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Soudain, on frappa un coup léger à la vitre. Il se leva, la main sur la crosse. Qui pouvait venir à dix heures du soir ? Avec sa torche il éclaira l’extérieur et reconnut Chuck, l’un des chauffeurs des bétonneuses. Un Noir d’une trentaine d’années. John pensa tout de suite qu’il avait oublié quelque chose dans sa bétonneuse.

John Webster tira le verrou et ouvrit. Chuck pénétra aussitôt, sourit au gardien. Avant que celui-ci soit revenu de sa surprise, deux autres Noirs se glissèrent dans le baraquement. Des inconnus pour John. Celui-ci fronça les sourcils. Pourtant, il n’avait que cinq dollars sur lui. On ne tue pas un homme pour cinq dollars. Bien qu’avec ces dingues de camés… Il examina attentivement les deux inconnus. Il semblaient calmes et froids, bien habillés même.

— C’est une drôle d’heure pour venir me voir, remarqua-t-il d’un ton faussement enjoué. Et avec des copains encore. T’as paumé quelque chose ?

Chuck secoua la tête.

— Non, non.

— Ben alors, qu’est-ce que tu viens foutre ?

John Webster cachait sa peur comme il le pouvait. Chuck se balança d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.

— Je vais prendre le camion pour un moment.

— Quoi ?

John Webster crut avoir mal entendu. Qu’est-ce qu’on pouvait faire avec une bétonneuse en pleine nuit ? Cela sentait le coup fourré. Ils allaient vendre les pneus, le moteur, et tout ce qui s’ensuit.

Il recula, pour avoir les trois Noirs dans son champ de tir. Mais son vieux cœur battait la chamade.

— Hé ! c’est une blague ?

Chuck secoua la tête.

— Non, je prends le camion.

Soudain, John vit le pistolet dans la main d’un des Noirs. Un colt 45 braqué sur lui, le chien relevé. Il n’avait même pas le temps de tirer son arme. Une coulée glacée lui noua l’estomac.

— Chuck. fit-il d’une voix étranglée.

Il ne pouvait détacher les yeux du trou noir. Le Noir était impassible, et John sentit que sa vessie allait lui jouer un tour. Il se laissa tomber sur une chaise.

— Je prends le camion pour une heure et je le ramène, parole, man, dit Chuck. Et on n’y fauche rien. On va juste se balader.

John Webster ne comprenait plus. Qu’est-ce que c’était que cette histoire de camion pour aller se balader ? Ce n’est pas avec une bétonneuse de trente tonnes qu’ils allaient draguer des gonzesses.

Chuck sortit, laissant John en tête à tête avec les deux Noirs. Il entendit le moteur de la bétonneuse gronder. Les vitesses crièrent, le lourd véhicule s’ébranla et tourna pour venir stopper devant la guérite de John Webster. Chuck se pencha du haut de sa cabine. Le second Noir ouvrit la porte et le rejoignit.

— À tout à l’heure, John, cria Chuck.

Le Noir au pistolet sourit, sans méchanceté.

— Je reste avec toi, man. Pour que tu n’aies pas de mauvaises idées. Quand Chuck reviendra, on s’en ira tous.

John Webster comprenait de moins en moins. Ça apprendrait la boîte à engager des nègres. Intérieurement il jura : Dirty niggers[5] !

— Tu veux une cigarette ? fit le Noir au pistolet.

* * *

— Nous arrivons, annonça Jada.

Le feu était au rouge, et Malko commençait à en avoir par-dessus la tête de Harlem. À croire que la noire se moquait de lui.

Le feu passa au vert. Jada démarra lentement. Malko vit venir une voiture de sa gauche, à travers le profil de Jada.

Il pensa qu’elle allait stopper au rouge. Mais, franchissant le feu, délibérément, elle fonça droit sur la Cadillac. Jada donna un coup de volant à droite, écrasa l’accélérateur, il y eut pourtant un choc sourd sur la portière arrière. L’autre voiture les avait heurtés, les déportant au milieu du carrefour.

« Il ne manquait plus que cela », pensa Malko.

Heureusement, le choc n’avait pas été trop fort. Jada poussa un petit cri et coupa le contact.

