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— Je comprends que tu sois déçu, mais je tiens à t’avoir avec moi demain. Randolph aussi, je crois. Il faut que quelqu’un gère cette affaire, qui a toutes les chances de tourner au grand bazar. Il faut éviter que les gens ne se fassent piétiner. Ce qui arrivera peut-être, malgré tout. Ils ne savent pas se tenir. Ce serait mieux de demander à Twitchell d’être sur place avec son ambulance. »

Carter prit tout cela en note.

Big Jim se tourna pendant ce temps vers Randolph. Son visage exprimait le plus profond chagrin. « Ça me fait mal de le dire, Pete, mais d’après mon informateur, Junior semble avoir joué un rôle dans cette histoire de labo de drogue.

— Junior ? s’exclama Mel. Jamais de la vie ! Pas Junior ! »

Big Jim hocha la tête et essuya son œil sec du revers de la main. « Moi aussi, j’ai eu du mal à le croire. Je ne veux pas le croire — mais vous savez qu’il est à l’hôpital ? »

Tous hochèrent la tête.

« Overdose, murmura Rennie, se penchant encore plus sur la table. Il semble que ce soit l’explication la plus vraisemblable de son état. » Il se redressa et tourna de nouveau son attention sur Randolph. « Ne passez pas par la route principale, ils vont s’y attendre. À environ deux kilomètres à l’est de la station de radio, il y a une route de service…

— Je la connais, l’interrompit Freddy. Elle rejoignait le bois qui appartenait autrefois à Verdreaux le Poivrot, avant que la banque mette la main dessus. Je crois que toute cette portion appartient à présent au Saint-Rédempteur. »

Big Jim sourit et acquiesça — même si ces terres appartenaient en réalité à une société du Nevada dont il était le président. « Passez par là, et approchez de la station par l’arrière. C’est très boisé, dans le secteur, et vous ne devriez pas avoir de problème. »

Le portable de Big Jim sonna. Il regarda le numéro d’appel, faillit laisser la boîte vocale prendre le relais, puis il se dit : Qu’est-ce que ça peut foutre ? Dans l’état où il était ce matin, entendre Cox geindre, l’écume aux lèvres, ne pourrait être que réjouissant.

« Rennie à l’appareil. Que voulez-vous, colonel Cox ? »

Il écouta. Son sourire s’effaça en partie.

« Comment savoir si vous me dites la vérité ? » demanda-t-il.

Il écouta encore un peu, puis coupa l’appel sans un mot de courtoisie. Il resta un moment sans rien dire, sourcils froncés, évaluant ce qu’il venait d’apprendre. Puis il releva la tête et s’adressa à Randolph : « Nous n’avons pas un compteur Geiger ? Dans l’abri antiatomique, peut-être ?

— Diable, j’en sais rien. Al Timmons pourrait être au courant, lui.

— Trouve-le et dis-lui de vérifier.

— C’est important ? » demanda Randolph, tandis qu’en même temps Carter disait : « Il y a des radiations, patron ?

— Pas de quoi s’inquiéter, répondit Big Jim. Comme l’aurait dit Junior, il essaie juste de me flanquer les boules. J’en suis certain. Mais vérifiez tout de même cette histoire de compteur Geiger. Si nous en avons un et s’il est en état de marche, apportez-le-moi.

— Très bien », répondit Randolph, l’air effrayé.

Big Jim regrettait, en fin de compte, de ne pas avoir laissé l’appel se perdre sur le répondeur. Ou de ne pas avoir gardé le silence. Searles allait à tous les coups vendre la mèche, lancer une rumeur. Bon sang, Randolph lui-même risquait de le faire. Et ce n’était probablement rien, juste ce cueilleur de coton, une huile de l’armée, qui essayait de lui gâcher sa journée. La journée la plus importante de sa vie, peut-être.

