Nous vous en présentons ici le traité, et les articles, signés des consuls et des patriciens, et scellés du sceau du sénat.

AUFIDIUS. – Ne lisez pas, nobles sénateurs: mais dites au traître qu’il a abusé à l’excès des pouvoirs que vous lui aviez confiés.

CORIOLAN. – Traître! Comment donc?

AUFIDIUS. – Oui, traître! Marcius!

CORIOLAN. – Marcius!

AUFIDIUS. – Oui, Marcius, Caïus Marcius. Espères-tu que je te ferai l’honneur de te décorer du surnom de Coriolan, que tu as volé dans Corioles? Entendez ma voix, vous, sénateurs; vous, chefs de cet État: il a trahi lâchement vos intérêts, et cédé pour quelques gouttes d’eau Rome qui était à vous. Oui, Rome était à vous, il l’a lâchement cédée à sa femme et à sa mère. Il a violé ses serments, et rompu la trame de ses desseins aussi facilement que le nœud d’un fil usé; et sans qu’il ait assemblé aucun conseil de guerre, à la seule vue des larmes de sa nourrice, de vains gémissements, des clameurs de femmes lui ont fait lâcher une victoire qui était à vous, les pages ont rougi pour lui et les gens de cœur se sont regardés de surprise les uns les autres.

CORIOLAN. – Ô Mars, l’entends-tu?

AUFIDIUS. – Ne nomme point ce dieu, toi, enfant larmoyant.

CORIOLAN. – Ah! dieux!

AUFIDIUS. – Un enfant, rien de plus.

CORIOLAN. – Insigne menteur, tu fais gonfler mon sein d’une rage qu’il ne peut plus contenir. Moi, un enfant? Ô lâche esclave! – Pardonnez, illustres sénateurs; c’est la première fois que j’aie jamais été forcé de quereller en vaines paroles. Votre jugement, mes respectables seigneurs, doit démentir ce misérable roquet; lui-même sera forcé de convenir de son imposture, lui qui porte les traces de mes coups sur son corps et qui les portera jusqu’au tombeau.

PREMIER SÉNATEUR. – Silence, tous deux, et laissez-moi parler.

CORIOLAN. – Mettez-moi en pièces, Volsques, hommes et enfants! plongez tous vos poignards dans mon sein. Un enfant! Lâche chien! – Si vous avez écrit avec vérité les annales de votre histoire, c’est à Corioles que, semblable à l’aigle qui fond dans un colombier, j’ai réduit les Volsques au silence de la peur; moi seul je l’ai fait. Un enfant!

AUFIDIUS. – Quoi, sénateurs! vous souffrirez qu’il retrace à vos yeux le souvenir d’un succès qu’il ne dut qu’à l’aveugle fortune, et qui vous couvrit de honte? Vous entendrez en paix cet orgueilleux infâme vous insulter en face, et se vanter de vos affronts?

LES CONJURÉS. – Qu’il meure pour cette insulte.

DES VOIX DU PEUPLE. – Mettons-le en pièces à l’heure même: il a tué mon fils, ma fille; il a tué mon cousin Marcus; il a tué mon père.

(Des bruits confus s’élèvent dans toute l’assemblée.)

SECOND SÉNATEUR, au peuple. – Cessez ces clameurs: point d’outrage. Silence. C’est un brave guerrier, et sa renommée couvre toute la terre. Ses dernières fautes envers nous seront soumises à un jugement impartial. Aufidius, arrête, et ne trouble point la paix.

CORIOLAN. – Oh! si je le tenais lui, avec six autres Aufidius, et même avec toute sa race, pour me faire justice avec mon épée!

AUFIDIUS. – Lâche insolent!

TOUS LES CONJURÉS. – Tuez-le, tuez-le.

(Les conjurés tirent tous l’épée, se jettent sur Coriolan, le tuent; il tombe, et Aufidius le foule aux pieds.)

LES SÉNATEURS. – Arrêtez, arrêtez, arrêtez.

AUFIDIUS. – Mes nobles maîtres, daignez m’entendre.

PREMIER SÉNATEUR. – Ô Tullus!

SECOND SÉNATEUR. – Tu as fait une action qui fera pleurer la Valeur.

TROISIÈME SÉNATEUR. – Ne foulez point ainsi son corps: contenez vos fureurs; remettez vos épées.

AUFIDIUS. – Seigneurs, quand vous saurez (dans ce moment de fureur qu’il a provoquée, il m’est impossible de vous l’apprendre), quand vous saurez l’extrême danger où vous exposait la vie de cet homme, vous vous réjouirez de le voir ainsi mis à mort. Daignez me mander à l’assemblée du sénat; je vous prouverai mon fidèle et loyal dévouement, ou je me soumets à votre jugement le plus rigoureux.

PREMIER SÉNATEUR. – Emportez son corps, et pleurez sur lui. Qu’il soit regardé comme le plus illustre mort que jamais héraut ait conduit à son tombeau!

SECOND SÉNATEUR. – Son propre emportement absout à moitié Aufidius du blâme qu’il pourrait mériter. Faisons servir cet événement à notre plus grand avantage.

AUFIDIUS. – Ma fureur est passée, et je me sens pénétré de douleur. Enlevez-le. Aidez-nous, trois des principaux guerriers: je serai le quatrième. Que le tambour fasse entendre un son lugubre. Traînez vos piques renversées: oublions que cette ville renferme une foule de femmes qu’il a privées de leurs maris et de leurs enfants, et qui, maintenant encore, gémissent dans le deuil et les larmes; il laissera un noble souvenir. Venez, aidez-moi!

(Ils sortent, emportant le corps de Coriolan, au bruit d’une marche funèbre.)

Fin du cinquième et dernier acte.

(1607)

[1] SECOND CITOYEN. – One word, good citizens.

PREMIER CITOYEN. – We are accounted poor citizens; The patricians good.