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Desjani le fixa, éberluée. « En touristes ? » Au terme de cent années d’une guerre cruelle, l’idée d’un voyage d’agrément dans ce qu’elle avait regardé toute sa vie durant comme un territoire ennemi lui restait incompréhensible.

« Ouais. » Geary reporta son regard sur l’image holographique de la planète habitée. « Ce monde offre des panoramas spectaculaires. Il a quelque chose d’unique, même au regard des innombrables planètes colonisées par l’humanité. Une spécificité qu’on ne peut apprécier que sur place. C’est du moins ce que tout le monde en disait.

— D’unique ? » Desjani semblait plus que dubitative.

« Ouais, répéta Geary. J’ai assisté à l’interview d’un homme qui l’avait visité. Selon lui, ce monde avait un côté un peu effroyable. Comme si tous vos ancêtres venaient se planter à vos côtés pendant que vous regardiez autour de vous. Mais peut-être Baldur a-t-elle beaucoup changé depuis, puisqu’elle n’a pas bénéficié d’un portail de l’hypernet. »

Il jeta un regard à Desjani, qui semblait un tantinet circonspecte mais, en même temps et comme à son habitude, toute prête à croire sur parole un homme dont elle était persuadée qu’il avait été envoyé par les vivantes étoiles pour sauver l’Alliance.

Elle montra son écran holographique. « Souhaitez-vous qu’on épargne cette planète, en ce cas ? »

Geary faillit s’étrangler. Après un siècle d’atrocités réciproques, les officiers de l’Alliance eux-mêmes pouvaient se montrer d’un sang-froid terrifiant. « Oui, réussit-il malgré tout à répondre. Dans la mesure du possible.

— Très bien, acquiesça Desjani. Les installations militaires semblent surtout être orbitales, si bien que, si nous devions les anéantir, nous n’aurions pas à bombarder la surface.

— Bien commode », convint sèchement Geary. Il se rejeta en arrière en s’efforçant de se détendre ; ses nerfs étaient soumis à rude épreuve depuis que la flotte était entrée dans le système de Baldur.

« Des unités combattantes du Syndic ont été signalées en orbite autour de la troisième planète, annonça comme à point nommé la vigie de combat de l’Indomptable. Un autre vaisseau de guerre a été repéré à quai dans une station orbitale de la quatrième. »

Espérant que cette annonce ne l’avait pas trop visiblement ramené à se concentrer, Geary grossit l’image des bâtiments ennemis sur son écran. Ceux qu’on n’avait pas repérés jusque-là ne pouvaient être que de taille réduite. C’était le cas. « Trois corvettes de cinq sous obsolètes et un croiseur léger encore plus vétuste. » Ce croiseur est plus vieux que moi. Et nous livrons tous les deux une guerre dans un avenir bien plus lointain que nous ne l’avions prévu. Au moins suis-je probablement en meilleure forme physique que cet antique bâtiment.

« Distance : cinq heures-lumière et demie, confirma Desjani. Gravitant entre la troisième et la quatrième planète. Ils nous verront approximativement dans cinq heures. » Elle sourit. « Ils ne nous attendaient pas, de toute évidence. »

Geary lui rendit son sourire avec soulagement. Chaque fois que la flotte émergeait d’un saut, il s’attendait à tomber sur une embuscade des Syndics. Le seul moyen de l’éviter était de contraindre leurs chefs à tenter de deviner le système où elle émergerait la prochaine fois. La seule absence de vaisseaux de guerre postés en sentinelles près du point de saut laissait entendre qu’ils ne se doutaient pas qu’elle viserait ce système stellaire, ou pas assez tôt, tout du moins, pour y dépêcher un vaisseau estafette. « Il y a de grandes chances qu’ils filent en vitesse. Sinon, je veux une analyse de tout ce qui mériterait à leurs yeux d’être protégé.

— Oui, capitaine, convint Desjani en faisant signe à l’une de ses vigies. Autre chose, capitaine ?

— Hein ? » Geary se rendit compte qu’il fixait intensément son écran et il relâcha délibérément l’air qu’il avait retenu dans ses poumons. « Non. »

Mais Desjani avait deviné ce qui le tracassait. « La flotte donne l’impression de maintenir la formation.

