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À l’instar de Geary, Carabali avait grimpé au sommet de la hiérarchie à la suite de l’assassinat de son supérieur par les Syndics durant des négociations. Dans la mesure où elle était un fusilier spatial, traiter avec ces officiers de la flotte qui l’entouraient ne l’intimidait guère. Elle s’exprimait à présent avec toute la sécheresse cadencée et la précision d’un officier instructeur : « Nous craignons que les Syndics ne contaminent ou ne détruisent les réserves de minerais dont nous avons besoin…

— Pourquoi ? » l’interrompit une voix.

Le regard de Geary se braqua sur la femme qui venait de parler : capitaine Yin, commandant intérimaire de l’Orion ; sans nul doute une protégée de Numos. Elle semblait légèrement nerveuse mais hostile malgré tout, et peut-être copiait-elle inconsciemment son attitude sur celle de Numos. « Si vous voulez bien permettre au colonel Carabali de poursuivre son exposé, vous aurez la réponse à votre question », déclara-t-il d’une voix plus âpre qu’il ne l’avait escompté.

Carabali regarda autour d’elle puis reprit la parole : « Les minerais en question sont des éléments trace. La flotte a pu avoir la confirmation de la présence dans cette installation minière des stocks dont elle a besoin en analysant les transmissions à l’intérieur de ce système, ainsi qu’en procédant à son inventaire depuis notre position actuelle. Dans la mesure où la dimension relativement réduite de ces stocks rend leur sabotage ou leur contamination assez aisée, le capitaine Geary m’a demandé de planifier un raid destiné à prendre par surprise les gens qui occupent cette installation et, peut-être, la défendent. »

Carabali s’interrompit et le capitaine Tulev, du croiseur de combat Léviathan, lui décocha un regard intrigué mais dénué de toute hostilité. « Par surprise ? Comment diable pourrions-nous procéder ?

— Il nous faut leurrer les Syndics, les abuser sur nos intentions réelles, répondit Geary. Ils nous verront arriver, mais nous devons les persuader que nous allons nous contenter de survoler leur installation pour la détruire au passage, et non pour la piller. » Il pressa quelques touches et un faisceau de trajectoires incurvées s’afficha au sein de l’hologramme du système de Baldur, entre planètes et astéroïdes. « Nous partirons des limites extérieures du système pour progresser vers l’intérieur en frôlant les installations syndics sur notre route, et en les détruisant au fur et à mesure avec nos lances de l’enfer à courte portée… »

Cette fois, ce fut le capitaine Casia du cuirassé Conquérant qui le coupa en fronçant les sourcils : « C’est absurde ! Les Syndics eux-mêmes ne nous croiront jamais capables de perdre notre temps à engager le combat à bout portant contre des cibles fixes alors qu’il nous suffirait de larguer des projectiles cinétiques de loin. »

Geary vérifia et obtint la confirmation de ses soupçons : comme le Majestic et l’Orion, le Conquérant appartenait bel et bien à la troisième division de cuirassés. Sans doute éclipsé par Numos et Faresa, le capitaine Casia ne s’était pas distingué au cours des réunions précédentes. Rien, dans les souvenirs de Geary, ne lui permettait d’affirmer que Casia était de leur bord, aussi répondit-il sans animosité déclarée : « On pourrait raisonnablement présumer que notre flotte a épuisé tous ses projectiles cinétiques. De fait, après tous ceux que nous avons employés à Sancerre, c’est effectivement le cas. En outre, ce système stellaire ne représente pas pour nous une menace significative. Dans ces conditions, il resterait parfaitement sensé d’épargner nos projectiles cinétiques pour recourir aux lances de l’enfer. Les Syndics croiront nos réserves de projectiles cinétiques encore plus basses qu’elles ne le sont en réalité, ce qui pourrait aussi nous servir à l’avenir. »

Casia se mordit les lèvres en fronçant imperceptiblement les sourcils. L’image du capitaine Duellos, commandant du croiseur de combat Courageux, attira le regard de Geary : il venait de décocher à Casia un coup d’œil péremptoire, tout en dévisageant son collègue sans mot dire. Au terme d’un assez long laps de temps, sans doute attribuable à la distance séparant l’Indomptable du Conquérant, Casia secoua la tête. « Nous manquons tous de projectiles cinétiques. Que fabriquent donc les auxiliaires ?

