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Henry prend Pamela par le bras et lui montre à nouveau Mary Lou. « Va prendre sa bouteille et remplis-la avec l’eau que nous avons apportée. Arrange-toi pour qu’on ne te remarque pas, sans quoi il ne restera plus rien à midi. »

Elle fait ce qu’on lui demande, et Henry se dit : Il y en a au moins une qui pourrait faire un bon flic de petite ville, si jamais elle veut ce boulot.

Personne ne prête attention aux allées et venues de Pamela. C’est bien. Quand les cars vont arriver, ces gens vont tout oublier de la chaleur et de leur soif, au moins pendant un temps. Bien sûr, après le départ des visiteurs… et avec la perspective de la longue marche de retour qui leur tombera dessus…

Une idée lui vient soudain. Henry parcourt des yeux ses « officiers » et voit beaucoup d’abrutis et bien peu d’individus qui lui inspirent confiance. Randolph a réquisitionné la plupart des moins nuls pour il ne sait quelle mission secrète. Il pense qu’elle a un rapport avec le laboratoire de drogue que Grinnell a accusé Rennie de diriger, mais peu lui importe. Tout ce qu’il sait, c’est qu’ils ne sont pas là et qu’il ne peut se charger lui-même de cette mission.

Mais il sait qui le pourrait et il l’interpelle.

« Qu’est-ce que tu veux, Henry ? demande Bill Allnut.

— Tu as les clefs de l’école ? »

Allnut, concierge du lycée de Chester’s Mill depuis trente ans, répond d’un signe de tête. « Toujours là. » Le trousseau scintille à sa ceinture, dans le soleil brumeux. « Elles ne me quittent jamais. Pourquoi ?

— Prends la numéro 4 et va aussi vite que possible en ville — sans écraser les retardataires, bien sûr. Et reviens avec l’un des bus scolaires. L’un des quarante-quatre places. »

Allnut n’a pas l’air content. Sa mâchoire se contracte sur un mode yankee que Henry — lui-même un Yankee — a vu toute sa vie, qu’il connaît bien et qu’il déteste. C’est une expression mesquine qui dit : Faut d’abord que je m’occupe de moi, l’ami. « Tu ne pourras pas faire monter tous ces gens dans un bus scolaire — t’es fou ou quoi ?

— Pas tous, non, répond Henry, seulement ceux qui ne seront pas capables de revenir tout seuls. »

Il pense à Mabel et au bébé en hyperthermie de la petite Corso mais, bien entendu, à trois heures de l’après-midi, ils seront plus nombreux à ne pas être capables de retourner en ville à pied. Ni même de faire une partie du chemin.

La mâchoire de Bill Allnut se contracte encore plus fort ; son menton dépasse maintenant comme la proue d’un bateau. « Non m’sieur. Mes deux fils et mes brus vont venir, ils me l’ont dit. Je ne veux pas les rater. Et je ne veux pas quitter ma femme. Elle est toute chamboulée. »

Henry aurait bien envie de secouer le concierge pour sa stupidité (voire de l’étrangler pour son égoïsme). Au lieu de cela, il lui demande ses clefs et de lui indiquer celle qui ouvre l’accès au garage. Puis il dit à Allnut de retourner auprès de sa femme.

« Je suis désolé, Henry, dit Allnut, mais faut que j’voie mes fils et mes petits-enfants. Je le mérite bien. J’ai pas demandé aux estropiés, aux aveugles et aux canards boiteux de venir ici et je n’ai pas à payer pour leur bêtise.

— Ouais-ouais, t’es un bon Américain, pas de doute, rétorque Henry. Fiche-moi le camp d’ici. »

Allnut ouvre la bouche pour protester, décide que ce n’est pas une bonne idée (quelque chose qu’il a vu dans le regard de l’officier Morrison, peut-être) et s’éloigne d’un pas traînant. Henry interpelle Pamela, laquelle ne proteste pas quand elle reçoit l’ordre de retourner en ville et demande simplement où et pour faire quoi. Henry le lui dit.

« D’accord. Mais… les bus ont un changement de vitesse ou sont automatiques ? Parce que je ne sais pas me servir des vitesses. »

Henry crie la question à Allnut, qui se tient à proximité du Dôme avec sa femme, Sarah, tous les deux parcourant d’un regard impatient la route pour l’instant vide, de l’autre côté.

