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Sir Leigh Teabing n'avait cessé de clamer bruyamment son innocence. Mais à entendre ses rodomontades incohérentes où se mêlaient Saint-Graal, fraternités mystérieuses et documents secrets, le directeur de la PJ soupçonnait l'historien britannique de jouer une comédie qui permettrait à ses avocats de plaider l'irresponsabilité pour démence.

Bien sûr, se dit Fache, la folie... Teabing avait fait preuve d'une ingéniosité et d'une précision remarquables dans l'élaboration d'un projet dont le moindre détail était destiné à le disculper. Il avait su manipuler aussi bien le Vatican que l’Opus Dei, deux institutions qui s'étaient révélées complètement innocentes. Son sale boulot, il l'avait fait exécuter à leur insu par un moine fanatique et un évêque aux abois. Encore plus astucieux de sa part, la manière dont il avait situé sa station d'espionnage électronique dans le seul endroit du château où un poliomyélitique n'avait pas accès. Quant à son majordome, la seule personne à connaître les véritables projets de son maître, celui qui était précisément chargé de ces écoutes, il venait opportunément de mourir d'un choc anaphylactique...

Ce type est en pleine possession de ses facultés mentales, se disait le commissaire, en montant dans le taxi.

Les informations transmises par Collet révélaient chez Teabing une astuce et une finesse dont Fache se disait qu'il aurait lui-même beaucoup à apprendre. À commencer par la tactique du cheval de Troie : l'historien britannique avait réussi à installer des micros cachés dans un nombre incroyable d'institutions parisiennes, par le truchement d'œuvres d'art qu'il avait offertes aux personnalités ciblées, ou qu'il leur avait fait acheter dans des ventes aux enchères dont il avait assuré l'approvisionnement comme la publicité personnalisée. C'est ainsi, par exemple, que Jacques Saunière avait été convié à

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venir dîner un soir au château de Villette, pour y discuter de la participation financière de Teabing à la restauration de la Salle des États du Louvre. Au bas de la carte d'invitation figurait un post-scriptum manuscrit de Teabing, qui demandait à son hôte de bien vouloir apporter avec lui ce fameux robot qu'il avait construit d'après un croquis de Leonardo Da Vinci, et que l'Anglais avait très envie de pouvoir admirer. Il avait suffi à Rémy Legaludec de profiter du moment où les deux hommes étaient à table pour équiper le chevalier métallique d'un mouchard invisible à l'œil nu.

Fache s'adossa sur la banquette et ferma les yeux.

Il ne lui restait plus à s'acquitter que d'une visite avant de rentrer à Paris.

La salle des urgences du St. Mary's Hospital baignait dans la lumière du soleil couchant.

— Votre résistance physique nous a tous impressionnés, dit l'infirmière en retapant les oreillers de son malade. Vous êtes un vrai miraculé !

— J'ai toujours été accompagné par la bénédiction divine, répondit Mgr Aringarosa avec un pâle sourire.

Une fois seul, il se laissa aller au plaisir d'un rayon de soleil qui lui réchauffait le visage. La nuit passée avait été la plus terrible de son existence. Il pensa avec accablement à Silas, dont on venait de découvrir le corps inanimé dans un parc.

Pardonne-moi, mon fils, je t'en supplie.

C'est Aringarosa qui mourait d'envie que Silas prenne part à son plan chimérique. La nuit précédente, l'évêque avait reçu dans l'avion un appel téléphonique du commissaire Fache, qui l'avait interrogé sur son implication éventuelle dans le meurtre d'une religieuse en pleine église Saint-Sulpice. Aringarosa avait compris que la soirée avait pris une tournure tragique, et l’évocation de quatre autres meurtres dans la même journée l'avait plongé dans l'angoisse.

Silas, qu'as-tu fait là ?

