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messe. Elles dormaient à même le sol alors que leurs équivalents masculins disposaient d'une paillasse, et devaient, enfin, se soumettre à des séances supplémentaires de flagellation. Tout cela en pénitence pour le péché originel dont Eve avait été l'instigatrice en mordant dans la fameuse pomme de la connaissance : la faute du genre féminin semblait apparemment inexpiable. Alors qu'une grande partie du clergé catholique paraissait s'orienter vers une attitude plus progressiste envers les femmes, l'Opus Dei s'efforçait d'inverser le mouvement.

Il fallait tout de même que sœur Sandrine obéisse à son curé.

Elle posa les deux pieds sur les dalles froides de sa chambre.

Le frisson qui la parcourut se doubla d'un pressentiment inopiné.

Intuition féminine ?

La très pieuse sœur Sandrine avait appris à trouver la paix en écoutant les recommandations du Seigneur, fût-ce de simples murmures, mais ce soir, dans l'église déserte, rien ne venait rompre le pesant silence de l'absence divine.

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Langdon ne parvenait pas à détacher son regard du texte étrange qui luisait sous le faisceau de lumière noire. Les dernières paroles de Jacques Saunière lui paraissaient aussi éloignées que possible de celles d'un message d'adieu : 13-3-2-21-1-1-8-5

O DRACONIAN DEVIL !

OH, LAME SAINT !

Langdon n'avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait bien signifier, mais il comprit les soupçons de Fache concernant un éventuel culte satanique.

O DRACONIAN DEVIL !

Saunière avait laissé une référence littérale au diable. Tout aussi bizarre était la série de chiffres.

— La première ligne ressemble à un code chiffré, avança Langdon.

— Effectivement. J'ai une équipe de cryptographes qui y travaille. Nous avons d'abord pensé à un numéro de téléphone, ou d'immatriculation quelconque, qui pourrait nous permettre de retrouver l'assassin. De votre côté, y voyez-vous une signification symbolique ?

Langdon regarda de nouveau les chiffres. Interpréter ce texte aurait nécessité plusieurs heures de travail.

Si tant est que Saunière y ait vraiment caché un sens symbolique quelconque.

Cette série semblait totalement aléatoire, sans aucun ordre apparent. Langdon était habitué aux progressions symboliques répondant à une certaine logique. Pourquoi Saunière avait-il laissé une série de messages aussi fondamentalement disparates, au moins en apparence ? Le pentacle, les chiffres, le texte...

Fache insista :

— Vous prétendiez tout à l'heure que Jacques Saunière avait consacré ses derniers instants à rédiger une sorte de testament codé évoquant le culte d'une déesse, ou quelque

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chose de ce genre. Vous ne retrouvez rien ici qui aille dans ce sens ?

Langdon savait que la question était purement rhétorique.

Ce bizarre communiqué ne cadrait absolument pas avec la thèse de Langdon sur la symbolique du culte de la déesse...

O DRACONIAN DEVIL !

OH, LAME SAINT !

Fache insista.

— Vous conviendrez, monsieur Langdon, que ce texte ressemble à une accusation...

Langdon se concentra pour essayer d'imaginer les derniers instants de Saunière, piégé dans la Grande Galerie, conscient qu'il ne lui restait plus que quelques minutes à vivre. Cela paraissait évidemment logique.

— Il est certes plausible qu'il ait cherché à lancer la police sur les traces de son assassin.

— Or mon boulot à moi, c'est évidemment de retrouver le meurtrier de Saunière. Et je compte naturellement sur votre aide de spécialiste... Mais ce n'est pas tout. Selon vous, monsieur Langdon, en dehors des chiffres, n'y a-t-il pas quelque chose de particulièrement étrange dans toute cette mise en scène ?

De particulièrement étrange ?

Un conservateur mourant vient se barricader dans la Grande Galerie du Louvre, il se dénude entièrement et se décore l'abdomen d'un pentacle tracé avec son propre sang, il griffonne, avant de s'allonger, un message cabalistique avec une encre invisible... en matière de bizarreries, on est déjà bien servi...

