« T’es vraiment con, tu sais ? » a-t-elle lancé. Si nous avions été seuls, elle m’aurait sans doute frappé avec le pied-de-biche.
« Alors, Debra, ai-je ricané, on supporte mal que quelqu’un d’autre ne joue pas fair-play ? »
Lil a secoué la tête de dégoût. « Elle a raison, t’es con. Assemblée générale de l’adhoc à Adventureland. Tu viens.
— Pourquoi ? ai-je demandé avec l’envie d’en découdre. Vous allez me rendre hommage pour tout mon dur labeur ?
— On va parler de l’avenir, Julius, du moins de ce qu’il nous en reste.
— Pour l’amour du ciel, Lil, tu ne comprends donc pas ce qui se passe ? Ils m’ont tué ! Ils l’ont fait, et maintenant on se bat entre nous au lieu d’affronter Debra ! Pourquoi ne vois-tu pas que c’est complètement à côté de la plaque ?
— Prends garde aux accusations que tu portes, Julius », a dit Debra d’une voix tranquille et profonde, presque sifflante. « Je ne sais pas qui t’a tué ni pourquoi, mais c’est toi, le coupable, ici. Tu as besoin d’aide. »
J’ai aboyé un rire sans joie. Les visiteurs commençaient à se déverser dans le Parc désormais ouvert et plusieurs d’entre eux observaient avec attention les trois castmembers costumés s’engueuler. Je sentais mon whuffie baisser à vitesse hémorragique. « Debra, tu n’es vraiment qu’un tas de merde, et tu produis des trucs banals sans la moindre imagination. Tu es une putain de spoliatrice qui n’a même pas le cran de le reconnaître.
— Ça suffit, Julius. » Le visage dur, Lil peinait à contenir sa rage. « On y va. »
Lil m’a précédé d’un pas, Debra m’a suivi d’autant, pendant tout le temps qu’il nous a fallu pour traverser la foule jusqu’à Adventureland. J’ai eu dix occasions d’échapper à mes gardiennes en me glissant dans une brèche du flux humain, mais je n’ai pas tenté ma chance. Je voulais dire au monde entier ce que j’avais fait et pourquoi.
Debra a monté derrière nous les marches menant à la salle de réunion. Lil s’est retournée. « Je ne crois pas que tu devrais y assister, Debra », a-t-elle affirmé d’un ton mesuré.
Debra a secoué la tête. « Tu ne peux pas me tenir à l’écart, tu sais. Et tu n’en as aucune envie. On est dans le même camp. »
J’ai poussé un grognement moqueur et c’est sans doute ce qui a décidé Lil. « Viens, alors », a-t-elle dit.
Il n’y avait plus une seule place assise dans la salle, remplie à craquer par les adhocs au grand complet, à l’exception de mes nouvelles recrues. La rénov n’avançait donc pas et le Liberty Belle patientait à quai. Il y avait même les équipiers des restaurants. Liberty Square ne devait plus être qu’une ville fantôme. Ce qui donnait à la réunion un caractère d’urgence : nous avions conscience que des visiteurs erraient dans Liberty Square à la recherche de castmembers prêts à leur venir en aide. Bien entendu, l’équipe de Debra pouvait se trouver dans le coin.
Tous les adhocs avaient le visage fermé et amer, ce qui ne laissait aucun doute dans mon esprit : j’étais vraiment dans la merde. Dan lui-même, assis au premier rang, semblait en colère. J’ai failli fondre en larmes en le voyant ainsi. Dan… Oh, Dan. Mon pote, mon confident, mon pigeon, mon rival, ma némésis. Dan, Dan, Dan. J’ai eu envie tout à la fois de le battre à mort et de le serrer dans mes bras.
Lil s’est avancée vers le pupitre en rejetant une mèche folle derrière son oreille. « Bon, commençons », a-t-elle dit. Je me suis mis sur sa gauche, Debra sur sa droite.
« Merci d’être venus. J’aimerais que nous fassions vite. Nous avons tous un travail important à accomplir. Pour résumer les faits, la nuit dernière, un membre de notre adhoc a saccagé et mis hors service le Hall Of Presidents. On estime à une semaine la durée des réparations.
« Inutile de vous dire que ce n’est pas acceptable. Ce n’est jamais arrivé et n’arrivera jamais plus. Nous y veillerons.
