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— Donc, vous ne connaissez nullement cette personne.

— Nullement.

— Elle habitait Le Raincy.

— Jamais mis les pieds.

— L’assassin présumé a laissé une lettre manuscrite.

Le commissaire se grattait le crâne avec son crayon d’un air pensif.

— Voyez-vous, monsieur, je me demande si le mieux, pour en finir tout de suite, ce ne serait pas que vous nous remettiez un exemplaire de votre écriture.

André était sidéré. Il restait assis, sans pouvoir bouger.

— Une simple comparaison visuelle, dit le commissaire, et c’est terminé, on n’en parle plus. Mais c’est comme vous voulez, vous n’y êtes pas obligé.

Le cerveau d’André fonctionnait au ralenti.

— Qu’est-ce que je dois écrire ?

Il s’était levé et avancé jusqu’à son bureau, il avait pris son stylo. Il tira, d’un geste machinal, une feuille de papier, mais il était si perturbé que maintenant, il ne savait plus que faire.

— Ce que vous voulez, monsieur, ça n’a pas d’importance.

André regardait la page blanche. Y tracer un simple mot lui donnait l’impression vertigineuse de rédiger des aveux, c’était cauchemardesque. Il écrivit : « Je n’ai rien à voir avec cette affaire et j’exige que la police en informe les journaux à la minute même. »

— Pouvez-vous signer aussi, je vous prie ? Pour la forme.

André signa.

— Alors, me voilà parti. Merci, monsieur, pour votre coopération.

— Vous allez publier l’information très vite, n’est-ce pas ?

— Oh oui, bien sûr.

Le commissaire regarda la feuille avec satisfaction, la plia soigneusement en quatre avant de la placer dans la poche intérieure de son pardessus.

— Ah oui, une chose encore, monsieur…

André se figea, c’était éprouvant, cette situation… Fichet regardait par la fenêtre en se grattant le menton, absorbé par un souci, mais il ne se décidait pas à parler, André l’aurait giflé.

— Les empreintes…

— Quelles empreintes ?

— Je ne veux pas vous importuner avec des détails trop techniques, mais la comparaison des écritures n’est pas une méthode totalement scientifique. C’est « empirique », comme nous disons dans notre jargon. Tandis que les empreintes, là, c’est du cent pour cent !

André comprenait le concept, mais ne voyait pas très bien ce qu’on attendait de lui. Il avait fourni un exemplaire de son écriture… Il réalisait… On réclamait… ses empreintes ?

— Qu’est-ce que vous me demandez au juste ?

— Eh bien, en comparant votre écriture et celle de la lettre retrouvée sur place, si tout le monde est d’accord pour dire qu’elles n’ont rien à voir, le juge le fera savoir aux journaux, affaire classée pour ce qui vous concerne. Mais supposez que quelqu’un hésite, qu’il dise « Moi, je ne suis pas trop sûr, je n’en mettrais pas ma main au feu… », eh bien, me revoilà dans votre bureau dans deux heures. Tandis que si je repars avec vos empreintes, le temps pour le laboratoire de les comparer avec celles qui ont été relevées sur place, on publie le résultat et là, pas de discussion, c’est scientifique, comprenez-vous ?

Vingt minutes plus tard, le commissaire quittait la rédaction de L’Événement avec les empreintes d’André Delcourt.

André était effondré.

Fichet avait saisi son index avec une poigne peu commune, il avait écrasé sa phalange sur le papier en la roulant de droite et de gauche, sans le prévenir, il avait ensuite pris tour à tour le majeur et le pouce, André regardait ses doigts noircis par l’encre. Avec son spécimen d’écriture, il s’était imaginé suspect. Avec ses empreintes, il se voyait coupable…

Il s’était laissé déborder par ce flic…

Il aurait dû faire appel à un avocat. Il quitta son bureau, descendit respirer sur le boulevard, allons, il fallait garder son calme. Au fond, son écriture et ses empreintes allaient le mettre définitivement hors de cause.

Ce qu’il fallait, c’est que cette information soit très vite publiée.

Il hésita à appeler Montet-Bouxal. Non, il le ferait quand il aurait le démenti en main.

Il marchait à grands pas, sa décision s’affermissait, ces fonctionnaires étaient visiblement de bonne volonté, mais tout cela risquait de traîner en longueur, or ce qui lui manquait le plus, c’était précisément du temps. Il fallait accélérer les choses.

Pour la première fois de sa vie, il s’apprêtait à faire ce qu’il était toujours parvenu à éviter : solliciter une relation, une intervention. Mais l’heure tournait. Il attrapa un taxi, se fit conduire au ministère de la Justice, demanda le chef de cabinet.

— Vous avez tout à fait raison, mon cher André. Nous n’allons pas rester inactifs. Je vais appeler moi-même le juge d’instruction. À quelle heure est-il venu vous voir, ce policier ?

— Il y a une heure.

— C’est plus qu’il n’en faut pour comparer deux empreintes, je vous le garantis ! Au plus tard à midi, ce sera terminé ! Je vais exiger un communiqué du ministère. En tout début de journée.

— Merci, mon cher, au moins, vous comprenez la situation…

— Mais parfaitement ! D’ailleurs, de vous à moi, je ne vois pas sur quel argument on est venu ainsi vous déranger. Être cité ou plagié n’est pas un délit, que je sache !

Fin septembre. Il faisait assez doux. Le brouillard des derniers jours s’était totalement dissipé. Le boulevard respirait une ultime tiédeur d’été. Les arbres perdaient leurs feuilles paresseusement. André était soulagé.

Le démenti serait publié en début de journée, à quatorze heures, quinze heures peut-être.

Il entra dans un bureau de poste, demanda le numéro.

— C’est très gênant, cette histoire, dit Montet-Bouxal.

— Un communiqué dans moins de deux heures, le ministère me l’a garanti.

— Bien, nous verrons.

— Mais enfin ! C’est moi la victime !

— Moi, je le sais, mais… C’est une question d’image, comprenez-vous ? Bon, faites-moi envoyer le communiqué du ministère dès sa parution, hein ?

Cette conversation l’avait de nouveau alarmé. Était-ce une bataille déjà perdue ? Il n’arrivait pas à le croire.

Qu’y avait-il à faire ?

Rien. Attendre.

Rentré chez lui, où il avait tout laissé en plan, il mesura la densité des événements vécus en une matinée. Il était très déprimé. Il s’en voulait sans bien savoir ce qu’il aurait dû faire.

Il n’avait pas faim.

Il retira sa chemise, il avait envie de pleurer.

Avant de s’agenouiller au milieu du bureau, il ouvrit le tiroir.

Son cœur se souleva : le fouet avait disparu.

43

On frappa à la porte.

André, affolé par cette découverte, ramassa sa chemise en toute hâte, l’enfila, qui pouvait bien frapper ainsi, quelle heure était-il ? Il était désorienté, les boutons lui glissaient dans la main, il fut saisi d’un frisson qui le balaya des pieds à la tête et dont il sortit transi. Nouveaux coups.

— Qu’est-ce que c’est ?

Sa voix lui fit l’effet de sortir d’une caverne, il en entendit l’écho qui se mêlait à une autre.

— C’est moi, monsieur ! Commissaire Fichet.

André se retourna vers le tiroir. Il en était certain, ce fouet, il ne l’avait jamais rangé autre part…