Incapable de contacter le Maître, l'évêque devina qu'il avait été floué. Utilisé. Le seul moyen de mettre fin à cette horrible chaîne de catastrophes était d'aller rejoindre à Londres le

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commissaire Fache et de tout lui avouer. L'évêque et le policier avaient alors fait l'impossible pour tenter de rattraper Silas avant que le diabolique instigateur de cette manipulation ne lui ordonne de commettre un nouveau crime. Mais le sauvetage du moine avait mal tourné.

Exténué, Aringarosa ferma les yeux et écouta la télévision posée sur une étagère murale en face de son lit. Le présentateur du journal commentait l'arrestation de sir Leigh Teabing, un historien britannique renommé, chevalier de la Couronne, qui, ayant appris que le Vatican projetait de couper les ponts avec l’Opus Dei, avait eu l'idée géniale d'en intégrer le chef à son projet criminel.

Après tout, j'étais la proie idéale. Je n'avais plus rien à perdre, et j'ai naïvement sauté à pieds joints sur une occasion inespérée. Le Graal aurait conféré un immense pouvoir à son détenteur...

Le Maître avait très habilement protégé son identité.

Feignant avec le même talent un accent français plus vrai que nature et la dévotion d'un croyant convaincu, il avait demandé comme rétribution une grosse somme d'argent - la seule chose dont sir Leigh Teabing ne pouvait être soupçonné d'avoir besoin. Et le montant de vingt millions d'euros avait semblé modeste comparé au trésor inestimable que représentait le Graal. Et, grâce au dédommagement versé par le Vatican au moment de la rupture, les finances de l'Opus Dei étaient florissantes. Les aveugles sont ceux qui ne voient que ce qu'ils veulent bien voir. Ultime offense de Teabing à l'Église catholique, ce dernier avait exigé un paiement sous forme de titres émis par la Banque du Vatican, s'assurant ainsi que les soupçons se porteraient sur Rome en cas d'échec.

— Je suis heureux de vous voir rétabli, monseigneur.

Aringarosa reconnut la voix brusque de Fache qui venait d'apparaître au seuil de la chambre.

Mais il fut surpris par l'apparence physique du policier français : un visage sévère, une expression bourrue, des cheveux gominés rabattus en arrière et un large cou débordant d'un costume sombre. La compassion et la disponibilité qu'avait

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montrées le commissaire pour le calvaire d'Aringarosa, la nuit précédente, ne cadraient pas avec son allure.

Le commissaire s'approcha du lit et déposa sur la chaise réservée aux visiteurs une valise de cuir noir familière.

— Je crois que ceci vous appartient.

Aringarosa jeta un bref coup d'œil sur la valise remplie de bons au porteur et détourna aussitôt les yeux, n'éprouvant que de la honte.

— En effet... merci. À propos, commissaire, puis-je vous demander de me rendre un grand service ?

— Bien sûr.

— Les familles des quatre personnes que Silas a...

Il s'arrêta un instant, ravalant l'émotion qui lui serrait la gorge.

— Je suis bien conscient que ce n'est pas l'argent qui pourra les consoler, mais si vous aviez la gentillesse de répartir entre elles le contenu de cette valise...

Les yeux noirs de Fache s'attardèrent quelques instants sur le visage de l'évêque avant de répondre :

— Un geste qui vous honore, monseigneur. J'y veillerai personnellement.

Le silence retomba. Sur l'écran de la télévision, un policier français, mince et distingué, répondait aux questions d'un reporter de la BBC campé devant un imposant manoir. Fache, le reconnaissant, se tourna vers l'écran.

— Lieutenant Collet, votre supérieur hiérarchique accusait hier de ces quatre crimes deux personnes innocentes, un professeur de l'université Harvard et la propre petite-fille de l'une des victimes. Pensez-vous que M. Langdon et Mlle Neveu vont engager des poursuites contre la police judiciaire ? Et dans ce cas, le commissaire Fache ne risque-t-il pas de perdre son poste ?