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Hors ligne, je suis sorti du Hall Of Presidents. Hors ligne, j’ai pris Lil par la main pour l’emmener dans la zone de chargement du Liberty Belle, où nous avions l’habitude de nous rendre pour nos discussions privées. Hors ligne, je lui ai piqué une cigarette.

Lil était bouleversée… même hors ligne et par conséquent dans un brouillard de perplexité, je m’en suis aperçu. Des larmes lui perlaient au coin des yeux.

« Pourquoi tu ne m’as rien dit ? » a-t-elle demandé après avoir passé un bon moment à regarder le reflet de la lune sur la rivière.

« À quel propos ? ai-je bêtement interrogé.

— Ils sont vraiment bons. Ils sont même davantage. Ils sont meilleurs que nous. Oh, mon Dieu. »

Hors ligne, je n’avais ni statistiques ni signaux pour m’assister dans cette discussion. Hors ligne, j’ai essayé sans aide. « Je ne pense pas. Je ne pense pas qu’ils aient une âme, je ne pense pas qu’ils aient une histoire, je ne pense pas qu’ils aient le moindre lien avec le passé. Le monde a grandi chez Disney… les gens viennent autant pour la continuité que pour le divertissement.

C’est ce que nous leur fournissons. » Je suis hors ligne, et pas eux ? Que s’était-il passé, bordel ?

« Ça va aller, Lil. Il n’y a rien là-dedans qui soit meilleur que nous. C’est différent et nouveau, mais pas meilleur. Tu le sais bien… tu as passé plus de temps que n’importe qui dans la Mansion, tu connais les perfectionnements apportés, tu sais le travail que ça représente. Comment un truc concocté en quelques semaines pourrait-il être meilleur que ce que nous entretenons depuis tant d’années ? »

Elle s’est essuyé les yeux avec le revers de sa manche et m’a souri. « Désolée. » Elle avait le nez rouge et les yeux bouffis, et ses taches de rousseur avaient blêmi sur ses joues rubicondes. « Désolée… c’est juste difficile à supporter. Tu as peut-être raison. Et même si tu as tort… eh bien, c’est la manière de fonctionner d’une méritocratie, non ? Le meilleur survit, tout le reste se voit supplanté.

« Oh, merde, je déteste la tête que j’ai quand je pleure. Allons les féliciter. »

Je l’ai prise par la main, assez satisfait d’avoir réussi à lui remonter le moral sans assistance artificielle.

Dan avait disparu quand Lil et moi sommes montés sur la scène du Hall, où les adhocs de Debra fêtaient leur succès en partageant un caillou de crack avec un groupe de sympathisants. Débarrassée de son haut-de-forme et de son pardessus, Debra semblait extrêmement détendue, avec la pipe entre les dents et les bras autour des épaules de deux de ses camarades.

Elle a souri sans desserrer les lèvres quand Lil et moi avons bredouillé quelques compliments manquant de sincérité, puis a hoché la tête et inspiré profondément quand Tim a approché un chalumeau du fourneau de la pipe.

« Merci », a-t-elle dit, laconique. « C’était un travail d’équipe. » Elle a serré ses camarades contre elle, manquant leur cogner la tête l’un contre l’autre.

« Quel est votre planning, maintenant ? » a demandé Lil.

Debra s’est lancée dans un long laïus sur les chemins critiques, les étapes importantes, les réunions nécessaires, et j’ai cessé de l’écouter. Les adhocs adoraient ce genre de trucs de gestion de projet. J’ai regardé mes pieds, puis le plancher, et me suis aperçu qu’il ne s’agissait pas du tout d’un plancher, mais d’un grillage de cuivre recouvert d’une peinture imitation bois… d’une cage de Faraday, en d’autres termes. Voilà pourquoi le pistolet ORHE n’avait rien donné, voilà pourquoi ça ne les avait pas gênés de laisser leurs ordinateurs ouverts pendant qu’ils travaillaient. J’ai suivi des yeux ce blindage en cuivre et constaté qu’il entourait toute la scène jusqu’au plafond, dans lequel il disparaissait. Une fois encore, j’ai été frappé par le degré de perfectionnement atteint par les adhocs de Debra, par la manière dont leur épreuve du feu en Chine les avait armés contre le genre de micmacs de seconde zone que pouvaient inventer des rigolos de Floride… comme moi.