— Le mot « Draconien », peut-être ? risqua Langdon.

C'était la première idée qui lui était venue à l'esprit. De fait, il trouvait bizarre de la part d'un mourant cette référence à Dracon, l'austère politicien grec du VII siècle av. J.-C.

— Cette locution de diable draconien me semble assez paradoxale.

Diable draconien ? reprit Fache avec une pointe d'impatience. Cher monsieur, nous ne sommes pas ici pour nous interroger sur des questions de vocabulaire.

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Langdon ne comprenait pas très bien où Fache voulait en venir, mais il commençait à penser que le commissaire se serait bien entendu avec Dracon.

— Saunière était français, reprit Fache d'un ton neutre. Il vivait à Paris. Et pourtant il a choisi d'écrire ce message...

— En anglais, répondit Langdon, comprenant subitement ce que Fache voulait dire.

— Exact, acquiesça Fache. Mais pourquoi, selon vous?

Langdon savait que Saunière parlait un anglais impeccable, mais il ne discernait pas la raison qui l'avait poussé à laisser son dernier message dans cette langue.

Fache lui montra le pentacle dessiné sur l'abdomen de Saunière.

— Rien à voir avec un culte satanique, vous en êtes toujours certain ?

Mais Langdon n'était plus sûr de rien.

— Mes connaissances en symbologie ne semblent pas très utiles pour l'interprétation de ce texte, j'en suis désolé.

— Peut-être ceci vous aidera-t-il, alors.

Fache recula de quelques pas. Le rayon lumineux de la lampe torche que Fache pointait vers le cadavre l'éclairait maintenant tout entier.

À sa grande surprise, Langdon distingua un cercle rudimentaire, tracé à l'encre fluorescente, et qui entourait tout le corps. Une fois allongé sur le sol, Saunière avait dessiné autour de lui une série d'arcs de cercle maladroitement reliés, mais presque parfaitement orientés vers le même centre.

Brusquement, tout s'éclairait.

L'Homme de Vitruve ! lâcha-t-il dans un souffle.

Saunière avait reproduit à l'échelle de son corps le plus célèbre dessin de Leonardo Da Vinci.

Considéré comme la reproduction anatomique la plus exacte de son temps, L'Homme de Vitruve, de Leonardo Da Vinci, aux bras et jambes écartés, avant de devenir une icône de la culture moderne, était l'image même de la civilisation de la Renaissance.

Vinci. Langdon frissonna de stupeur. On ne pouvait dénier à Saunière un comportement très explicite. Dans les derniers

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instants de sa vie, le conservateur avait ôté ses vêtements pour reproduire le plus parfaitement possible le dessin de Vinci.

L'élément décisif, jusqu'alors manquant, était le cercle, un symbole de protection féminine. Le message de Vinci était clair, il voulait illustrer l'harmonie du féminin et du masculin. Restait à trouver la raison pour laquelle Saunière avait tenu à reproduire ce dessin...

— Monsieur Langdon, déclara Fache d'un ton péremptoire, un homme de votre culture ne peut certainement pas ignorer la prédilection de Leonardo Da Vinci pour la magie noire...

Langdon fut surpris de cette remarque dans la bouche de Fache - laquelle éclairait sans doute ses soupçons antérieurs sur l'inspiration satanique de cette mise en scène. Le grand peintre italien avait toujours posé des problèmes aux historiens de l'art, et spécialement à ceux de la tradition chrétienne. Vinci, génie visionnaire, était aussi un homosexuel flamboyant et un adepte du culte de l'ordre naturel divin - deux particularités qui le mettaient, pour l'Église de son époque, en état de péché perpétuel. Qui plus est, les excentricités inquiétantes du grand savant n'avaient pas manqué de projeter sur le personnage une aura démoniaque : il exhumait des cadavres pour étudier l'anatomie, tenait de curieux journaux en écriture inversée, pensait connaître le secret alchimique de la transformation du plomb en or, et prétendait avoir mis au point un élixir de longévité - presque un défi à Dieu. On trouvait dans ses inventions d'étranges armes de guerre et de torture...