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Je me suis noué une serviette autour de la taille avant de revenir dans la chambre. Les arômes de détergent, de fleurs et de réjuv me picotaient le nez avec la vitalité du camphre. Dan et Lil se sont levés à mon entrée pour m’aider à regagner mon lit. « Eh bien, ça craint », ai-je lancé.

Après le terminal de liaison satellite, j’étais parti directement par les utilidors : trois plans de coupe de caméras de sécurité, l’un au terminal, le deuxième dans le tunnel, et le dernier à la sortie du passage souterrain entre Liberty Square et Adventureland. J’avais l’air déconcerté et un peu triste quand j’ai franchi la porte pour commencer à me frayer un chemin dans la foule avec une espèce de démarche à la fois traînante, sinueuse et rapide mise au point au cours de mes recherches sur le terrain destinées à ma thèse sur le contrôle des foules. J’ai fendu la cohue de mi-journée en direction du long toit de la Tiki Room, recouvert de bandes d’aluminium scintillant coupées et peintes pour ressembler à de longues herbes.

Des plans flous, désormais, du point de vue de Dan, sur lesquels je m’approche en passant près d’un groupe d’adolescentes dotées de coudes et de genoux supplémentaires et vêtues de pèlerines à contrôle environnemental recouvertes de logomarques du parc Epcot. L’une d’entre elles porte un casque colonial acheté à la boutique Jungle Traders, attenante au Jungle Cruise. Le regard de Dan se porte sur l’entrée de la Tiki Room, où patiente une courte file d’hommes d’un certain âge, puis revient sur les adolescentes juste au moment où la fille au casque colonial sort un élégant petit pistolet organique, semblable à une espèce de pénis muni d’une queue qui s’enroule autour de son bras. Tranquillement, le sourire aux lèvres, elle lève le bras et fait avec le pistolet le geste exact qu’effectue Lil quand elle me télécharge quelque chose, et l’arme bondit en avant. Le regard de Dan se porte à nouveau sur moi. Je tombe, mes poumons me sortent de la poitrine et s’étalent devant moi comme des ailes, du cartilage vertébral et des viscères éclaboussent les visiteurs en face de moi. Un morceau de mon badge nominatif, transformé en shrapnel, frappe au front Dan, qui cligne des yeux. Quand il regarde à nouveau, le groupe d’adolescentes n’a pas bougé, mais celle au pistolet a disparu depuis longtemps.

La reconstitution est beaucoup moins confuse. Tout le monde y est grisé à part moi, Dan et la fille. Nous sommes surlignés en jaune et évoluons au ralenti. Je sors du passage souterrain tandis que la fille s’éloigne de l’Arbre des Robinson Suisses pour rejoindre son groupe d’amies ; Dan fait un mouvement dans ma direction. La fille lève le bras et presse la détente. La balle intelligente autoguidée, réglée sur ma chimie corporelle, vole bas, près du sol, slalomant entre les pieds des gens, à une vitesse à peine inférieure à celle du son. Lorsqu’elle m’atteint, elle remonte en hurlant pour se précipiter dans ma colonne vertébrale, et explose dès qu’elle entre dans ma poitrine.

La fille a déjà parcouru pas mal de chemin en direction du passage entre Adventureland et Main Street, USA. La reconstitution accélère, suit la fille alors qu’elle se fond dans la foule, se penche et louvoie, avance vers le passage couvert du Château de Cendrillon. Elle disparaît, pour réapparaître quarante minutes plus tard, à Tomorrowland, près du nouveau complexe Space Mountain, où elle disparaît à nouveau.

« Quelqu’un a identifié la fille ? » ai-je demandé après avoir ainsi revécu les événements. La colère commençait à bouillonner en moi. Mes nouveaux poings se sont serrés pour la première fois, paumes tendres, doigts sans cals.

Dan a secoué la tête. « Aucune des nanas du groupe dans lequel elle était ne l’avait vue avant. Son visage était l’une des Sept Sœurs… Tu peux toujours espérer. » Les Sept Sœurs étaient une collection à la mode de visages griffés. Une adolescente sur deux en portait.

« Et Jungle Traders ? ai-je demandé. Ils ont une trace de l’achat du casque colonial ? »

Lil a froncé les sourcils. « Nous avons étudié leurs ventes des six derniers mois : seules trois clientes correspondent à l’âge apparent de la fille, et elles ont toutes trois des alibis. Elle l’avait sans doute volé.

— Pourquoi ? » me suis-je enfin enquis.

En esprit, j’ai vu mes poumons jaillir de ma poitrine, comme des ailes, comme une méduse, et mes vertèbres partir comme des shrapnels. J’ai vu le sourire de la fille, narquois et presque sexuel, au moment où elle pressait la détente.

« La fille n’a pas choisi une victime au hasard, a expliqué Lil. La balle était bel et bien réglée sur toi. Ta meurtrière s’est donc approchée de toi à un moment ou à un autre. »

Exact. Ce qui signifiait qu’elle était venue à Disney World au cours des dix dernières années. Voilà qui limitait nettement le nombre de suspectes…

« Qu’est-ce qu’elle est devenue après Tomorrowland ? ai-je demandé.

— On n’en sait rien, a répondu Lil. Il y a eu un problème de caméras. On l’a perdue de vue et elle n’a jamais réapparu. »

Elle semblait énervée et en colère… elle prenait très à cœur les pannes du Royaume Enchanté.

« Pour quelle raison voudrait-on me tuer ? » ai-je demandé en détestant l’apitoiement qui perçait dans ma voix. Ce n’était pas parce qu’on ne m’avait encore jamais assassiné que je devais en faire un drame.

Le regard de Dan s’est perdu dans le vague. « Il arrive que les gens agissent pour des raisons parfaitement raisonnables à leurs yeux mais que personne d’autre ne peut espérer comprendre. J’ai assisté à quelques meurtres et, après coup, on ne leur trouvait aucun sens. » Il s’est frotté le menton. « Il vaut parfois mieux s’intéresser au caractère plutôt qu’au motif : qui pourrait faire une chose pareille ? »

Exact. Il nous suffisait d’enquêter sur tous les psychopathes ayant visité le Royaume Enchanté durant la dernière décennie. Ce qui réduisait considérablement le champ des suspects. J’ai activé une VTH pour vérifier l’heure. Quatre jours s’étaient écoulés depuis mon meurtre. J’approchais d’une période de travail aux tourniquets de la Haunted Mansion. J’aimais effectuer cette tâche une ou deux fois par mois, juste pour garder les pieds sur terre : cela m’aidait à rester en contact avec la réalité pendant que j’évoluais dans l’atmosphère raffinée de mes simulations de contrôle de foule.

Je me suis levé pour aller prendre de quoi m’habiller dans le placard.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? s’est inquiétée Lil.

— J’ai une période de travail, je vais être en retard.

— Tu n’es pas en état de bosser », a décrété Lil en me tirant par le coude.

Je me suis libéré d’une secousse.

« Je vais bien… je suis comme neuf. » J’ai ri sans joie. « Je ne vais pas laisser ces salauds continuer à perturber mon existence. »