J’estimais par exemple qu’aucun castmember du Parc, en dehors de la clique de Deb, n’aurait assez d’aplomb pour organiser un assassinat. Une fois parvenu à cette conclusion, j’ai compris que ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils en organisent un autre, et un autre, et encore un autre. Ou tout ce dont ils pensaient pouvoir se tirer sans casse.

Debra a fini par achever son laïus, ce qui nous a permis, à Lil et à moi, de nous éloigner. Je me suis arrêté devant le terminal de sauvegarde dans le passage entre Liberty Square et Fantasyland. « Quand t’es-tu sauvegardée pour la dernière fois ? » ai-je demandé à Lil. S’ils pouvaient s’en prendre à moi, ils pourraient s’en prendre à n’importe lequel d’entre nous.

« Hier », a-t-elle répondu. Elle exsudait une lassitude extrême et ressemblait davantage à un visiteur saturé qu’à une infatigable castmember.

« Recommençons, d’accord ? On devrait vraiment se sauvegarder midi et soir… dans notre situation, on ne peut pas se permettre de perdre une demi-journée de travail, et encore moins une semaine. »

Lil a roulé des yeux. Il valait mieux éviter de se disputer avec elle quand elle était fatiguée, mais je ne pouvais pas laisser sa mauvaise humeur me faire renoncer à un point aussi important. « Tu peux te sauvegarder aussi souvent que ça si tu veux, Julius, mais ne me dis pas ce que j’ai à faire, compris ?

— Allons, Lil… Ça ne prendra qu’une minute et je me sentirai beaucoup mieux… S’il te plaît ? »

Le ton geignard de ma voix m’a fortement déplu.

« Non, Julius. Non. Rentrons dormir un peu à la maison. Je veux travailler sur de nouveaux produits dérivés pour la Mansion… des trucs à collectionner, peut-être.

— Pour l’amour du ciel, est-ce vraiment trop demander ? Très bien. Attends-moi pendant que je me sauvegarde, dans ce cas, tu veux bien ? »

Lil a grogné et m’a décoché un regard plein de colère.

Je me suis approché du terminal en lançant le signal de sauvegarde. Il ne s’est rien passé. Ah oui, c’est vrai, j’étais hors ligne. Mon nouveau corps s’est couvert d’une sueur froide.

Lil s’est approprié le canapé dès notre retour à la maison, en marmonnant qu’elle voulait travailler sur de nouvelles idées de produits dérivés qu’elle avait eues. Je l’ai regardée avec colère subvocaliser et frapper sur un clavier virtuel, isolée de moi dans un coin. Je ne lui avais pas encore dit que j’étais hors ligne… cette difficulté personnelle semblait insignifiante, comparée aux crises qu’elle affrontait.

D’autant plus que je m’étais déjà retrouvé hors ligne par le passé, même si ça remontait à plus d’un demi-siècle, et, une fois sur deux, le système se rétablissait de lui-même après une bonne nuit de sommeil. Je pourrais toujours aller consulter un médecin au matin si la situation ne s’améliorait pas.

Je me suis donc glissé sous les draps et, quand ma vessie m’a tiré hors du lit au milieu de la nuit, j’ai dû aller dans la cuisine consulter notre vieille horloge à aiguilles pour savoir l’heure. Il était trois heures du matin, et depuis quand au juste avions-nous débarrassé la maison de toutes les horloges, aussi ?

Endormie sur le canapé, Lil a vaguement protesté quand j’ai essayé de la réveiller, aussi ai-je étalé une couverture sur elle avant de retourner me coucher tout seul.

Je me suis réveillé désorienté et ronchon, sans mon habituelle décharge matinale d’endorphine. De très frappants rêves de mort et de destruction se sont dissipés quand je me suis assis. Je préférais laisser mon inconscient fonctionner à sa guise, aussi avais-je depuis longtemps programmé mes systèmes pour me garder endormi durant les phases de sommeil paradoxal, sauf en cas d’urgence. La tête pleine du goût infect laissé par le rêve, je me suis traîné jusque dans la cuisine où Lil préparait du café.