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Ce rappel de Gundel facilita sa décision. Tyrosian n’était sans doute pas parfaite, mais les autres branches de l’alternative étaient encore pires. Et, bon sang de bois, autant que je le sache, elle a fait de son mieux ! « Capitaine Tyrosian, vous me voyez fort mécontent de devoir affronter cette situation, et j’aurais aimé que vous m’en avisiez plus tôt. Mais vous avez identifié l’origine du problème et je me fie à vous pour prendre des mesures interdisant qu’il se reproduise. » Au moins avait-il la certitude qu’elle le ferait à présent. « Il faudrait que vous évaluiez de votre mieux la liste des besoins que nous devrons combler, et qu’on prépare aussi une équipe d’ingénieurs à débarquer physiquement sur toutes les installations minières des Syndics pour dresser l’inventaire de leurs réserves. Acquittez-vous de ces deux tâches. »

Tyrosian cligna des yeux, comme stupéfaite. « Oui, capitaine. » Se rendait-elle compte qu’elle avait frisé la relève ? Probablement. Sans doute ne faisait-elle pas partie de ses meilleurs officiers mais au moins de ceux qui restaient assez doués pour comprendre le sens du mot responsabilité. Contrairement aux pires. Si seulement les plus stupides de ses commandants avaient l’intelligence de remettre spontanément leur démission après avoir commis une grosse bourde… Hélas, même conscients d’avoir à ce point merdé, ils s’en abstenaient, bien entendu. C’était d’ailleurs l’un des traits de caractère qui en faisaient des idiots.

Geary gratifia Tyrosian d’un autre regard empreint de confiance. « Il me faudrait aussi un plan pour réapprovisionner les vaisseaux de la flotte en énergie et en équipement avec ce que les auxiliaires ont fabriqué en route, en accordant la priorité à ceux dont les réserves sont les plus basses.

— Oui, capitaine. Aucun problème. Peut-on ajuster la formation en conséquence ?

— Ouais. Je tiens à voir cette opération effectuée le plus tôt possible.

— Ce sera fait », promit Tyrosian. Elle hésita une seconde. « Je suis désolée, capitaine. »

Geary marqua lui aussi une pause. Cette fois, il veilla à afficher la plus sincère des expressions en lui adressant un signe de tête. « Merci, capitaine. Je le savais déjà. C’est bien pour cette raison que vous demeurez aux commandes du Sorcière et de la division des auxiliaires, et pourquoi je reste persuadé que vous exercerez correctement ces deux fonctions. »

Il ferma un instant les yeux après que l’image de Tyrosian se fut effacée ; il espérait s’en être bien tiré, tout en se demandant s’il avait parlé franchement ou s’il n’avait pas tout bonnement joué à un petit jeu politique. Présenter un masque à l’adversaire peut tenir un aussi grand rôle dans la victoire que plusieurs divisions de cuirassés. Ça ne le dérangeait pas, mais il lui fallait parfois agir de la sorte avec ses propres officiers et jamais il n’avait réussi à s’y faire. Croyait-il sincèrement en Tyrosian ou la regardait-il comme le moins exécrable des choix qui s’offraient à lui ? Mais même si c’est le cas, à quoi bon le lui dire ?

Il y a du pain sur la planche. Cesse de ressasser. Geary rouvrit les yeux et se replongea dans l’examen de l’hologramme du système de Baldur. Il n’était absolument pas certain qu’ils obtiennent ces minerais des Syndics, mais au moins savait-il qui il devait prier de s’acquitter de cette tâche. Il tapota sur ses touches pour afficher une nouvelle fenêtre. L’image du commandant de ses fusiliers spatiaux apparut au bout de quelques instants. « J’ai une mission à confier à vos hommes, colonel Carabali. »

C’est reparti. Geary se composa une contenance puis pénétra dans le compartiment où il tenait des réunions stratégiques avec les officiers de la flotte. La salle n’était pas très large et la table qu’elle abritait n’aurait permis qu’à une douzaine de personnes tout au plus de s’y installer ; mais les logiciels de conférence virtuelle donnaient l’impression d’agrandir assez ses dimensions pour héberger tous les commandants de vaisseau. Bien qu’il y eût déjà organisé d’innombrables réunions, Geary se demandait encore si c’était un bien ou un mal.

Il s’installa en tête de table et balaya ses deux flancs du regard. Ses officiers supérieurs semblaient assis près de lui, tandis que la file des autres s’étirait à l’infini, par ordre d’ancienneté, jusqu’aux plus jeunes commandants de vaisseau installés tout au fond. Seule une autre personne était physiquement présente : le capitaine Desjani, que cette réunion semblait enthousiasmer à peu près autant que Geary lui-même, encore qu’il espérât mieux le dissimuler.

L’absence des capitaines Numos et Faresa, deux sérieuses épines dans son flanc, d’ordinaire « assis » non loin, ne le réconforta guère. Les ex-commandants de l’Orion et du Majestic étaient sans doute aux arrêts mais n’en représentaient pas moins, même dans ces conditions, une source constante de sédition. Il suffisait à Geary de suivre des yeux les deux rangées d’officiers pour repérer des regards méfiants ou des visages cherchant soigneusement à cacher leurs sentiments réels. Heureusement, l’expression de certains officiers reflétait aussi une quasi-vénération de Black Jack Geary (bien décourageante malgré tout) et une immense foi en lui ; d’autres se fiaient moins en la légende de Black Jack et davantage à l’homme qui avait su conduire la flotte jusque-là. Il ne pouvait s’interdire de se demander combien il se passerait de temps avant qu’il ne commît une bévue assez épouvantable pour que la réalité de son humaine faillibilité ne pulvérise cette foi croissante.

« Bienvenue à Baldur », commença-t-il non sans se remémorer, en même temps qu’il prononçait ces paroles, qu’elles avaient constitué un siècle plus tôt le titre d’un documentaire populaire. Mais nul ne réagit ; sans doute était-il le seul de la flotte à se le rappeler. Ça n’avait rien d’extraordinaire, évidemment. « J’avais l’intention de faire passer la flotte au-dessus du plan du système, mais, comme d’habitude, nos plans ont été chamboulés. »

Une onde d’intérêt courut tout du long de la table virtuelle, tandis que Geary allumait un écran devant lui. Une représentation de l’étoile jaune de Baldur flottait au centre, scintillant dans le vide ; ses plus importantes planètes gravitaient autour et des symboles éparpillés par tout le système indiquaient les sites d’installations ou d’activités du Syndic. « Nous allons devoir rendre une petite visite à l’installation minière de la quatrième lune de la seconde géante gazeuse. » Le symbole qui la désignait brilla plus vivement. « Les auxiliaires ont besoin de se réapprovisionner en minerais bruts essentiels, et c’est là que nous les obtiendrons. Ou, plutôt, que nos fusiliers les obtiendront. » D’un signe de tête, il passa la parole au colonel Carabali.