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Le capitaine Desjani avait gardé le silence jusque-là, mais cette attaque directe contre Geary la fit bondir. « Le capitaine Geary croit en nos traditions ! Il nous en a même rappelé d’oubliées !

— Le capitaine Geary les avait lui-même établies voilà un siècle ! » insista une autre voix. Celle, à la grande surprise de Geary, du capitaine de frégate Gaes du Lorica. « Il se bat ! Et, plus capital encore, il sait s’y prendre ! Il n’a jamais envoyé cette flotte dans un piège des Syndics, lui ! »

Cette allusion transparente au désastre de Vidha mit momentanément un terme au débat. Casia et Yin jetaient des regards noirs à Gaes, mais celle-ci les dédaignait ouvertement. Après avoir choisi de suivre le capitaine Falco et sa force rebelle, et l’avoir vue taillée en pièces à Vidha, elle ne témoignait probablement plus aucune tolérance envers ceux qui prônaient ces mêmes défis au commandement de Geary, défis qui se soldaient par une pareille débâcle.

Casia finit par secouer la tête. « La flotte est dans une situation délicate. Elle ne peut pas se permettre de rester à la merci d’officiers qui sont dans les petits papiers de son commandant, qu’ils soient ou non compétents.

— Ça suffit ! » Geary constata que tous s’étaient tournés vers lui et il prit brusquement conscience que c’était lui qui avait parlé sur ce ton. Il en changea, non sans un gros effort sur lui-même, et s’efforça d’adopter celui d’un commandant plutôt que d’un dieu courroucé. Ou d’un Black Jack. « Capitaine Casia, la flotte a déjà connu trop d’officiers incapables d’assumer leurs responsabilités. Je ne tolérerai plus aucun homme de cette espèce à un poste de commandement. Est-ce bien clair ? » Casia rougit mais garda le silence. « Maintenant, comptez-vous accuser d’incompétence un autre des commandants de vaisseau ici présents ? » Il le rudoyait délibérément pour le contraindre à rengracier publiquement. Il en était conscient et savait qu’il n’aurait pas dû abuser ainsi de son autorité. Il devait guider ces hommes et non les pousser à plier devant lui. Mais, pour l’heure, il était écœuré jusqu’à la nausée de la politique et des officiers supérieurs qui semblaient s’y adonner même quand cela compromettait la survie de la flotte. « Eh bien ?

— Non, répondit Casia d’une voix étranglée.

— Je suis le commandant de cette flotte et votre supérieur, capitaine Casia.

— Non… capitaine Geary.

— Merci. » Relève-le immédiatement de ses fonctions pour insubordination. Boucle-le avec Numos, Faresa, Kerestes et ce cinglé de Falco. Ajoute le capitaine Yin pour faire bonne mesure.

Pourquoi devrais-je supporter ces imbéciles ? Cette flotte sera davantage en sécurité quand ils ne seront plus dans mes jambes. S’ils avaient cessé de me défier…

Geary inspira une longue bouffée d’air. Malédiction ! Je perds la tête. Où cette route me mènerait-elle si je l’empruntais ? Combien d’officiers me verrais-je contraint de saquer pour m’assurer que seuls ceux qui me sont fidèles resteront aux commandes ? Et quand j’en aurai viré un assez grand nombre, aucun n’osera plus me parler franchement, me dire si je me trompe ou si j’ai raison. Et cette flotte périra, car mes ancêtres savent que je me suis bien souvent trompé et que j’ai fréquemment fait des erreurs. « Colonel Carabali. Poursuivez, je vous prie. »

Le colonel des fusiliers hocha la tête comme s’il ne s’était rien passé et reprit son exposé. Rien de fantaisiste ni de compliqué : sur sa route vers l’intérieur du système, la flotte croiserait devant plusieurs installations syndics et les pulvériserait tour à tour avec les lances de l’enfer des canons à particules. Mais, à l’approche de la quatrième lune de la seconde géante gazeuse, elle commencerait à décélérer et larguerait ses navettes chargées d’un commando de fusiliers. Si la manœuvre était bien synchronisée, les navettes n’auraient à parcourir qu’un trajet d’une demi-heure avant de débarquer leurs fusiliers. « Même si les Syndics réussissent à deviner pourquoi la flotte de l’Alliance cherche à occuper cette installation, il ne leur restera pas, espérons-le, le temps d’organiser une défense efficace ni d’endommager leurs réserves, déclara Carabali en guise de conclusion.

— En cas de besoin, la première division de cuirassés de reconnaissance les soutiendra à peu de distance, ajouta Geary. L’Exemplaire et le Cœur de Lion ont donné la preuve de leur efficacité à cette tâche. » C’étaient aussi les seuls cuirassés rescapés de cette division, mais nul ne releva.

Geary montra les trajectoires que suivraient les vaisseaux de la flotte : chacune des paraboles s’incurvait au travers du système de Baldur comme autant de cimeterres braqués sur les installations syndics. « Sans doute ce dispositif exigera-t-il davantage de temps qu’un trajet en ligne droite vers notre objectif. Mais nous décélérerons aussi à 0,05 c pour simplifier le réapprovisionnement de la flotte. Vous recevrez tous le plan de vol et de réapprovisionnement dans l’heure.

— Nous pourrions faire davantage de dégâts si elle était répartie en plusieurs petites formations », suggéra le capitaine Cresida, du croiseur de combat Furieux. Elle avait plus ou moins gardé le silence pendant le débat mais ne pouvait désormais résister à la tentation d’argumenter le plus possible sur le plan de bataille.

Geary reconnut la pertinence de son objection d’un hochement de tête. Cresida faisait partie, avec Tulev et Duellos, de ses meilleurs commandants. « C’est exact. Mais je tiens à restreindre au maximum l’emploi des cellules d’énergie jusqu’à ce que nous ayons fait main basse sur ces stocks d’éléments trace, et je me refuse à scinder escadrons et divisions tant que je n’aurai pas la certitude que tous sont bien approvisionnés.

— Et les vaisseaux de guerre syndics ? » demanda le capitaine de frégate Neeson, du croiseur de combat Implacable, sans tout à fait réussir à dissimuler sa déception à la perspective de ne pas participer cette fois à la force d’intervention rapide.

Le capitaine Desjani montra l’hologramme. « Ils se sont dispersés. Deux des corvettes piquent vers un des points de saut permettant de quitter Baldur et que nous utiliserons peut-être nous-mêmes, et la troisième et le croiseur léger vers l’autre. »

Le capitaine Duellos opina. « Des sentinelles. Une corvette sautera probablement de chaque point dès qu’elle l’aura atteint, pour rendre compte de notre présence à Baldur, tandis que les deux autres vaisseaux attendront que nous ayons quitté le système pour informer les autorités de celui que nous aurons emprunté. »

Difficile de ne pas lire la déception sur tous les visages, mais il était tout bonnement impossible de permettre à la flotte d’engager le combat avec ces vaisseaux syndics. Même si elles étaient plus lentes que tous les vaisseaux de la flotte hormis les quatre auxiliaires, les corvettes avaient beaucoup trop d’avance. « Nous allons causer de très importants dommages aux installations syndics de ce système, fit remarquer Geary. Et, encore une fois, c’est l’ennemi qui fournira à nos auxiliaires les matériaux bruts dont nous avons besoin. »

Le manque d’enthousiasme était palpable. Ses plus proches alliés eux-mêmes ne semblaient guère excités, mais il n’y avait pas non plus matière à s’affoler. Baldur n’était qu’une brève escale dans un long voyage de retour. Ils devraient ensuite traverser Wendaya en combattant, puis un autre système solaire et un autre encore…