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– Maintenant, je comprends mieux, dit Mathias.

– Quoi? demanda Marc.

– Rien. Le chaud. Je comprends mieux.

– Qu'est-ce qu'on doit faire? demanda Marc au parrain. Prévenir Leguennec? S'il se produit un autre pépin et qu'on n'a rien lâché, on sera bons pour complicité ce coup-ci.

– Et recel d'informations ayant pu contribuer à aider la justice, ajouta Vandoosler en soupirant. On va affranchir Leguennec, mais pas tout de suite. Une petite scorie me trouble dans ce mécanisme. Il me manque un détail. Saint Matthieu, veux-tu aller me chercher Juliette? Même si elle est en cuisine pour ce soir, dis-lui de s'amener. Ça urge. Quant à vous tous, dit-il en haussant le ton, pas un traître mot à quiconque, compris? Pas même à Alexandra. Si une bribe de tout cela arrive aux oreilles de Gosselin, je ne donne pas cher de votre peau. Alors, vos gueules, jusqu'à nouvel ordre.

Vandoosler s'interrompit et attrapa par le bras Lucien qui, étant passé de la brosse au chiffon doux, polissait le bois à grands gestes, l'œil collé près de la surface pour voir si ça brillait bien.

– Tu m'entends, Saint Luc? dit Vandoosler. Ça vaut pour toi aussi. Pas un mot! Tu n'as rien dit à ton photographe au moins?

– Mais non, dit Lucien. Je ne suis pas idiot. Je fais ma table mais j'entends quand même ce qui se dit.

– C'est heureux pour toi, dit Vandoosler. Parfois, on penserait vraiment que tu es moitié génial, moitié crétin. C'est pénible, crois-moi.

Mathias se changea avant d'aller chercher Juliette. Marc regarda la table en silence. C'est vrai qu'elle brillait bien maintenant. Il passa son doigt dessus.

– C'est doux, hein? dit Lucien.

Marc secoua la tête. Il n'avait vraiment pas envie de parler de ça. Il se demandait ce que Vandoosler réservait à Juliette et comment elle allait réagir. Le parrain pouvait facilement faire de la casse, ça, il le savait par cœur. Il broyait toujours les coques des noix avec ses mains, répugnant à employer le casse-noix. Même quand les noix étaient fraîches, ce qui est plus ardu. Mais ça n'avait rien à voir là-dedans.

Mathias ramena Juliette et sembla la déposer sur le banc. Juliette n'avait pas l'air rassurée. C'était la première fois que le vieux commissaire la faisait demander de manière si formelle. Elle vit les trois évangélistes rassemblés autour de la table, les yeux braqués sur elle, et cela ne la mit pas plus à l'aise. Seule la vue de Lucien qui pliait avec soin un chiffon à cire la décontractait.

Vandoosler alluma une de ses cigarettes informes, qui traînaient toujours à même ses poches, sans paquet, on ne sait pas pourquoi.

– Marc t'a mise au courant pour Dourdan? demanda Vandoosler en fixant Juliette. L'Elektra en 78 à Toulouse, l'agression contre Sophia?

– Oui, dit Juliette. Il a dit que ça se compliquait sans s'éclaircir.

– Eh bien ça s'éclaircit justement. Saint Luc, passe-moi cette photo.

Lucien grommela, alla fouiller dans son sac et tendit la photo au commissaire. Vandoosler la plaça devant les yeux de Juliette.

– Le quatrième en partant de la gauche, cinquième rangée, ça te dit quelque chose?

Marc se crispa. Jamais il n'aurait eu des gestes de ce genre, lui.

Juliette regarda la photo, les yeux fuyants.

– Non, dit-elle. Comment voulez-vous que ça me dise? C'est un opéra avec Sophia, c'est ça? Je n'en ai jamais vu un de ma vie.

– C'est ton petit frère, dit Vandoosler. Tu le sais aussi bien que nous.

Le coup de la noix, pensa Marc. D'une seule main. Il vit les larmes monter aux yeux de Juliette.

– Très bien, dit-elle en tremblant de la voix et des mains. C'est Georges. Et puis après? Quel mal à ça?

– Tellement de mal que si j'appelle Leguennec, il le met en garde à vue dans une heure. Alors raconte, Juliette. Tu sais que ça vaut mieux. Ça évitera peut-être des idées toutes faites.

