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J'attendis jusqu'à l'heure dite. Mon père ne reparut pas. Je partis.

La veille j'avais trouvé Marguerite triste, ce jour-là je la trouvai fiévreuse et agitée. En me voyant entrer, elle me sauta au cou, mais elle pleura longtemps dans mes bras.

Je la questionnai sur cette douleur subite dont la gradation m'alarmait. Elle ne me donna aucune raison positive, alléguant tout ce qu'une femme peut alléguer quand elle ne veut pas répondre la vérité.

Quand elle fut un peu calmée, je lui racontai les résultats de mon voyage ; je lui montrai la lettre de mon père, en lui faisant observer que nous en pouvions augurer du bien.

À la vue de cette lettre et à la réflexion que je fis, les larmes redoublèrent à un tel point que j'appelai Nanine, et que, craignant une atteinte nerveuse, nous couchâmes la pauvre fille qui pleurait sans dire une syllabe, mais qui me tenait les mains, et les baisait à chaque instant.

Je demandai à Nanine si, pendant mon absence, sa maîtresse avait reçu une lettre ou une visite qui pût motiver l'état où je la trouvais, mais Nanine me répondit qu'il n'était venu personne et que l'on n'avait rien apporté.

Cependant il se passait depuis la veille quelque chose d'autant plus inquiétant que Marguerite me le cachait.

Elle parut un peu plus calme dans la soirée ; et, me faisant asseoir au pied de son lit, elle me renouvela longuement

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l'assurance de son amour. Puis, elle me souriait, mais avec effort, car, malgré elle, ses yeux se voilaient de larmes.

J'employai tous les moyens pour lui faire avouer la véritable cause de ce chagrin, mais elle s'obstina à me donner toujours les raisons vagues que je vous ai déjà dites.

Elle finit par s'endormir dans mes bras, mais de ce sommeil qui brise le corps au lieu de le reposer ; de temps en temps elle poussait un cri, se réveillait en sursaut, et après s'être assurée que j'étais bien auprès d'elle, elle me faisait lui jurer de l'aimer toujours.

Je ne comprenais rien à ces intermittences de douleur qui se prolongèrent jusqu'au matin. Alors Marguerite tomba dans une sorte d'assoupissement. Depuis deux nuits elle ne dormait pas.

Ce repos ne fut pas de longue durée.

Vers onze heures, Marguerite se réveilla, et, me voyant levé, elle regarda autour d'elle en s'écriant :

– T'en vas-tu donc déjà ?

– Non, dis-je en lui prenant les mains, mais j'ai voulu te laisser dormir. Il est de bonne heure encore.

– À quelle heure vas-tu à Paris ?

– À quatre heures.

– Sitôt ? Jusque-là tu resteras avec moi, n'est-ce pas ?

– Sans doute, n'est-ce pas mon habitude ?

– Quel bonheur !

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– Nous allons déjeuner ? reprit-elle d'un air distrait.

– Si tu le veux.

– Et puis tu m'embrasseras bien jusqu'au moment de partir ?

– Oui, et je reviendrai le plus tôt possible.

– Tu reviendras ? fit-elle en me regardant avec des yeux hagards.

– Naturellement.

– C'est juste, tu reviendras ce soir, et moi, je t'attendrai, comme d'habitude, et tu m'aimeras, et nous serons heureux comme nous le sommes depuis que nous nous connaissons.

Toutes ces paroles étaient dites d'un ton si saccadé, elles semblaient cacher une pensée douloureuse si continue, que je tremblais à chaque instant de voir Marguerite tomber en délire.

– Écoute, lui dis-je, tu es malade, je ne puis pas te laisser ainsi. Je vais écrire à mon père qu'il ne m'attende pas.

– Non ! Non ! s'écria-t-elle brusquement, ne fais pas cela. Ton père m'accuserait encore de t'empêcher d'aller chez lui quand il veut te voir ; non, non, il faut que tu y ailles, il le faut ! D'ailleurs, je ne suis pas malade, je me porte à merveille. C'est que j'ai fait un mauvais rêve, et que je n'étais pas bien réveillée !

À partir de ce moment, Marguerite essaya de paraître plus gaie. Elle ne pleura plus.

