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— Vous me mettez l’eau à la bouche, plus qu’avec un seau !

— Son coffrage est un explosif nouveau, d’une puissance dont vous me direz des nouvelles. Il sautera lorsqu’on dactylographiera un nom de sept lettres, celui du délégué allemand à la conférence : AZBOHER. En tapant ces sept lettres dans l’ordre, le détonateur se déclenche. Ingénieux, non ?

— Et c’est Maurin qui a amené la machine ?

— Oui, et il vient de la confier à sa secrétaire.

— Celle qui remplace Virginie ?

— Exactement.

Bijou regarde sa montre.

— D’après mes pronostics, d’ici à vingt minutes tout sera consommé. La salle des conférences ne sera plus qu’un tas de ruines fumantes et les délégués de simples noms à graver sur une pierre tombale.

Bijou regarde sa montre.

— Vous m’excuserez, je dois filer. La B.B.C. a prévu un reportage sur la conférence dans cinq minutes, vous pourrez l’écouter.

— Merci, dis-je, voilà une délicate attention. Mais je préférerais suivre cette passionnante retransmission dans un fauteuil, en fumant un cigare.

— Il n’en est pas question. Estimez-vous heureux que je ne vous abatte pas. J’ai horreur de me tacher les mains, je suis contre la violence. Je préfère vous laisser mourir de faim tous les deux…

Gémissement de Béru à l’extrême gauche.

— Nous abandonnons cette maison de location. La porte de fer du cellier ne laisse passer aucun son, j’en ai fait l’expérience. Vous pourrez crier en toute tranquillité. Salut !

Il sort, suivi de l’abominable miss Matrack et le verrou coulisse. Seule retentit maintenant la musique douce diffusée par le poste.

— On est frais, se lamente l’Énorme. Ah ! quel patelin ! Je commence à m’ankyloser, mec !

— Tu l’étais déjà cent cinq fois, ankylosé, mon Béru.

— Tu te rends compte d’une fin. Mourir suspendu comme ça dans une cave, et en Angleterre ! Ah ! je te jure…

Il se démène au bout de ses cordes, mais chaque ruade ne fait que cisailler davantage la pauvre bidoche de ses non moins pauvres poignets.

— T’agite pas, Gros, fais-je. J’ai un plan.

— J’espère que c’est pas un plan quinquennal, because ça urge !

— Écoute, je vais essayer de faire un rétablissement de manière a amener mon soulier droit à la hauteur de ta main gauche.

— Et après, qu’est-ce que j’en ferai, de ta godasse !

— La plaque de mon talon ne tient plus bien, tu vas essayer de l’arracher.

— Et après ?

— Ce que tu es avide, Béru ! Eh bien ! après je ferai glisser ma main droite le long du tuyau jusqu’à toi.

— Et après ?

— Après, utilisant la plaque usée comme une lame, tu essaieras de trancher la corde qui me lie à ce tuyau. Lorsque j’aurai une main libre, le reste ne sera plus qu’un jeu d’enfant…

— Jeu d’enfant, mon chose ! rouspète le Suspendu. Tu crois que tu pourras franchir cette p… de porte de fer avec le verrou qu’est tiré à l’extérieur !

— Écoute, Enflure, clamé-je, pour l’avenir te reporter à ton marc de café habituel. Chaque chose en son temps.

Si vous me voyiez, les gars, vous téléphoneriez dare-dare à M. Bouglione pour qu’il m’engage dans un numéro de contorsionniste. Faut être athlète complet comme le pain du même nom pour se permettre ça ! Oh ! pardon. En quatre mouvements, je hisse mon talon au niveau de la pogne bérurienne.

— Tu peux saisir la plaque ?

— Ça y est.

— Tiens-la bien, je vais donner une secousse pour l’arracher.

Un vrai étau, la paluche de mon Gros.

— Ça y est, elle m’est restée dans les doigts.

— Surtout, ne la lâche pas ou sinon je ne te parlerai plus de huit jours ! Attends, je m’approche.