Juliette essuya ses yeux, aspira une grande bouffée d'air et resta silencieuse. Comme l'autre jour au Tonneau, pour l'affaire d'Alexandra, Mathias s'approcha d'elle, lui posa la main sur l'épaule et lui dit quelque chose à l'oreille. Et comme l'autre jour, Juliette se décida à parler. Marc se promit d'oser demander un jour à Mathias quel sésame il utilisait. Ça pouvait rendre de précieux services en tous domaines.

– Il n'y a rien de mal, répéta Juliette. Quand je suis descendue à Paris, Georges m'a suivie. Il m'a toujours suivie. Moi, j'ai commencé à faire des ménages et lui, rien. Il avait dans la tête de faire du théâtre. Ça peut vous faire rigoler, mais il était assez beau garçon et il avait eu des succès sur scène dans la troupe de son collège.

– Et avec les filles? dit Vandoosler.

– Moins, dit Juliette. Il a cherché un peu dans tous les sens et il a trouvé des petites figurations à faire. Il disait qu'il fallait commencer par là. De toute façon, on n'avait pas de quoi payer une école de théâtre. Une fois dans la figuration, on connaît assez vite les filières. Georges se débrouillait pas mal. Il a été pris plusieurs fois dans des opéras où Sophia tenait le premier rôle.

– Il connaissait Julien Moreaux, le beau-fils de Siméonidis?

– Forcément oui. Il le fréquentait même beaucoup en espérant que ça le pistonnerait. En 78, Georges a fait sa dernière figuration. Ça faisait quatre ans qu'il était là-dedans et ça ne débouchait sur rien. Il s'est découragé. Par un copain d'une des troupes, je ne sais plus laquelle, il a trouvé une place de coursier pour une maison d'édition. Il y est resté et il est devenu représentant commercial. C'est tout.

– Ce n'est pas tout, dit Vandoosler. Pourquoi s'est-il installé rue Chasle? Ne me dis pas que c'est un merveilleux hasard, je ne te croirai pas.

– Si vous pensez que Georges est pour quelque chose dans l'agression de Sophia, dit Juliette en s'énervant, vous vous gourez complètement. Ça l'avait écœuré, secoué, je m'en souviens très bien. Georges est un doux, un craintif. Au village, il fallait que je le pousse pour qu'il aille parler aux filles.

– Secoué? Pourquoi secoué?

Juliette soupira, le visage malheureux, hésitant à franchir le cap.

– Dis-moi la suite avant que Leguennec ne te l'arrache, dit doucement Vandoosler. Aux flics, on peut donner des morceaux choisis. Mais à moi, lâche tout et on leur fera un tri après.

Juliette jeta un regard vers Mathias.

– Très bien, dit-elle. Georges était tombé dingue de Sophia. Il ne me racontait rien mais je n'étais.pas assez idiote pour ne pas me rendre compte. Ça se voyait gros comme une montagne. Il aurait refusé n'importe quelle figuration mieux payée pour ne pas risquer de rater la saison de Sophia. Il en était dingue, vraiment dingue. Un soir, j'ai réussi à lui en faire parler.

– Et elle? demanda Marc.

– Elle? Elle était mariée, heureuse, et à vingt lieues de se douter que Georges était à ses genoux. Et même si elle l'avait su, je n'imagine pas qu'elle aurait pu aimer Georges, pataud comme il était, bourru, emprunté. Il n'avait pas beaucoup de succès, non. Je ne sais pas comment il se débrouillait pour que les femmes ne s'aperçoivent même pas qu'il était assez beau, en fait. Il tenait toujours la tête baissée. De toute façon, Sophia était amoureuse de Pierre et elle l'était encore avant sa mort, quoi qu'elle en dise.

– Qu'est-ce qu'il a fait? demanda Vandoosler.

– Georges? Mais rien; dit Juliette. Qu'est-ce qu'il aurait pu faire? Il souffrait en silence, comme on dit, et voilà tout.

– Mais la maison? Juliette se renfrogna.

– Quand il a quitté la figuration, je me suis dit qu'il allait oublier cette cantatrice, qu'il rencontrerait d'autres femmes. J'étais soulagée. Mais je me trompais. Il achetait ses disques, il allait la voir à l'Opéra quand elle passait, même en province. Je ne peux pas dire que ça me faisait plaisir.