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La fille secoua la tête en signe d’incompréhension, s’efforçant de désamorcer l’homme par un calme qu’elle était loin d’éprouver.

— Pourquoi me parlez-vous aussi durement ? fit-elle. Ne sommes-nous pas du même pays ?

— Ça change quoi, que nous soyons polonais, toi et moi ? Tu restes une pute en instance de vérole et moi le gouverneur.

Une bouffée de rage s’empara de la prostituée.

— Gouverneur, vous ne le resterez pas longtemps !

Furieux, il saisit une oreille de Valodia dans chaque main et les lui tordit avec une telle férocité qu’elles s’ensanglantèrent.

— Qu’est-ce que tu viens de dire, puanteur ?

— Rien, rien ! gémit la fille.

— Pourquoi ne resterai-je pas longtemps gouverneur ? Si tu ne réponds pas par la vérité, je t’incise de l’anus au nombril afin que tu te vides de ta charogne, tu m’entends ?

— Des bruits qui courent, pleurnicha-t-elle. On dit que le sultan Mormoilebrac fait empoisonner votre garde pour vous réduire à merci. Quand vous n’aurez plus suffisamment d’hommes pour assurer votre sécurité, il vous fera arrêter et conduire à son palais. S’il ne vous a pas encore tué, c’est parce qu’il a besoin de faire un exemple. Il veut que vous soyez jugé, condamné, torturé sur la place publique et mis à mort de façon raffinée.

Une sudation glacée dévala les reins du tyran.

— D’où tiens-tu cela ? demanda-t-il d’un ton pâle.

— Les gens parlent. Les décès qui s’opèrent dans la troupe sont interprétés par le peuple.

— Et que dit-on encore ?

— Que les laboratoires de Singapour ne trouveront rien. La substance utilisée pour empoisonner vos mercenaires est un poison employé depuis des générations chez les sultans de Klérambâr. Il ne laisse aucune trace.

Machinalement, Nautik Toutanski[1] regarda son sexe. Il constata avec stupeur que celui-ci pendait comme une bite d’eunuque. Mieux, il était flasque et gris, tête de nœud comprise. Au grand jamais son zob n’avait montré plus triste visage sans avoir baisé. Dans sa poitrine tournait une boule d’étoupe qui l’étouffait.

Valodia, qui le guignait avec acuité, se dit que ses actions risquaient de remonter à la faveur d’une pareille déroute. Jouit-on du trépas des autres quand votre sort vous échappe ? Il convenait d’enfoncer le clou.

Elle leva son marteau !

— Monsieur le gouverneur, reprit-elle, n’attendez pas que vos guerriers soient anéantis pour vous mettre à l’abri. Si vous tardez, des révolutionnaires, préparés dans l’ombre, investiront votre résidence et vous feront prisonnier. Il sera trop tard pour réagir.

Elle examina avec une jubilation revancharde les traits creusés de son maître et seigneur, son regard battu par un indicible effroi, sa queue flétrie et sans orgueil.

— À votre place, reprit-elle, je sais ce que je ferais.

Il la questionna d’un œil lamentable.

— Je réunirais le maximum de richesses facilement transportables, et sans crier gare, je prendrais l’avion à la sauvette. J’irais le plus loin possible et m’y ferais oublier.

Il réfléchit un instant, haussa les épaules. Un flot d’énergie lui revenant, il déclara :

— Il faut découvrir qui fait prendre le poison à mes soldats.

— Vous ne trouverez pas !

— Et pourquoi ?

— Parce que toute la population est contre vous !

Il réfléchit un court moment puis questionna :

— Mary et Noéma sont également au courant de ce qui se passe ?

— Je n’en sais rien, mais de toute façon elles s’en fichent. Noéma parce qu’elle est stupide, Mary parce qu’elle est anglaise.

Nautik Toutanski ferma sa robe de chambre dont il resserra la ceinture. Puis il alla ouvrir la porte et appela deux de ses gardes qui traînaient leurs couilles dans l’antichambre.