Quand vint l'heure où je devais partir, je l'embrassai, et lui demandai si elle voulait m'accompagner jusqu'au chemin de fer :

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j'espérais que la promenade la distrairait et que l'air lui ferait du bien.

Je tenais surtout à rester le plus longtemps possible avec elle.

Elle accepta, prit un manteau et m'accompagna avec Nanine, pour ne pas revenir seule.

Vingt fois je fus au moment de ne pas partir. Mais l'espérance de revenir vite et la crainte d'indisposer de nouveau mon père contre moi me soutinrent, et le convoi m'emporta.

– À ce soir, dis-je à Marguerite en la quittant.

Elle ne me répondit pas.

Une fois déjà elle ne m'avait pas répondu à ce même mot, et le comte de G…, vous vous le rappelez, avait passé la nuit chez elle ; mais ce temps était si loin, qu'il semblait effacé de ma mémoire, et si je craignais quelque chose, ce n'était certes plus que Marguerite me trompât.

En arrivant à Paris, je courus chez Prudence la prier d'aller voir Marguerite, espérant que sa verve et sa gaieté la distrairaient.

J'entrai sans me faire annoncer, et je trouvai Prudence à sa toilette.

– Ah ! me dit-elle d'un air inquiet. Est-ce que Marguerite est avec vous ?

– Non.

– Comment va-t-elle ?

– Elle est souffrante.

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– Est-ce qu'elle ne viendra pas ?

– Est-ce qu'elle devait venir ?

Madame Duvernoy rougit, et me répondit, avec un certain embarras :

– Je voulais dire : puisque vous venez à Paris, est-ce qu'elle ne viendra pas vous y rejoindre ?

– Non.

Je regardai Prudence ; elle baissa les yeux, et sur sa physionomie je crus lire la crainte de voir ma visite se prolonger.

– Je venais même vous prier, ma chère Prudence, si vous n'avez rien à faire, d'aller voir Marguerite ce soir ; vous lui tiendriez compagnie, et vous pourriez coucher là-bas. Je ne l'ai jamais vue comme elle était aujourd'hui, et je tremble qu'elle ne tombe malade.

– Je dîne en ville, me répondit Prudence, et je ne pourrai pas voir Marguerite ce soir ; mais je la verrai demain.

Je pris congé de madame Duvernoy, qui me paraissait presque aussi préoccupée que Marguerite, et je me rendis chez mon père, dont le premier regard m'étudia avec attention.

Il me tendit la main.

– Vos deux visites m'ont fait plaisir, Armand, me dit-il, elles m'ont fait espérer que vous auriez réfléchi de votre côté, comme j'ai réfléchi, moi, du mien.

– Puis-je me permettre de vous demander, mon père, quel a été le résultat de vos réflexions ?

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– Il a été, mon ami, que je m'étais exagéré l'importance des rapports que l'on m'avait faits, et que je me suis promis d'être moins sévère avec toi.

– Que dites-vous, mon père ! m'écriai-je avec joie.

– Je dis, mon cher enfant, qu'il faut que tout jeune homme ait une maîtresse, et que, d'après de nouvelles informations, j'aime mieux te savoir l'amant de mademoiselle Gautier que d'une autre.

– Mon excellent père ! que vous me rendez heureux !

Nous causâmes ainsi quelques instants, puis nous nous mîmes à table. Mon père fut charmant tout le temps que dura le dîner.

J'avais hâte de retourner à Bougival pour raconter à Marguerite cet heureux changement. À chaque instant je regardais la pendule.

– Tu regardes l'heure, me disait mon père, tu es impatient de me quitter. Oh ! jeunes gens ! vous sacrifierez donc toujours les affections sincères aux affections douteuses ?

– Ne dites pas cela, mon père ! Marguerite m'aime, j'en suis sûr.

Mon père ne répondit pas ; il n'avait l'air ni de douter ni de croire.

Il insista beaucoup pour me faire passer la soirée entière avec lui, et pour que je ne repartisse que le lendemain ; mais j'avais laissé Marguerite souffrante, je le lui dis, et je lui demandai la permission d'aller la retrouver de bonne heure, lui promettant de revenir le lendemain.