Выбрать главу

Je me détournai, sans mot dire. Je ne pouvais regarder mes visiteurs, je respirais à peine.

– Eh bien?

– Eh bien, Bergstolz, le gros, et Kopiline ont fourni des explications satisfaisantes. Porphyre Filipovitch a dû te le raconter. En premier lieu, pourquoi auraient-ils commis le meurtre et amené le portier aussitôt après. On dit que la porte était ouverte. Ils sont allés prévenir le portier que la porte était fermée à l’intérieur, et en revenant ils l’ont trouvée ouverte. C’est là qu’est la pierre d’achoppement; cela les a déroutés, eux, ainsi que Bergstolz.

– Je sais, fit Bakavine. Il rachetait à la vieille les objets non dégagés à temps. C’est un filou; il en est toujours ainsi chez nous, puisque c’est un filou, puisqu’il rachetait des objets non dégagés, on en déduit que c’est lui l’assassin. Pourquoi avoir conclu cela? Quel baveur!

– Je sais que vous avez failli vous battre avec Porphyre chez les Porochine. C’est vrai qu’il est fier mais il est très doué, il fera un excellent juge d’instruction. Avec les réformes actuelles nous avons besoin de ces hommes pratiques.

– Et qu’est-ce qui est arrivé ensuite? interrompit Bakavine d’un ton mécontent.

– Voilà. Ces deux types, l’étudiant et Bergstolz, n’ont plus été inquiétés. Des dizaines de témoins les avaient vus pendant la dernière demi-heure. Ils ont présenté pour chaque minute un témoin spécial.

– Je sais tout cela.

– De plus, les portiers les avaient vus entrer, d’abord Bergstolz, ensuite l’étudiant. Ce dernier venait dégager un objet, le temps qu’il y est resté, trois minutes au plus, ne pouvait suffire à commettre un meurtre, encore que le portier ait trouvé les deux cadavres tièdes. Par conséquent, juste au moment où ces messieurs cognaient à la porte l’assassin se trouvait dans l’appartement. Ils l’avaient surpris, dérangé et l’auraient attrapé comme une souris si Bergstolz, ennuyé d’attendre l’étudiant, n’était pas allé, sot qu’il est, chercher le portier lui aussi. L’assassin souleva le crochet et s’enfuit aussitôt.

– (Je connais toutes ces suppositions.) On croit que lorsque les autres sont revenus l’assassin se cachait dans l’appartement vide. Je connais cette hypothèse, ajouta Bakavine, d’un ton moqueur.

– C’est évident, s’écria vivement Razoumikhine comme s’il prévoyait des objections, sinon on l’aurait rencontré.

– Malheureusement, tout cela, murmura Bakavine en faisant une moue, est beaucoup trop fin. Il y faudrait plus de clarté et plus de consistance.

– Quel type tu fais, Bakavine, s’écria Razoumikhine avec une expression de douleur et de vif reproche, tu es un garçon sans égal un cœur des plus nobles, et pourtant tu es rempli d’une haine! Parce que vous fréquentez, tous les deux dans la même maison et que vous vous êtes chamaillés pour des raisons idiotes, il faut que tu t’obstines à contredire et à ne pas comprendre ce qui est l’évidence même. À mon avis, Porphyre a deviné juste, mais juste!

– Vois-tu, dès le début, se présente un problème qu’il ne peut pas résoudre, dit tranquillement Bakavine: Lizaveta et la vieille se trouvaient-elles ensemble dans l’appartement quand l’assassin les a tuées ou bien les a-t-il égorgées séparément.

– Séparément, séparément, vociféra Razoumikhine, échauffé. C’est là le point essentiel, toutes les conjectures sont à présent basées là-dessus.

– Séparément? Donc, il s’est mis à égorger la vieille et a oublié de fermer la porte, puisque l’autre femme est venue plus tard. Sinon, l’aurait-il laissée entrer? Il aurait eu peur et se serrait caché comme à l’arrivée de Bergstolz.