— Des cellules d’énergie, capitaine Casia, répliqua Duellos, sur un ton gouailleur qui fit monter le rouge aux joues de son interlocuteur. Vous voulez certainement être en mesure de manœuvrer votre vaisseau, j’imagine, ou bien préférez-vous dériver dans le vide avec une pleine dotation en projectiles cinétiques sous la main ? »

Au vu de la réaction des autres officiers, Geary n’eut aucun mal à se faire une idée du statut dont jouissait Casia au sein de la flotte. Nombre d’entre eux accueillirent par un sourire la réflexion narquoise de Duellos, mais d’autres parurent plutôt s’indigner contre lui. Bizarre, dans la mesure où Geary ne se rappelait pas que cet homme lui eût causé des ennuis au préalable. Pourquoi les mécontents avaient-ils brusquement décidé de se rallier à lui ?

Il abattit le poing sur la table pour prévenir d’autres commentaires. « Merci, capitaine Duellos. D’autres questions, capitaine Casia ?

— Oui. Oui, en effet. » Casia s’était levé pour mieux souligner ses paroles. « J’ai cru comprendre que nous avions besoin de ces minerais parce que les auxiliaires ne s’étaient pas convenablement réapprovisionnés à Sancerre. La flotte tout entière a été mise en péril, mais les responsables restent impunis. »

Il s’interrompit, tandis que Geary jetait un coup d’œil vers le capitaine Tyrosian et la voyait se raidir. « Est-ce une simple constatation ou une question ? s’enquit-il.

— Les… Les deux.

— En ce cas, répondit Geary sur un ton égal, je peux vous assurer que le capitaine et moi avons débattu de ce problème et qu’elle garde toute ma confiance, ainsi que le commandement de la division des auxiliaires.

— Que lui avez-vous dit ? » demanda Casia.

Geary ne put s’empêcher de froncer les sourcils. De fait, il fixa l’homme sans changer d’expression. Il prit soudain conscience de ce qui se passait : une discussion de cette espèce, qui ne se contentait pas d’examiner le pour et le contre d’une ligne d’action mais défiait ouvertement le commandant de la flotte et s’efforçait de manipuler ceux qui lui apportaient leur soutien, aurait été impensable dans la spatiale qu’il avait lui-même connue. À tout instant, dorénavant, Casia risquait d’exiger qu’on procédât à un vote pour l’obliger à retirer son commandement à Tyrosian.

Mais ça n’arriverait pas tant qu’il serait aux commandes. « Capitaine Casia, déclara-t-il de sa voix la plus glaciale, je n’ai pas l’habitude de débattre en public de mes conversations privées avec mes officiers. Ce que j’ai pu dire au capitaine Tyrosian reste entre elle et moi, tout comme ce que je pourrais vous confier en tête à tête resterait entre nous.

— Nous méritons bien de savoir si vous prendrez des décisions efficaces… commença Casia.

— Seriez-vous en train de mettre en cause mon autorité et ma légitimité à commander cette flotte, capitaine Casia ? » demanda Geary d’une voix qui résonna dans toute la salle.

Le silence régna un instant puis le capitaine Tulev donna l’impression de se parler à lui-même, encore que sa voix portât : « Les Syndics ont appris à leurs dépens, à Caliban, Sancerre et Ilion, que le capitaine Geary était un commandant très efficace. »

La voix du capitaine Yin hésitait légèrement quand elle reprit la parole : « Les traditions de la flotte exigent un débat ouvert et un consensus parmi les commandants. Quel mal y a-t-il à vouloir les respecter ? Pourquoi le capitaine Geary ne serait-il pas favorable au maintien de traditions qui ont permis à la flotte de poursuivre la guerre ? »