— Venez ! enjoignit-il.

Les deux hommes pénétrèrent dans la pièce. Lors, le Polonais s’en fut ouvrir la fenêtre en grand et dit à ses mercenaires :

— Vous voyez les piques qui entourent la résidence ? Vous allez prendre cette pute chacun par un bras et une cheville et la flanquer dehors. Si vous parvenez à l’embrocher, je vous remets à chacun une prime de cinq cent mille roupettes Pacifique.

Les deux hommes acquiescèrent. La malheureuse poussait des hurlements rappelant la mise à mort d’un porc dans une cour de ferme. Ses cris n’eurent aucun effet dissuasif sur les tortionnaires. Ils s’emparèrent de la compatriote de Chopin et se mirent à la balancer de plus en plus fortement, en scandant : « Un… Deux… Trois ! »

La fille partit avec ses clameurs.

Au bout d’un bref instant, celles-ci cessèrent.

Toutanski écarta ses sbires pour regarder. Valodia pendait, deux piques émergeaient de son dos après l’avoir traversée de part en part. Ses jambes et ses bras battaient l’air misérablement, sa tête remuait également et on l’entendait geindre.

— Bravo ! complimenta le gouverneur. Voilà de l’argent facilement gagné, non ?

Les braves soldats eurent des sourires de fiers-à-bras.

Le Polonais referma la fenêtre pour que l’air conditionné ne s’échappe pas davantage.

2

Le grand Noir et ses deux compagnons sortirent de l’avion, les jambes molles. Partis d’Afrique du Sud deux jours plus tôt, ils venaient de franchir plusieurs milliers de kilomètres dans des appareils douteux, appartenant à des compagnies confidentielles. Des somnolences en vol, des siestes au cours des escales n’avaient pu endiguer leur état de fatigue. Les trois « nouveaux » marchaient de ce pas qu’ont les touristes venant de descendre par l’escadrin tous les étages de la tour Eiffel.

Le commandant de leur nouvelle « armée » les attendait, flanqué de deux soldats en treillis léopard. C’était un Ukrainien blond, à la boule rasée et au regard d’acier comme on dit puis dans des livres d’action moins coûteux que celui-ci, mais que tu as du mal à lire jusqu’au bout, sauf si tu te fais lécher le sous-couilles pour agrémenter. On avait beau sonder son visage, on ne parvenait pas à y déceler la moindre trace d’humanité. Il avait massacré une forte quantité de Noirs au cours de son existence car il adorait confectionner de faux calmars en découpant leurs trous du cul.

Il s’avança vers les trois hommes et les apostropha :

— Nommez-vous !

Le Black se présenta :

— Sydney Poitier, mon colonel.

— Comme ça, vous êtes nègre ?

— Comme ça et autrement, admit la nouvelle recrue.

Le chef des armées parlait mal l’anglais, le français, l’allemand, l’italien, l’espagnol, l’abyssin, l’hébreu, le sanscrit, le grec ancien, le suédois, ainsi que cent autres langues ou dialectes épars sur la planète.

— Je déteste les nègres ! assura-t-il.

— C’est un honneur que vous leur faites, mon général !

Sans relever la boutade qu’il n’avait pas saisie parfaitement, le réceptionnaire passa au deuxième.

— Vous ? fit-il en appuyant durement le pommeau de la cravache contre son ventre.

— Gargantua, sir.

— Espagnol ?

— Par un ami de ma mère. Mais si vous voudriez bien pas m’ défoncer le bide avec vot’ truc, j’ v’ z’n saurerais un plein pot d’ gré.

— Qu’est-ce que vous dites ? hurla l’Ukrainien en postillonnant une écume d’égout en crue.

— Qu’ vous allez m’ dévisser le nombrille ! avertit le gros mercenaire. J’ voye pas la raison d’ faire mal à un gonzier v’nu s’enrôler chez vos éclaireurs.

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1

Nous tenons à souligner la modestie de l’auteur qui aurait pu obtenir un effet facile en intervertissant le nom et le prénom du tyran.