« Le numéro 16 est à vitesses ! crie Allnut. Tous les autres sont automatiques ! Et dis-lui de faire attention à un truc : ils ne démarrent que si le conducteur a mis sa ceinture ! »

Henry renvoie Pamela en lui disant de faire aussi vite que lui permettra la prudence. Il tient à avoir ce bus à sa disposition dès que possible.

Au début, les gens près du Dôme restent debout, scrutant avec anxiété la route de Motton. Puis la plupart finissent par s’asseoir. Ceux qui ont amené des couvertures les déploient. Certains s’abritent du soleil sous leur pancarte. Les conversations meurent peu à peu, et on entend très clairement la question de Wendy Goldstone, lorsqu’elle demande à son amie Ellen où sont passés les grillons. On ne les entend pas chanter dans les hautes herbes. « Ou alors je suis devenue sourde ? » s’interroge-t-elle.

Mais non. Les grillons sont silencieux, ou morts.

Dans le studio de WCIK, la voix d’Ernie « The Barrel » Kellog et de son groupe (His Delight Trio) résonne dans l’espace central dégagé et agréablement frais. Ils chantent : « J’ai reçu un coup de téléphone du ciel et j’avais Jésus au bout du fil. » Les deux hommes n’écoutent pas ; ils regardent la télé, aussi fascinés par la double image de l’écran que l’est Marta Edmunds (qui en est à sa deuxième Budweiser et a complètement oublié la présence du cadavre de Clayton Brassey sous son drap). Aussi fascinés que tout le monde en Amérique et — oui — que le reste de la planète.

« Regarde-les un peu, Sanders, dit Chef Bushey.

— C’est ce que je fais », répond Andy. Il tient CLAUDETTE sur ses genoux. Chef Bushey lui a proposé aussi deux grenades, mais cette fois, Andy a refusé. Il a peur de retirer accidentellement la goupille et de rester paralysé. Il a vu ça arriver dans un film, un jour. « C’est hallucinant, mais tu crois pas qu’on ferait mieux de se préparer à accueillir la compagnie ? »

Le Chef sait qu’Andy a raison, mais il a du mal à ne pas regarder la moitié de l’écran où l’hélicoptère suit les cars et le gros camion vidéo qui les précède, comme pour une parade. Il reconnaît tous les endroits, au fur et à mesure ; ils sont identifiables même du ciel. Les visiteurs se rapprochent.

Nous nous rapprochons tous, pense-t-il.

« Sanders !

— Quoi, Chef ? »

Le Chef lui tend une boîte de sucrettes. « “Le rocher ne les cachera pas ; l’arbre mort ne leur donnera aucun abri ni le grillon le soulagement.” De quel livre ça sort, je l’ai oublié[19]. »

Andy ouvre la petite boîte, y voit six grosses cigarettes roulées à la main tassées dedans et se dit : Voici les soldats de l’extase. C’est la pensée la plus poétique qu’il ait eue de toute sa vie et elle lui fait monter les larmes aux yeux.

« Peux-tu me donner un amen, Sanders ?

— Amen. »

Le Chef coupe la télé avec la télécommande. Il aimerait voir l’arrivée des cars — shooté ou pas, parano ou pas, les retrouvailles l’attendrissent, comme tout un chacun —, mais les hommes amers risquent de débarquer d’un instant à l’autre.

« Sanders !

— Oui, Chef.

— Je vais sortir le camion Christian Meals on Wheels du garage et le positionner de l’autre côté de l’entrepôt. Je pourrais m’installer derrière et avoir une bonne vue sur les bois. » Il s’empare du GUERRIER DE DIEU. Les grenades attachées dessus ballottent et s’entrechoquent. « Plus j’y pense, plus je suis certain que c’est par là qu’ils vont arriver. Il y a un ancien chemin. Ils s’imaginent probablement que je ne le sais pas, mais — les yeux rougis de Chef Bushey se mettent à briller — le Chef en sait plus que ce que s’imaginent les gens.

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19

De La Terrevaine, de T. S. Eliot.