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— Bien sûr.

— Sa mère pensait être stérile, elle est donc allée consulter la Pythie de Delphes et cette dernière lui a prédit la naissance d’un enfant qui aurait toutes les qualités. Alors elle l’a nommé « Pythagore », ce qui signifie « annoncé par la pythie ». Il est né en 570 avant Jésus-Christ sur l’île grecque de Samos et ses parents étaient bijoutiers.

« Tout jeune, déjà, Pythagore était très beau, très sportif. Et à dix-sept ans il était non seulement un virtuose de la harpe et de la flûte, mais il remporta toutes les compétitions de pugilat, la boxe de l’époque, aux Jeux olympiques. Un jour son père lui demanda de se rendre en Égypte pour livrer aux prêtres du temple de Memphis les bagues ciselées que ces derniers avaient commandées.

— Des prêtres égyptiens qui vénéraient Bastet ?

— Probablement. Toujours est-il qu’il profita de son séjour à Memphis pour s’initier aux mystères de la religion égyptienne.

— Il a dû avoir un chat.

— Alors qu’il recevait l’enseignement des prêtres égyptiens, le pays fut attaqué par l’armée perse du roi…

— Cambyse II ?

— Tu connais déjà cette histoire ?

— Cela fait partie de la culture générale de tout chat…

— Le jeune Pythagore assista impuissant au saccage des temples, au supplice public de l’ancien pharaon, et à la mise à mort des prêtres et des aristocrates.

— Et de leurs chats ?

— En effet, les chats furent aussi massacrés. Pythagore n’eut que le temps de fuir en Judée, l’actuel Israël. Là, il fut accueilli par des prêtres hébreux et initié à la religion juive.

— C’était un grand voyageur.

— Oui, ce qui était assez rare à l’époque, car les voyages étaient très dangereux. Mais la Judée fut à son tour envahie par les guerriers du royaume de Babylone, l’actuel Irak, qui le firent prisonnier et le ramenèrent chez eux comme esclave.

— Il n’avait pas de chance.

— Si, parce que dans sa geôle il rencontra des prêtres du culte d’Orphée, capturés en Thrace, et des prêtres chaldéens. Il fut donc initié à ces religions puis, grâce à l’aide des prêtres, il arriva à s’évader et partit vers l’est, vers l’Inde.

— C’était loin ?

— Très loin. Là, il compléta à nouveau son initiation par l’hindouisme. Une fois formé, il rentra à Delphes où il eut une histoire d’amour avec la nouvelle Pythie et reçut l’enseignement des prêtresses du temple. Puis il fit étape sur son île natale de Samos, mais comme la Grèce était sous la coupe d’un tyran, il préféra continuer sa route vers l’ouest et s’installa à Crotone, dans le sud de l’Italie. Il convainquit les habitants de cette ville de le laisser créer une école. En échange, il proposa de se charger de la gestion politique et économique de la ville. Dans cette école on enseignait aussi bien le sport que la médecine, la géométrie que la poésie, l’astronomie que la géographie, la politique que la musique, et même le végétarisme.

— Je sais que c’est lui qui a inventé les mots « philosophie » et « mathématiques ».

— En effet. Tu as bien retenu ta leçon.

Je laisse Patricia, complètement habitée par la vie de ce personnage, reprendre son récit.

— La sélection des nouveaux élèves était très stricte. Elle ne se faisait que sur l’intelligence et la bravoure. Chaque nouvel élève devait tout abandonner pour entrer dans cet institut. L’école pythagoricienne fut pourtant la première à admettre en son sein des femmes, des étrangers et des esclaves. Ce qui, à l’époque, était inconcevable.

— Combien y avait-il d’élèves ?