Freddy Denton, lui, au moins, avait gardé présente à l’esprit la question à l’ordre du jour : « À quelle heure vous voulez qu’on donne l’assaut à la station de radio, Mr Rennie ? »

Big Jim passa mentalement en revue ce qu’il savait du déroulement de la Journée des Visiteurs, puis sourit. Un sourire authentique, un sourire de bonne humeur qui plissait ses bajoues légèrement graisseuses et révélait ses petites dents. « À midi. Ils seront tous occupés à se faire leurs confidences, dans le secteur de la 119, et la ville sera déserte. Vous en profiterez pour aller me virer ces cueilleurs de coton assis sur notre propane à midi pile. Comme dans le western[14]. »

6

À onze heures et quart ce jeudi matin, le van du Sweetbriar Rose roulait sur la 119 en direction du sud. Un embouteillage monstre s’y produirait le lendemain, dans la puanteur des fumées d’échappement ; mais aujourd’hui, la route était étrangement déserte. Rose elle-même avait pris place au volant. Ernie Calvert occupait le siège du passager. Norrie était assise entre eux et agrippait son skate couvert d’autocollants de groupes de rock disparus depuis longtemps, comme Stalag 17 ou Dead Milkman.

« Qu’est-ce que l’air sent mauvais, fit-elle observer.

— C’est la Prestile, dit Rose. Elle est devenue un grand marais infect là où elle passait avant dans Motton. » Elle savait qu’il y avait dans l’air davantage que les effluves d’une rivière qui se mourait, mais elle ne le dit pas. Il fallait bien respirer : à quoi bon s’inquiéter de la qualité de ce qu’on inhalait ? « Tu as parlé à ta mère ?

— Ouais, répondit Norrie d’un ton morose. Elle va venir, mais l’idée ne lui plaît pas beaucoup.

— Est-ce qu’elle apportera les provisions qui lui restent, le moment venu ?

— Oui. Dans le coffre de la voiture. » Ce que Norrie n’ajouta pas fut que Joanie Calvert commencerait par y charger ses réserves de gnôle ; les réserves de nourriture ne viendraient qu’ensuite. « Et les radiations, Rose ? On ne pourra pas couvrir toutes les voitures de feuilles de plomb.

— Si les gens ne montent là-haut qu’une ou deux fois, ça ne devrait pas être un problème. » Rose en avait trouvé la confirmation en cherchant sur Internet. Elle avait aussi découvert que le danger dépendait, en outre, de l’intensité du rayonnement, mais elle jugeait inutile d’inquiéter les autres pour des choses sur lesquelles ils n’avaient aucun contrôle. « Le plus important, c’est de limiter la durée d’exposition aux rayons… et d’après Joey, la ceinture n’est pas très large.

— La maman de Joe ne veut pas venir », dit Norrie.

Rose soupira. Elle le savait. La Journée des Visiteurs n’avait pas que des bons côtés. Elle allait certes permettre de camoufler leur retraite, mais ceux qui avaient des parents à l’extérieur voudraient les voir. Mrs McClatchey va peut-être perdre à la loterie, pensa-t-elle.

Ils arrivaient à la hauteur de Jim Rennie’s Used Cars avec son grand panneau :

JIM RENNIE’S USED CARS
VOITURES AMÉRICAINES ET ÉTRANGÈRES
NOU$ FAI$ON$ CRÉDIT !
VOUS ROULEREZ
GRÂCE À BIG JIM !

« N’oubliez pas…, commença Ernie.

— Je sais, dit Rose. S’il y a quelqu’un, je fais demi-tour et nous rentrons en ville. »

Mais sur le parking, tous les emplacements marqués RÉSERVÉ AUX EMPLOYÉS étaient vides ; la salle d’exposition était déserte et un tableau blanc avec FERMÉ JUSQU’À NOUVEL ORDRE était accroché sur l’entrée principale. Rose contourna rapidement le bâtiment. Là s’alignaient des rangées de véhicules divers, chacun avec un panneau, derrière le pare-brise, comportant le prix et d’alléchantes promesses telles que : GRANDE VALEUR ET PROPRE COMME UN SOU NEUF ET REGARDEZ-MOI ! (Avec un O sexy paré de longs cils d’allumeuse). Là se trouvaient les bêtes de somme fourbues des écuries de Big Jim. Rien à voir avec les pur-sang chicos américains ou allemands exhibés en façade. Au fond du parking, devant la clôture grillagée qui séparait le terrain de Big Jim d’une étendue jonchée de détritus où végétaient des baliveaux, s’alignaient d’anciens vans de la compagnie du téléphone, certains portant encore le logo d’AT&T.

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14

Allusion au Train sifflera trois fois dont le titre en anglais est High Noon : midi pile.