Dieu est venu faire une virouze en Angleterre, faut croire, car en moins de temps qu’il n’en faut à un reporter sportif de la télé pour faire un pléonasme, je suis délié et je m’occupe du Mastar.

Cette ordure de Bijou m’a délesté de mon pétard, mais il m’a laissé mon ciseau à ongles pliant et c’est un jeu d’enfant que de délivrer l’Obèse. Il choit sur le sol en faisant un bruit de sac de blé tombant d’un grenier.

Nous nous massons longuement les poignets. Des marques violacées nous composent des bracelets à chaque avant-bras et nos doigts sont engourdis comme un boa qui s’est attrapé la queue et qui s’est mangé par inadvertance.

Le poste cesse de diffuser de la zizique et un speaker, plus solennel qu’une marche funèbre, annonce qu’il va nous mettre en rapport avec le Chisblik-Hall où se déroule la conférence à propos de Berlin.

Je me rue contre la lourde de fer à toute volée.

Il faut que nous sortions de là. Il faut empêcher coûte que coûte cette catastrophe !

Mais la porte ne tressaille même pas. C’est de la lourde costaude, en acier anglais, vous pensez ! Béru a beau se joindre à moi, ça ne lui fait pas plus d’effet que de la crème à raser sur un œuf.

— Si on aurait un levier ! dit l’Abominable.

Mais va-te-faire-considérer-chez-les-Helvètes ! Je me fouille à tout hasard. Et je ramène de ma poche arrière un chargeur de pistolet.

— Tu vas les cracher avec ta bouche ? ironise mon prestigieux collaborateur.

— Aide-moi à décortiquer ces balles, Gros.

— Pour quoi fiche ?

— On va récupérer la poudre. Passe ta blague à tabac, on la mettra dedans.

Aussitôt dit aussitôt fait. Les huit balles sont ouvertes, nous rassemblons la poudre dans la blague à tabac de caoutchouc du Gros. Je découpe un morceau de sa cravate limoneuse, j’en fais une mèche que je plonge à l’intérieur de la blague, je glisse le tout sous la lourde, près d’un gond, et j’enflamme l’extrémité de la mèche.

— Planque ta viande contre le mur, Béru, pour éviter les éclaboussures !

Nous nous jetons dans un angle du cellier. Un moment s’écoule, interminable. Rien ne vient.

— La mèche s’est éteinte, fait le Gros, attends, je vais la rallumer.

Il se redresse et s’approche de la porte. À cet instant il se produit un badaboum terrible. Béru pousse un grand cri. Il est noir comme ces petits ramoneurs qu’on voit sur les cartes postales savoyardes. Un éclat de métal lui a écorché le front. Ça saigne un peu, pas trop, pourtant. À part ça, ça boume.

Ça boume même d’autant plus mieux que le gond a été disloqué et qu’il nous est possible de sortir.

Ce sont deux forcenés qui galopent le long de King’s Road. L’un est gros et mâchuré, l’autre est beau (merci) et tient un poste à transistors en main.

Tout en courant vers l’Hillman, je suis le déroulement de la conférence. Le speaker nous parle de l’assistance, des gars avec des casques d’écoute pour les traductions. Il nous dit que les secrétaires prennent place dans un box vitré où elles peuvent malmener leur clavier sans gêner l’assistance. C’est le délégué amerlock qui monte à la tribune.

— Un téléphone ! Vite, vite ! glapis-je.

Nous bombons (glaçons, caramels) dans Armstronguejohns. Un bureau de poste ! Je m’y rue. Je demande le Yard de toute urgence.

Je parle avec l’accent, mais Scotland Yard est un mot international qui veut dire poulardin en anglais. La préposée, époustouflée par ma précipitation, me demande the house-poulmen.

— Passez-moi le Chief Inspector Mac Heusdress ! dis-je au standardiste.

Une veine. Mac est là. C’est un collègue très gentil auquel j’ai eu affaire dans l’histoire des faux dollars de l’ambassade de Circoncie. Je lui crache le morcif en vitesse. Et il raccroche sans même dire merci.

— Où qu’on va ? s’inquiète Bérurier.