« Je voudrais vous proposer de cesser toute activité sur la Mansion tant que le Hall Of Presidents n’aura pas retrouvé toutes ses capacités. Je me porte volontaire pour participer aux réparations. »
Il y a eu des hochements de tête dans l’assistance. Lil ne serait pas la seule à travailler sur le Hall durant la semaine. « Il n’y a pas de rivalité à Disney World, a affirmé Lil. Les diverses adhocs coopèrent dans le but de rendre le Parc aussi bon que possible. Malheureusement pour nous, nous avons perdu ce but de vue. »
J’ai failli m’étrangler de rage. « J’aimerais dire quelques mots », ai-je annoncé aussi calmement que possible.
Lil m’a jeté un coup d’œil. « D’accord, Julius. Tout membre de l’adhoc a le droit à la parole. »
J’ai inspiré à fond. « Je l’ai fait, d’accord ? » ai-je dit. Ma voix s’est fêlée. « Je l’ai fait et je n’ai aucune excuse. Ce n’est sans doute pas ce que j’ai fait de plus futé, mais je pense que vous devriez tous comprendre comment j’y ai été poussé.
« On n’est pas censés être rivaux les uns des autres, mais nous savons tous que ce n’est qu’un gentil bobard. En vérité, il y a une véritable concurrence dans le Parc et les concurrents les plus coriaces sont ceux qui ont réhabilité le Hall Of Presidents. Ils vous ont volé le Hall ! En profitant d’une distraction de votre part, et ils se sont servis de moi pour provoquer cette distraction, ils m’ont assassiné ! » J’avais conscience que ma voix dérapait dans les aigus, mais je ne pouvais rien y faire.
« Ce bobard selon lequel nous sommes tous dans le même camp est bénéfique, en général, puisqu’il nous permet de travailler tranquillement ensemble. Mais la situation a changé le jour où ils m’ont fait tirer dessus. Si vous continuez à croire ce bobard, vous allez perdre la Mansion, le Liberty Belle, Tom Sawyer Island… tout. Tout le passé que nous avons en commun avec cet endroit, nous et les millions de gens qui nous ont rendu visite, sera détruit et remplacé par la saloperie stérile et brutale qui a repris le Hall. Et quand ce se sera produit, cet endroit n’aura plus rien de particulier. N’importe qui pourra vivre la même expérience sans décoller les fesses de son canapé ! Et qu’arrivera-t-il alors, hein ? Combien de temps pensez-vous que cet endroit restera ouvert une fois qu’il n’y aura plus personne ici à part vous ? »
Debra a eu un sourire condescendant. « Tu as terminé ? a-t-elle gentiment demandé. Très bien. Je sais bien que je ne fais pas partie du groupe, mais comme c’est mon travail qu’on a détruit la nuit dernière, j’aimerais répondre à Julius, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. » Elle a marqué un temps d’arrêt, mais personne n’a rien dit.
« Pour commencer, je tiens à ce que vous sachiez tous que nous ne vous tenons pas pour responsables des événements de la nuit passée. Nous connaissons le responsable, nous savons qu’il a besoin d’aide. Je vous conseille vivement de veiller à ce qu’il l’obtienne.
« Ensuite, j’aimerais dire qu’en ce qui me concerne nous sommes dans le même camp… celui du Parc. C’est un endroit spécial qui ne pourrait exister sans tous nos efforts. Ce qui est arrivé à Julius est horrible et j’espère sincèrement qu’on arrêtera et jugera le responsable. Mais ce responsable, ce n’est ni moi ni personne de mon adhoc.
« Lil, je voudrais te remercier pour ta généreuse proposition de nous aider, nous te prendrons au mot. Ça vaut d’ailleurs pour vous tous : venez au Hall, nous vous mettrons au travail. Il ne va pas nous falloir longtemps pour reprendre du service.
« Maintenant, en ce qui concerne la Mansion, permettez-moi de vous le dire une bonne fois pour toutes : ni moi ni mon adhoc n’avons le moindre désir de la reprendre. C’est une attraction splendide, et qui s’améliore avec le travail que vous fournissez. Si vous vous inquiétiez là-dessus, soyez rassurés. Nous sommes tous dans le même camp.