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Je pouvais éliminer Victor Sells avant même qu’il s’aperçoive de ma présence. Je pouvais déchaîner la fureur et le feu sur cette maison, éliminer ses occupants et ne laisser que des ruines. Il serait aisé de me servir de toutes les forces obscures qu’il avait rassemblées, d’accomplir mes vœux les plus chers, et tant pis pour les conséquences !

Pourquoi ne pas le tuer tout de suite ? La Clairvoyance me révélait une pulsation violacée, derrière une fenêtre. On préparait un sort. L’« Homme de L’Ombre » était chez lui et il s’apprêtait à lancer le rituel qui me détruirait. Pourquoi aurais-je dû l’épargner ?

Je serrai les poings, au comble de la rage. La tension crépitait dans l’air et j’étais à un souffle d’annihiler la maison, Victor Sells et tous ses séides. Avec une telle puissance, je pouvais même en remontrer au Conseil, à ces vieux décrépis sans imagination ni ambition. La Blanche Confrérie et son chien de garde, Morgan, ne soupçonnaient pas l’étendue de mes pouvoirs. Toute l’énergie dont j’avais besoin était là, courtisant ma colère et prête à réduire en cendres tout ce que je haïssais… ou craignais.

Soudain, le pentacle d’argent légué par ma mère s’embrasa d’une flamme froide et mon cœur s’emballa. Je vacillai en levant une main. Mes doigts étaient tellement crispés que j’avais du mal à les ouvrir. Ma main trembla, oscilla, puis commença à retomber.

Un phénomène étrange se produisit. Une autre main se referma sur la mienne. Fine et délicate, elle la releva comme celle d’un enfant pour la refermer sur mon pentagramme.

Avec sa force tranquille, la géométrie ordonnée et rationnelle du talisman m’envahit. L’étoile à cinq branches est un symbole de magie blanche parmi les plus anciens. Et aussi tout ce qu’il me restait de ma mère… Elle me redonna une chance d’éclaircir mes idées.

Je pris de profondes inspirations pour dépasser la colère, la haine et le désir qui brûlaient en moi. La magie ne doit pas servir à se venger ni à punir. Elle vient de la nature, elle vit en harmonie avec les éléments, avec l’énergie de tous les êtres vivants, et surtout des gens. La magie d’un homme révèle son vrai visage, son essence. Observer comment il emploie sa force est le meilleur moyen de connaître son âme.

Je ne suis pas un meurtrier, contrairement à Victor Sells. Je m’appelle Harry Blackstone Copperfield Dresden. Je suis un magicien. Les mages contrôlent leurs pouvoirs, pas l’inverse. Les magiciens ne se servent pas de la magie pour tuer les gens, ils l’utilisent pour découvrir, protéger, réparer et aider. Pas pour détruire.

Ma colère s’évapora. Ma haine retomba et je me ressaisis. La douleur, dans ma jambe, n’était plus qu’un élancement et je frissonnai en recevant de nouvelles gouttes de pluie. Je n’avais ni mon bâton ni ma crosse, et mes autres fétiches étaient épuisés. Tout ce qui me restait était au fond de moi.

Je relevai la tête, me sentant soudain bien seul et bien petit. Personne ne me tenait la main, personne n’était campé à mes côtés. Pourtant, une seconde, je crus sentir un parfum familier, mais il disparut. Je ne pouvais faire : appel à personne.

À part moi.

— Mon vieux Harry, dis-je tout haut, on ne peut pas faire mieux, alors…

Sur ces bonnes paroles, je bravai la tempête pour m’approcher de cette maison chargée de maléfices qui irradiait la sauvagerie et le mal, nichée dans son décor spectral couvert de crânes. Je me préparai à affronter un assassin en position de force dans son sanctuaire, prêt à tout pour m’éliminer, et je ne pouvais compter que sur mon intelligence, mon expérience et mon entraînement.

Et après, on dira que je ne fais pas le plus beau métier du monde ?

