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« Comment ça, non ? » me suis-je énervé ce soir-là.

Lil a croisé les bras en me considérant avec colère. « Non, Julius. Ça ne passera pas. Le groupe n’est déjà pas content que les nouveaux en retirent toute la gloire, il ne nous laissera jamais en faire venir d’autres. Il ne va pas non plus cesser de travailler à la rénov pour les former, les costumer, les nourrir et les materner. Et comme chaque jour de fermeture de la Mansion fait perdre du whuffie aux adhocs, ils ne veulent pas de retard supplémentaire. Dave est déjà parti rallier Debra, et je suis sûre qu’il ne sera pas le seul. »

Dave, le connard qui n’avait cessé de dénigrer la rénovation durant l’AG. Bien sûr qu’il avait changé de camp. Lil et Dan se tenaient côte à côte sur le porche de la maison dans laquelle j’avais vécu. J’étais venu convaincre Lil de persuader les adhocs d’augmenter le nombre de recrues, mais la conversation ne se déroulait pas comme prévu. Ils ne me laissaient même pas entrer.

« Qu’est-ce que je dis à Kim, alors ?

— Ce que tu veux, a répondu Lil. C’est toi qui l’as fait venir… à toi de la gérer. Assume, pour une fois dans ta vie, merde. »

La discussion n’allait pas en s’améliorant. Dan m’a adressé un regard d’excuse. Lil m’a foudroyé du regard encore un instant avant de rentrer dans la maison.

« Debra s’en sort vraiment bien, a dit Dan. Les gens n’arrêtent pas de parler d’elle sur le Réseau. Du jamais-vu. Le flashage marche du tonnerre dans les boîtes de nuit : on y balance aux clients des rafales contenant dance mix et sauvegarde du DJ.

— Mon Dieu, ai-je fait. J’ai merdé, Dan. J’ai complètement merdé. »

Il n’a pas répondu, ce qui revenait à approuver.

En rentrant à l’hôtel, j’ai décidé qu’il fallait que je parle à Kim. Elle me posait un problème dont je n’avais pas besoin, un problème que je pouvais peut-être résoudre. Après avoir fait demi-tour dans un crissement de pneus, j’ai conduit ma voiturette jusque chez elle, une petite copropriété d’un complexe délabré qui, autrefois, avant Bitchun, avait été un village clos réservé au troisième âge.

On repérait facilement son logement : toutes les lumières en étaient allumées et un vague bruit de conversations traversait la porte à moustiquaire. J’ai monté les marches deux à deux et m’apprêtais à frapper quand j’ai reconnu une voix.

Celle de Debra : « Ah oui, oui ! disait-elle. Excellente idée ! Je n’avais jamais vraiment pensé à utiliser des acteurs de streetmosphere{Mot formé à partir de street (rue) et atmosphère qui désigne les animations des rues par des orchestres ou de faux tournages de films.} pour animer la zone d’attente, mais c’est tout à fait sensé. Vous faites tous un travail vraiment excellent à la Mansion… Trouvez-m’en d’autres comme vous, je les prends quand ils veulent au Hall ! »

J’ai entendu Kim et ses jeunes amis bavarder avec fierté et excitation. Envahi par la colère et la peur, je me suis soudain senti léger, froid et prêt à commettre une horreur.

J’ai redescendu les marches en silence pour regagner ma voiturette.

Il y a des gens incorrigibles. Il faut croire que j’en fais partie.

Je gloussais presque en songeant à la simplicité imparable de mon plan, au moment où je me glissais par l’entrée des artistes à l’aide de la carte d’identité obtenue quand mes systèmes étaient passés hors ligne, puisque je ne pouvais plus projeter mon autorisation sur la porte.

Je me suis changé dans des toilettes sur Main Street, enfilant une pèlerine noire qui me brouillait complètement les traits, puis coulé dans les ombres s’étalant devant les boutiques jusqu’aux douves du Château de Cendrillon. Furtif, j’ai escaladé la clôture et me suis accroupi pour gagner le quai, puis je suis descendu dans l’eau, où j’ai pataugé jusqu’à Adventureland.