— Oui. » Elle en donne l’impression. Si un seul de ses combattants les plus extérieurs se mettait en tête d’attaquer les vaisseaux syndics, l’Indomptable ne s’en apercevrait que près de trente secondes plus tard. Mais tous, en effet, semblaient garder la formation. Ce que je m’efforce sans cesse d’expliquer aux officiers de cette flotte sur l’utilité de la discipline au combat a peut-être réussi, finalement, à leur entrer dans la tête. Pensée pleine d’allégresse.

Rione ne tarda pas à la doucher. « Sauf s’ils ne la maintiennent que parce que les vaisseaux ennemis ne sont qu’au nombre de cinq et à une demi-heure-lumière de nous. Leur interception exigerait un bon bout de temps, même à accélération maximale. »

Desjani lui jeta un autre regard noir, tout en procédant sur son écran à la simulation de cette interception. « Si les Syndics conservaient ce cap sans prendre de vitesse, elle demanderait vingt-cinq heures à accélération et décélération maximales, confirma-t-elle à contrecœur. Mais je peux vous garantir, madame la coprésidente, qu’avant que le capitaine Geary n’assume le commandement certains de nos vaisseaux se seraient déjà lancés à leur poursuite. »

Rione eut un mince sourire et hocha la tête. « Je n’ai aucune raison de douter de cette affirmation, capitaine Desjani.

— Merci, madame la coprésidente.

— Non, capitaine. Merci à vous. »

L’espace d’un instant, Geary se réjouit que ses officiers ne portassent point une épée de cérémonie. À voir le regard que lui lançait Desjani, Rione devrait également s’en féliciter. « Très bien, annonça-t-il assez fort pour retenir l’attention des deux femmes. Selon toute apparence, ce système stellaire ne se préparait pas à notre arrivée. Nous avons donc une bonne chance de les intimider, assez pour leur éviter une bêtise. » Desjani opina immédiatement, imitée quelques secondes plus tard – délai suffisamment long pour être remarquable – par Rione. « Capitaine Desjani, veuillez diffuser une annonce à l’intention de toutes les installations syndics : toute tentative pour entraver la progression de cette flotte ou l’attaquer déclenchera des représailles massives.

— Oui, capitaine. Signée de votre nom ?

— Ouais. » Geary n’avait jamais aspiré à un sobriquet inspirant la terreur, mais, manifestement, de nombreux Syndics croyaient eux aussi au légendaire héros de l’Alliance Black Jack Geary.

« Vos messages sont généralement plus longs », déclara Victoria Rione.

Geary haussa les épaules. « J’essaie une tactique différente. Ils ne connaissent pas nos intentions, si bien qu’ils s’inquiètent et se posent des questions. Assez, peut-être, pour qu’ils se tiennent tranquilles et ne tentent pas de nous contrecarrer. » Quoiqu’elles se résument à gagner le prochain point de saut. Il étudia son écran et constata que la trajectoire conduisant à celui de Wendaya décrivait une longue parabole au-dessus du plan du système de Baldur. La flotte n’aurait pas à s’approcher des installations syndics, et, d’ailleurs, rien de ce qu’y possédait l’ennemi n’aurait pu s’opposer à elle.

C’était d’une perfection si inespérée qu’il se surprit à vérifier à deux reprises, peu enclin à admettre une situation n’offrant aucun danger apparent.

Mais rien n’avait l’air de clocher. Il se détendit de nouveau et entreprit de réfléchir à sa formation, puis afficha les données du statut individuel de chacun de ses vaisseaux. On ne pouvait échanger que des informations très limitées dans l’espace du saut, mais, depuis l’arrivée de la flotte à Baldur, les rapports concernant l’état des bâtiments affluaient automatiquement sur les écrans de l’Indomptable. S’il en avait eu le désir, Geary aurait pu s’informer du nombre de ses spatiaux affligés d’un rhume de cerveau à bord de chaque vaisseau. Il avait connu des commandants qui concentraient leur attention sur ces détails triviaux et s’attendaient plus ou moins à ce que le véritable travail de la gestion de la flotte se fît de lui-même.