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Ça s’ouvre. Une niche de maigre dimension s’offre à nos regards curieux et à nos mains préhensives. Je plonge ma dextre et je ramène une forte enveloppe rebondie. En parfait imitateur, Béru fourre ses francforts dans le trou et retire des enveloppes liées ensemble par une forte agrafe. J’ouvre la mienne, il ouvre les siennes.

La mienne contient des devises étrangères : dollars, livres, francs suisses, pesetas. Il y en a pour beaucoup de francs français.

Celles de Béru contiennent des lettres.

— Petit cachottier, qu’il murmure le Gros en me défrimant façon père Duval (de Grâce).

— Pourquoi cachottier ?

— Tu m’avais pas dit que tu bouffais de ce pain-là !

Je m’emporte (c’est pas que je sois léger, c’est qu’au contraire je suis très fort).

— Écoute, Catastrophe Permanente, tu n’as pas tellement de facilité dans l’élocution, si en plus tu te mets à jacter de façon sibylline…

— Je cause pas avec une sébile, se rebiffe le Puissant. Assez de baratin. San-A., ce que je lis suffit à m’édifier.

— Tu parles d’un édifice !

Il me fourre devant les vasistas une lettre déployée.

Alors, mes chers et loyaux amis, les crins du délicat San-A. adoptent la position verticale et son cervelet décrit un tour complet sur lui-même. La lettre en question est de moi ! Vous lisez bien ? De MOI, commissaire San-Antonio, fils unique et préféré de Félicie. Et son texte me fait monter au front le rouge de la honte, le blanc de la rage et le bleu d’Auvergne. Jugez plutôt :

Chère Virginie,

Vous avez cru me posséder avec l’histoire de la machine. Le coup était en effet astucieux ; seulement vous avez eu la malchance de tomber sur un flic plus futé — en toute modestie — que les autres. J’ai tout découvert, y compris la particularité de cette Ravioli-Univers et l’usage auquel vos patrons la réservent. J’estime mon silence à vingt-cinq millions. C’est donné. Soyez assez aimable pour faire le nécessaire rapidement.

Votre très dévoué,

San-Antonio.

C’est bien mon écriture. Ça l’est tellement que, pendant un court instant, je me baguenaude dans la quatrième dimension.

Le Gros a le regard humecté.

— Veux-tu que je te dise, San-A. ? C’est la plus grosse désillusion de ma vie. Toi ! Toi que je m’étais figuré que tu étais le gars le plus formide du monde, faire un truc pareil !

Je lui boufferais le pif s’il était un peu plus propre.

— Non, mais dis donc, tu te figures tout de même pas que je suis l’auteur de ce poulet ? Si tu en es convaincu, annonce-le-moi que je te mette une avoinée !

Il s’illumine, s’embrase, devient fluorescent.

— Je me gaffais bien, San-A., que tu n’avais pas traficoté. C’est pas ton genre ; je te connais.

— Tu me connais, seulement, tu étais prêt à me considérer comme le dernier des flics marrons ! Passe-moi les autres brèmes que je complète mon éducation.

Toutes sont du même tonneau. Toutes paraissent écrites par moi. Un expert qui parlerait couramment le grec en perdrait son latin. Elles ne sont qu’un long chantage à la discrétion. Vingt-cinq briques ou je dis tout. La dernière des cinq (il y en a cinq) m’apporte une indication.

« Tant pis pour vous, le coup de Londres foirera. »

Le coup de Londres !

Je décroche le bignou et j’appelle le Vieux.

— Frétez-moi un avion-taxi pour London, patron, cette fois, nous touchons au port. Qu’une voiture soit mise à notre disposition à l’aéroport de là-bas. Béru et moi nous partons sur-le-champ.

— Alors, on file chez les rosbifs ? murmure le Gros, peu enthousiasmé.

— Ça te contriste ?

— On y bouffe tellement mal !

Nous prenons congé du larbin.

— Toutes nos excuses, lui fais-je, c’est à la suite d’une regrettable méprise et sur la foi d’une fausse indication que nous sommes venus ici.

Il adopte son air compassé 69 bis, celui qu’il réserve aux huissiers et aux placiers en aspirateurs.

— Pourquoi que tu lui as passé la brosse ? s’étonne le Gros lorsque nous sommes dehors.

— C’est pour le cas où il téléphonerait à Bijou. Je ne veux pas que l’autre soit sur la défensive…

— Qu’est-ce que tu penses de ces bafouilles, San-A. ? Un peu fort de caoua, hein ?

— Et comment ! Maintenant, j’ai compris pourquoi on cherchait à me liquider.

— Vas-y ?

— Ben, c’est clair, non ? Grâce à cette trouvaille, je possède un paquet d’explications.

— À savoir ?

— Écoute, bibendum, je vois l’affaire de la façon suivante : Virginie et son frelot ont eu les dents longues. Ils ont cherché à arnaquer leurs patrons en me faisant jouer ce rôle on ne peut plus ingrat de policier-maître chanteur. La môme avait un échantillon de mon écriture car je lui avais adressé des pneus à une ou deux reprises. Ils ont exécuté ou fait exécuter ces faux. Les lettres étaient adressées à Virginie puisque je n’étais censé connaître qu’elle. Seulement, Bijou ne l’a pas entendu de cette oreille et a refusé de douiller. Il a préféré engager un tueur pour me faire disparaître, puisque j’avais l’air d’en savoir long.

— Après ? demande le Cérébral, passionné.

— Après, mon gros Nounours, j’ai été tué.

— Qu’est-ce que tu débloques ? Puisque t’es là à me causer !

— Français, vous avez la mémoire courte, me récrié-je. J’ai feint de disparaître. Ça ne faisait pas le compte de Virginie et de son frangin. Ils ont dû trouver une autre combine pour le chantage. Ça a paru suspect à Bijou et il a procédé à une enquête qui lui a démontré la perfidie de ses collaborateurs. La môme Virginie s’est mise à table après avoir été cuisinée.

— Normal, rit Béru.

— Ils l’ont butée et ils ont voulu avoir la peau du frangin.

Je me tais, des larmes me viennent aux yeux. Ces larmes alarment Bérurier.

— Qu’est-ce t’as ?

— J’ai que sans ce fichu article dicté par le Vieux, Adèle vivrait encore. Sa mort a été inutile. Quand ils l’ont descendue, ils savaient déjà que Virginie les possédait. Ils ont dû croire que j’avais tout de même été son complice et c’est par mesure de sécurité qu’ils ont pris cette affreuse précaution.

— À cause de ce coup qui se prépare à Londres ?

— Oui. Ils ont voulu éviter le moindre risque d’échec. Ça doit être foutrement important.

CHAPITRE XV

À l’arrivée à Londres, nous sommes attendus par un messager de l’Intelligence. C’est un gars blond, avec des manières précieuses qui le font ressembler à un déserteur du Chemin des Dames. Pas sympa : le côté « je ne supporte pas le soleil » avec un corps comme un parapluie roulé. Il nous dit qu’il a une Hillman pour nous et se propose à nous conduire. Je lui réponds fort civilement, n’étant pas en uniforme, que c’est inutile, car je tiens à conserver les coudées franches et à ne pas donner aux matuches english un aperçu de mes méthodes un peu… particulières.

Il a la complaisance de m’indiquer la route d’Armstronguejohns et j’ai l’urbanité de le remercier. Après ces salamalecs, nous décarrons enfin.