— Entre deux et trois cents, pas plus. En dehors des cours, il y avait aussi des ateliers de recherche et d’analyses. Pythagore a passé sa vie à tenter d’établir une passerelle entre la spiritualité et la science. C’est dans les nombres qu’il lui a semblé trouver une voie. La première année, ses élèves apprenaient le pouvoir du chiffre 1 avec l’unité de l’Univers. La deuxième année, ils étaient initiés aux mystères du chiffre 2 avec la dualité homme/femme, jour/nuit, chaud/froid. La troisième année, Pythagore enseignait le pouvoir du chiffre 3. Avec le triptyque : corps-intelligence-esprit. La quatrième année, le pouvoir du chiffre 4 avec les quatre éléments : air, eau, terre, feu.

C’est étrange, tout résonne comme une évidence dans mon esprit. J’ai l’impression que je savais déjà cela depuis longtemps.

— Pythagore considérait qu’il y a deux manières de voir l’Univers : la simple matière qu’on peut toucher et les nombres. Il pensait que la matière est le résultat d’infimes particules dans le vide reliées par les lois mathématiques.

Bon sang. Voilà qui corrobore ce que j’ai toujours pressenti.

— Il découvrit des règles fondamentales qui régissent les mesures, comme le théorème de Pythagore, qui plus tard servira de règle de mesure à tous les architectes, mais aussi le nombre d’or, qui régit l’harmonie des formes. Sa devise était : « Tout est nombre. » Enfin, il établit la première gamme musicale, par le biais d’une corde sur une tablette graduée.

— Un seul humain aurait accompli autant de découvertes dans autant de domaines ?

— En 450, un noble de la ville de Crotone, Cylon, déçu d’avoir échoué aux examens d’entrée de l’école pythagoricienne, convainquit la population de se soulever contre cet établissement. Il accusa les pythagoriciens d’être élitistes et de ne pas diffuser leur savoir à tout le monde. Il prétendit qu’un trésor se trouvait caché à l’intérieur. Les habitants attaquèrent l’école, l’incendièrent, tuèrent les élèves et les professeurs qui tentaient en vain de défendre leur maître.

— L’action d’un seul homme jaloux a suffi à faire s’effondrer tout son système ?

— Pythagore fut assassiné. Il avait quatre-vingt-cinq ans. Tous ses écrits furent brûlés mais sa pensée a continué à vivre à travers ses disciples qui, eux, de mémoire, ont témoigné de ses découvertes et de son enseignement. Parmi les plus célèbres héritiers de la philosophie de Pythagore, on trouve les Grecs Socrate et Platon, ou encore l’architecte romain Vitruve.

— Tu crois que mon Pythagore chat pourrait être la réincarnation du Pythagore humain ?

— Ta question est d’autant plus troublante que Pythagore (peut-être du fait de son séjour en Inde) croyait à la réincarnation et qu’il prétendait avoir la mémoire de toutes ses vies passées, qu’elles soient humaines ou animales. En outre, il possédait plusieurs chats qu’il adorait.

— Mon Pythagore prétend en tout cas avoir lui-même choisi son nom.

— J’ai un jour songé que ma passion pour ce philosophe grec pouvait être due au fait que je serais la réincarnation d’un de ses élèves tués avec lui dans l’incendie de l’école. Ce combat entre les barbares non éduqués et les hommes instruits est sans âge.

— Pythagore, mon compagnon chat, pense la même chose. Il prétend que ceux qui ne comprennent pas veulent toujours, par jalousie, tuer ceux qui comprennent.

— Je pense qu’il faut instruire tout le monde, mais pour parvenir à cela, il faut déjà dans un premier temps préparer les esprits. S’ils ne sont pas prêts, ils comprennent tout de travers, utilisent les outils pour détruire au lieu de construire, transforment les informations réelles en mensonges afin de mieux asservir leurs contemporains. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », déclarait Rabelais, un grand humaniste français de la Renaissance.

J’ai l’impression que ce que nous vivons actuellement sur l’île aux Cygnes entre en résonance avec beaucoup de crises du passé. Je comprends que ce combat auquel je participe n’est pas qu’une guerre de territoire ou de subsistance. C’est la guerre de la civilisation contre la barbarie. Il y eut le combat de Cambyse II contre les prêtres de Bastet, celui de Cylon contre les élèves de Pythagore, les terroristes fanatiques contre les écoles laïques. Et maintenant les rats.