– C’est que précisément cette porte ouverte est un fait précieux qui aide à établir toute l’histoire.

– C’est bien fini…

– Ce n’est pas fini du tout. Bakavine, mon vieux, il suffit que tu prennes quelqu’un en grippe pour que tu sois prêt à le déchirer. Parce que Porphyre et toi vous faites la cour à la même jeune fille ce n’est pas une raison pour…

– Ne raconte pas de bêtises, répliqua Bakavine en pâlissant mais toujours calme.

– Des bêtises? Les faits ont démontré que ce ne sont pas des bêtises ni des théories en l’air. À présent tout est reconstitué, cela a dû se passer ainsi. Premièrement, l’assassin, quel qu’il soit, est une personne inexpérimentée.

– Le (juge d’instruction) Semionov affirme que l’homme était habile et expérimenté, habile, le nœud…

– Il ment, il en a menti. Du reste il ne l’avait dit que tout au début, à présent il est de notre avis. L’homme était certainement malhabile et inexpérimenté, c’était là son premier crime. Il était tellement troublé qu’il en a oublié même de refermer la porte. (C’est là, c’est la vérité exacte, le fondement de tout. Question de psychologie. Pourquoi ris-tu?) Il n’a su que tuer, car il n’a même pas trouvé le temps de prendre l’argent. Les obligations à 5 % étaient là, dans le coffre.

On a retrouvé près de quinze cents roubles qu’il n’avait pas pris; il s’est contenté de quelques petites bricoles, bonnes à rien; il se peut même qu’il n’ait rien pris et notamment non pas parce qu’on l’aurait dérangé mais pour la raison que troublé comme il l’était il ne savait quoi choisir. Il est vrai qu’on l’avait également dérangé. Lizaveta est rentrée; mais parfaitement, elle n’était pas à la maison et ne pouvait y être, d’ailleurs on a retrouvé auprès d’elle son sac avec lequel le portier l’avait vue entrer par la porte cochère et monter chez elle. Cela a eu lieu dix minutes avant qu’on eût trouvé les femmes assassinées. Par conséquent, le coup a été consommé en cinq minutes environ. Le meurtrier, effrayé que la porte fût ouverte, ce qui avait permis à Lizaveta de rentrer, s’enferma dans l’appartement. Remarque: il a lavé sa hache. À cet instant Bergstolz et Kopiline surviennent et se mettent à cogner à la porte; pourtant le point essentiel c’est que pas plus tard qu’avant-hier matin on a apporté au commissariat de police des boucles d’oreilles, engagées dans le cabaret du paysan Morterine le soir même du crime, et précisément par le peintre qui travaillait dans l’appartement vide. Les boucles se trouvaient dans un étui, qui était enveloppé dans du papier; la vieille avait l’habitude d’inscrire sur ces papiers le nom du possesseur du gage, plusieurs objets retrouvés dans le coffre étaient enveloppés de la même manière et portaient des noms. L’ouvrier a tout avoué, il a apporté le papier qu’il avait laissé dans l’appartement.

– Il a avoué? cela veut dire…

– Précisément, cela ne veut rien dire. À votre avis, ce n’est pas… Voilà pourquoi nous nous sommes remués; il a tout expliqué et a dit la vérité. Cet objet, ces boucles d’oreilles, continua Razoumikhine d’une voix distincte et solennelle, cet étui il l’a trouvé derrière la porte de l’appartement vide, à l’heure même, presque au même instant où le portier, Bergstolz et l’étudiant montaient là-haut et apercevaient les cadavres.

– Comment le prouve-t-il?

– On l’a vu, on l’a vu! C’est qu’on l’a vu. Trois témoins qui sont passés dans l’escalier à peu près à ce moment-là l’ont vu. Bergstolz et l’étudiant avaient témoigné, dès le début, lorsque personne ne soupçonnait encore le peintre, que celui-ci se tenait sur le palier quand ils étaient montés l’un après l’autre et avaient trouvé la porte fermée.