En longeant l’entrée de Liberty Square, je me suis caché dans l’encoignure des portes chaque fois que j’entendais passer au loin des équipes de maintenance, et j’ai fini par arriver au Hall Of Presidents. En un clin d’oeil, j’y ai pénétré.

Fredonnant le thème de « It’s A Small World », j’ai extrait un pied-de-biche de la poche à rabat de ma pèlerine et me suis mis à l’ouvrage.

Les unités de diffusion primaire étaient dissimulées derrière une toile peinte au-dessus de la scène et d’une construction étonnamment solide pour de la technique de première génération. J’ai sué sang et eau pour les fracasser, mais j’ai poursuivi mes efforts jusqu’à ce qu’il n’en reste rien de reconnaissable. ça été un travail long et bruyant dans le silence du Parc, mais qui m’a bercé et plongé dans une rêverie somnolente, un moment intemporel d’autohypnose provoqué par l’oscillation et les boums réguliers de mon outil. Pour mettre toutes les chances de mon côté, je me suis emparé des unités mémoire que j’ai glissées dans ma pèlerine.

Localiser leurs unités de sauvegarde m’a posé un peu plus de difficultés, par chance, j’avais traîné des années dans le Hall Of Presidents pendant que Lil bricolait les Animatroniques. J’ai inspecté méthodiquement chaque coin, recoin, fente et zone de stockage jusqu’à ce que je les déniche dans l’ancien placard d’une salle de repos. Ayant désormais trouvé mon rythme, je n’en ai fait qu’une bouchée.

J’ai effectué un passage supplémentaire, détruisant tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un prototype de la prochaine génération ou à des notes pouvant faciliter la reconstruction des unités réduites en miettes par mes soins.

Je ne me faisais pas d’illusions sur le degré de préparation de Debra : elle avait sûrement combiné hors du site quelque chose qu’elle pourrait mettre en route en quelques jours. Mon raid ne provoquerait aucun dommage permanent : il me donnait juste un ou deux jours de répit.

Je suis sorti du Parc sans me faire repérer et j’ai regagné ma voiturette, mes chaussures dégorgeant l’eau des douves.

Pour la première fois depuis des semaines, j’ai dormi comme un bébé.

Bien entendu, je me suis fait prendre. Les conspirations machiavéliques ne sont pas vraiment dans mon tempérament, et j’avais laissé une piste d’un kilomètre de large, depuis les empreintes de pieds boueuses dans l’entrée du Contemporary jusqu’au pied-de-biche bêtement oublié, avec ma pèlerine et les unités mémoire du Hall, sur la banquette arrière de ma voiturette.

Juste avant l’ouverture du Parc, sifflant ma version personnelle, jazzy et rapide, de « Grim Grinning Ghosts », je suis sorti de la salle des costumes et j’ai emprunté l’utilidor, dont je suis sorti à Liberty Square.

Je me suis retrouvé face à Lil et Debra. Debra tenait ma pèlerine et mon pied-de-biche, Lil les unités mémoire.

N’ayant pas pris mes transdermiques ce matin-là, j’ai ressenti une émotion brute, puissante et bruyante.

Je me suis enfui.

Je me suis enfui à toutes jambes en direction d’Adventureland, fuyant les deux femmes, passant devant la Tiki Room (où j’avais trouvé la mort) et l’entrée d’Adventureland (où j’avais barboté dans les douves) avant de descendre Main Street. J’ai couru sans m’arrêter, bousculant les tout premiers visiteurs, piétinant les fleurs, renversant un chariot de pommes devant la galerie des machines à sous.

J’ai couru jusqu’à l’entrée principale où je me suis retourné en pensant avoir distancé Lil, Debra et tous mes problèmes. Erreur. Rouges et essoufflées, elles se trouvaient toutes deux à un pas de moi. Debra, qui tenait mon pied-de-biche comme une arme, l’a brandi dans ma direction.