— Ne vous énervez pas, dit Jada. Ils doivent être stoned[6]. Ce n’est rien.

Calmement, elle déverrouilla les portières en appuyant sur son contacteur.

Malko ouvrit et descendit. Sans son extraordinaire mémoire, il ne se serait douté de rien jusqu’à la dernière seconde. Mais, en un éclair il reconnut les deux Noirs qui l’avaient dévisagé, en le doublant, un quart d’heure plus tôt. Deux autres étaient encore à l’intérieur du véhicule qui avait provoqué l’accident, une vieille Buick grise. L’un des Noirs sourit comme pour s’excuser.

— Mister, j’ai pas vu la lumière…

Sans répondre, Malko replongea dans la Cadillac.

Un objet dur s’enfonça dans sa poitrine. La voix de Jada l’arrêta :

— Sors de cette tire, pig.

Il leva la tête. La Noire braquait sur lui un petit 25 à barillet qu’elle avait dû dissimuler sous le siège. Assez pour lui faire voler le foie en éclats.

— Qu’est-ce qui vous prend ? demanda-t-il.

Elle lui intima, de nouveau, violemment :

— Descends, ou je te flingue.

Un des Noirs attrapa Malko par l’épaule et le tira dehors. Lui avait un énorme colt militaire automatique qu’il braqua sur le ventre de Malko.

— Ne fais pas le con.

Malko pensa qu’ils voulaient éviter de tirer, sinon ils l’auraient tué depuis longtemps. Bien qu’il n’y ait que des entrepôts dans la rue, un coup de feu s’entendait de loin. Mais il n’eut pas le temps de réfléchir longtemps. L’autre Noir s’était approché par-derrière. Il l’aperçut trop tard, au moment où il brandissait un objet noir au-dessus de sa tête. Il lui sembla que son crâne se fendait en deux. Il tituba, se raccrocha au Noir qui tenait le pistolet et la dernière chose qu’il vit fut son visage maigre et satisfait.

* * *

— Bravo, petite sœur, fit Lester, presque amoureusement. Chuck est là.

Il siffla entre ses doigts et, aussitôt, un moteur de camion démarra dans la rue sombre.

Jada cambra la poitrine. Elle se savait désirable et, même dans l’action, cela ne lui déplaisait pas d’exciter Lester.

— Qu’est-ce que je fais, maintenant ?

— Tu te tires chez toi.

La Noire fit le tour de la Cadillac et jura. L’aile arrière droite était enfoncée.

— Tu m’avais dit que tu ne me toucherais pas, protesta-t-elle. J’en ai pour cent cinquante dollars !

— T’en fais pas, dit Lester. Je t’en paierai une neuve.

Comme il passait devant elle, il lui caressa les fesses avec un sourire silencieux. Elle se dégagea d’une torsion de reins et remonta dans la Cadillac.

En prenant de la vitesse, Jada vit, dans le rétroviseur, Lester et Hughes traîner le corps de Malko jusqu’au trottoir.

Elle était fière d’appartenir aux Mad Dogs. Ce soir, elle allait faire l’amour avec un jeune Noir de dix-huit ans, fou amoureux d’elle, qui l’avait presque violée la dernière fois qu’ils avaient dansé ensemble. Même au Small Paradise, le célèbre dancing de Lennox Avenue, cela s’était remarqué.

* * *

La bétonneuse stoppa à l’entrée du carrefour. Chuck descendit aider ses deux copains. Malko gémit. Le coup n’avait pas été assez fort pour l’assommer complètement, mais il était absolument sans force.

Le Noir au pistolet remonta dans leur vieille Buick et la gara le long du trottoir, moteur en route. Le choc n’avait endommagé que la calandre. Puis il ressortit, surveillant le carrefour. C’était le seul moment dangereux de l’opération. Les deux Noirs avaient déjà presque entièrement ligoté Malko avec de la corde à rideaux. Ils le retournèrent brutalement pour fixer autour de sa tête un long ruban adhésif noir qui le bâillonnerait complètement. Dans le mouvement, un paquet de cigarettes tomba de sa poche. D’un coup de pied précis, un des Noirs l’envoya dans le caniveau.

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5

Sales bougnoules.

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6

Bourrés.