Chapitre 25

Je n’oublierai jamais la maison de Victor Sells. C’était une abomination. Si elle avait l’air inoffensive sur le plan physique, son cœur était infâme et corrompu. Gorgée d’énergie négative, elle exsudait la colère, l’orgueil et le désir. Surtout le désir – le désir de puissance et de richesse plus que le simple désir charnel.

Des esprits éthérés grouillaient sur les murs, les gouttières, le porche et les rideaux. Ils se goinfraient des émanations maléfiques produites par les sorts de Sells. Il devait y avoir une sacrée déperdition. Victor ne me paraissait pas homme à suffisamment contrôler ses rituels pour éviter le gaspillage.

Je boitai jusqu’à l’entrée, où je ne détectai ni alarme ni protection magique. J’avais surestimé l’Homme de l’Ombre. Il était aussi puissant qu’un magicien confirmé, mais il manquait de méthode. Trop de muscles, pas assez de cervelle. C’était bon à savoir.

J’essayai la porte – pour la forme.

Elle s’ouvrit.

Incroyable !

Sans trouver la mariée trop belle ni remettre en doute l’ego monstrueux de Victor Sells – qui avait négligé de fermer sa porte –, je pris mon courage à deux mains et entrai.

J’avais oublié la décoration de la maison. Tout ce dont je me souvenais, c’était ce que m’avait révélé la Clairvoyance – la même pourriture qu’à l’extérieur, mais en encore plus concentrée et plus malsaine. Il y avait des créatures partout. Des entités aux yeux phosphorescents et affamés qui ressemblaient à des reptiles ou à des rats, voire à des insectes. Toutes ignobles et hostiles, elles s’enfuyaient au contact de mon aura d’énergie. Ces horreurs produisaient des sons comme je n’en avais jamais entendu, mais la Clairvoyance absorbait tout.

J’empruntai lentement un couloir obscur fourmillant d’abominations qui glissèrent et rampèrent hors de mon chemin. La lueur violette que j’avais aperçue se faisait plus forte – je n’étais plus très loin de la source de magie. J’entendis de la musique. Le même CD que dans la chambre où Tommy Tomm et Jennifer Stanton avaient trouvé la mort. Une mélodie sensuelle et douce au rythme entraînant.

Je fermai les yeux pour écouter. Il y avait d’autres sons. Une sourde psalmodie, une incantation répétée à l’infini. Victor devait se préparer à lancer un sort.

Une femme feulait de plaisir. Les Beckitt étaient peut-être là.

Un grondement remonta dans mes jambes – le tonnerre passait au-dessus du lac. La voix se chargea d’un accent vicieux et complaisant, l’incantation arrivait à son apogée.

Rassemblant le peu d’énergie encore à ma disposition, j’émergeai dans une pièce immense qui culminait sous le toit de la maison. J’étais dans un salon, et un escalier en spirale débouchait sur une grande mezzanine comprenant une cuisine et une salle à manger. La terrasse devait donner sur cette plate-forme.

Le séjour était vide. Le chant et les râles de plaisir venaient du demi-étage. En bas, la chaîne hi-fi était couverte de flammes spirituelles et de monstruosités se gavant de musique. Je perçus l’influence de la musique comme une brume violacée en accord avec la lumière qui provenait de la plate-forme. Le rituel était très complexe et faisait appel à de nombreux éléments de base coordonnés par le magicien résidant, Victor Sells. C’était difficile. Pas étonnant que ses sorts soient si efficaces : il avait dû en rater pas mal avant de trouver la bonne formule.

Sans bruit, je passai sous la mezzanine en m’écartant le plus possible de la chaîne. Une dizaine d’esprits bavèrent, mais je restai hors de leur portée. La pluie martelait à un rythme régulier le toit, la terrasse et les vitres.

J’étais au milieu d’un empilement de caisses et de boîtes en tout genre. J’ouvris la plus proche et tombai sur une centaine de petites fioles contenant du Troisième Œil. La Clairvoyance leur conférait une apparence sulfureuse riche en possibilités et en catastrophes potentielles. Images fugitives de ce qui pourrait arriver, des visages déformés par l’horreur surnageaient dans le liquide délétère.