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Je stoppai au bord de la piscaille, gagné par l’ardente émotion qui découle d’une admiration à laquelle participent ton bec verseur, tes sœurs jumelles, ton sens artistique et ta glande émotive.

Mon épiderme se mit à ruer dans les brancards. Ça me gagnait comme une paralysie. Quelque chose de tiède coulais sur mon menton ; je réalisas que c’était de la bave.

Mon corps en perte de gravitation universelle se mit à jouer les pendules.

Importunée par ma présence, la Somptuosité vivante étalée sur l’onde javellisée gagna l’échelle chromée et s’arracha de l’eau. La flotte dégoulinait le long de ses cuisses et aussi entre ses miches pectorales. J’aurais aimé la boire !

La naïade se dirigea vers les cabines de bain et pénétra dans le compartiment des douches. Son spectre continuait d’enchanter mes rétines, comme le soleil longtemps fixé te reste dans les calbombes.

J’attendas. Elle ressortit au bout de dix minutes, vêtue d’une tunique blanche serrée à la taille par une ceinture dorée. Toute la Grèce ! Alors, j’enhardissas et m’approchis d’elle.

— Puis-je me présenter, mademoiselle ?

Elle poursuivit sa route sans un mot, sans m’accorder un regard, voire un menu, un imperceptible tressaillement.

Lorsque son doux reflet n’ondula plus, il sembla qu’une grande tristesse s’était abattue sur l’amer. C’est-à-dire sur moi.

Je me demandis si j’aurais le courage de vivre dix secondes de plus après qu’eût cessé une telle vision. J’essayis. Je vivus ! Gagné !

Sur ces entrefesses la superbe du début, celle que Duck avait appelée Tina, vint me chercher pour m’annoncer que le dîner était servi. Elle me parut fade par opposition à la baigneuse. Tout à l’heure, j’en aurais fait mes choux et coïts gras ; à présent je l’aurais échangée contre un paquet d’Ariel ammoniaque.

— Une jeune femme brune se baignait ici, il y a un instant, qui est-elle ? demandai-je.

Tina sourit en guise de réponse, mais le cabochon de mon foutu collier se mit à jacter :

— Vous n’êtes pas en train de procéder à une de vos petites enquêtes françaises, commissaire. Ici, ce qu’on souhaite apprendre, on doit le deviner.

L’EXAMEN DE PASSAGE

FAIS-MOI UN EXPLOIT

Mon séjour dans l’île dura une quinzaine. Je ne revis jamais le triumvirat appelé Big Between. Les trois personnages devaient rester confinés dans leur tour vitrée. Ce stage particulier laissa en moi un souvenir ineffaçable. Duck dirigeait ma « formation ». J’éprouvais un louche contentement à redevenir une sorte de disciple, moi qui, depuis des années passais pour un maître dans ma profession. Cela ressemblait à une cure de jouvence en profondeur. Je découvrais la griserie de mon existence nouvelle. Je devinais qu’une puissance formidable me coiffait et je pressentais qu’un jour elle serait à mon service. Avant d’en arriver là, je devais modifier ma vision des choses, ma philosophie, mon sens des valeurs. Il fallait entrer en Big Between comme on entre en religion. Domestiquer ma force, mon esprit d’initiative et jusqu’à mon courage.

Les « épreuves » furent difficiles à surmonter car elles étaient impitoyables. On ne me fit pas de cadeau. Un jour, je fus amené dans un sous-sol et tabassé par quatre malabars grands comme des bœufs. Duck m’avait seulement annoncé que quatre gorilles allaient me mettre une toise et que je devais me défendre par tous les moyens.

J’usas largement de la permission puisque sur les quatre, l’un eut une fracture du bras, un autre un œil crevé et le troisième une paire de testicules qui n’auraient pas tenu dans une lessiveuse. Ce fut le quatrième qui parvint à me mettre k.-o. malgré son nez éclaté qui pissait le sang.

Un médecin asiatique me posa deux points de suture à la pommette et mit une attelle à mon auriculaire gauche brisé.

Une autre fois, on m’entrava bras et jambes et l’on me flanqua dans la piscine avec, attaché au cou, un jerricane empli de gravier. Je parvins à me sortir de l’eau.

Pourquoi subissais-je ces agressions multiples sans rechigner, ni crier « pouce » ? Mystère, je te le répète.

Une troisième épreuve consista à me laisser une journée entière dans une fosse en compagnie de serpents et de mygales. Je tins bon et n’eus à subir aucun dommage ; si ce n’est aux nerfs, car je tremblai comme un pic pneumatique au cours de la nuit qui suivit.

Pendant les périodes de répit, j’eus droit à d’agréables visites. Des filles extrêmement sexy et éduquées vinrent dans mon appartement « s’occuper de moi ». Il y eut une Jaune, une métisse, deux Blanches dont les techniques amoureuses m’essorèrent la glandaille au point qu’après leur déferlement je ressemblai à un os de sèche. Je participais physiquement à leurs manœuvres suaves, pourtant le cœur n’y était pas car je vivais sous le charme de la « fille brune » (j’ignorais toujours son nom). Je l’apercevais, au détour d’un couloir ou d’une allée. Tentais d’engager la conversation ; mais elle s’abstenait de me répondre et mon pendentif me rappelait à l’ordre.

Je devenais dingue de cette fille. Elle monopolisait mes pensées. Je subissais le monstre coup de foudre et rêvais de la conquérir. J’eusse voulu qu’elle m’accordât au moins un regard, un souffle d’intérêt. Las, elle ne me voyait même pas. Je lui étais transparent ! Aussi je morfondais à en crever et les sévices qu’on exerçait sur moi me paraissaient délicats comparés à mon tourment affectif.

J’eus droit encore à nombre d’épreuves carabinées : le cercle de feu ; le plongeon dans une pièce d’eau occupée par deux crocodiles ; un duel au couteau contre un champion du ya ; le lâcher en pleine mer, à dix kilomètres de l’île ; l’ingestion de champignons hallucinogènes et mille autres facéties de ce tonneau. Chaque fois, je me tirai indemne de ces tests redoutables. J’étais devenu invincible. Superman pour de bon. Je me riais de tout. Je n’avais plus peur, comme si le pire des dangers était devenu un amusement, une sorte de jeu de société réservé à une élite.

La dernière épreuve, la plus terrible de toutes, fut digne des grandes heures de la Gestapo. On me conduisit dans une sorte de chambre des tortures à l’équipement sophistiqué. Là, deux types à frime de paranoïaques m’entreprirent. Ce qu’ils m’infligèrent n’est pas racontable. Ils ne me posèrent qu’une seule question, mais sempiternellement, avec une insistance désespérante, ne se contentant jamais des réponses que j’y fis.

Cette question était la suivante :

« Que pensez-vous du Big Between ? »

Vachement ambigu !

Vague !

Je m’efforçais de jouer franc-jeu, d’exprimer réellement mon sentiment. Sans détour. Je dis que cette Organisation me semblait colossale. Que j’étais déconcerté par son côté déshumanisé et impitoyable. Que je craignais que dans sa volonté impériale de tout réussir, elle ne connût pas de limites. Et que j’en avais plein les grolles de leur micmac à la con, que je le subissais pour relever le défi ; mais en leur pissant contre moralement.

On me molesta jusqu’à l’insoutenable. La gégène, la roulette de dentiste, les brodequins, le supplice de l’outre : tout, depuis l’Inquisition jusqu’à nos jours, en passant par les guerres coloniales ! Les bambous enfilés sous les ongles et enflammés. Les coups de fouet aux lanières enduites de piment en poudre.