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— Plutôt de trois quarts, mais continue.

— Ils resteront quand même plus nombreux que nous. Laissons donc encore les hommes pourvoir les postes de travail, gérer les champs et les villes, et parallèlement occupons-nous, nous les chats, de créer une sorte de courant spirituel qui les fasse progresser.

Cette idée ne le séduit pas. Mais je persiste :

— Regarde ces jeunes humains qui ont combattu les rats à nos côtés, ils ont payé les erreurs des générations qui les ont précédés et en connaissent désormais le prix. Ils ont vu qu’ensemble nous pouvions vaincre. Nous les avons déjà changés et eux vont changer leurs propres congénères. D’ici, de notre école, partiront les bases d’un monde fondé sur l’entente entre les humains et les autres espèces.

— C’est toi, Bastet, qui me dis que tu veux encore leur faire confiance ? s’étonne-t-il.

Pythagore réfléchit en se passant une patte derrière l’oreille. Je me sens obligée de préciser ma pensée :

— Nous les aiderons. Toi tu surveilleras leurs agissements sur Internet. Moi et Patricia nous les influencerons dans le monde des rêves.

Je repère d’ailleurs de loin Nathalie qui discute avec la chamane. Cette dernière lui apprend le langage des signes.

— Et s’ils refont les mêmes erreurs ?

Je me tais, laissant sa question en suspens dans l’air humide.

Les humains se sont mis à danser autour d’un grand feu sur un air beaucoup plus joyeux que celui de la Callas.

— C’est quoi cette musique ? je questionne Pythagore.

— « Le Printemps » de Vivaldi. Après l’épreuve de l’hiver vient forcément le retour des beaux jours, car le monde fonctionne par cycle. Voilà ce qu’exprime ce concerto. Tout fonctionne par cycle, il ne faut pas s’inquiéter, juste attendre qu’après les…

— … deux pas en arrière, on fasse les trois pas en avant.

Nous observons les humains danser. Ils virevoltent avec beaucoup de grâce.

Pythagore me fixe droit dans les yeux.

— Tu crois que les humains nous aiment ? me demande-t-il.

Je suis surpris qu’il me pose une telle question à un tel moment.

– À leur manière, oui. En tout cas ils pensent nous aimer, je réponds.

— Et toi, est-ce que tu m’aimes, Bastet ?

Commencerait-il enfin à se laisser aller à être « dépendant » de ma personne ?

— Moi, je suis surtout fatiguée. Je vais avoir besoin d’être un peu seule, pour me « réunir ».

Le siamois ne comprend pas mais sait qu’il ne faut pas insister pour le moment.

Alors je m’installe un peu plus confortablement sur la tête de la statue de la Liberté. Je vois la tour Eiffel dont le faisceau tournoie encore, illuminant la cité des hommes.

Je vois tout en bas Angelo téter Esméralda.

Je vois Nathalie et les siens qui dansent autour du feu.

Mon esprit revient doucement pour se calfeutrer à l’intérieur de mon crâne. Je me sens bien, vraiment bien, en harmonie avec toutes les énergies qui m’entourent. Il me semble avoir trouvé ma place dans l’Univers. Je n’ai plus peur du futur.

Je n’ai plus de sensation de manque de quoi que ce soit.

Qu’est-ce qui me ferait vraiment plaisir désormais ?

Simplement continuer à vivre ainsi, en étant tous les jours surprise par de nouvelles découvertes.

Je m’ébroue. Le courant a fini de charrier tous les cadavres, et s’il n’y avait dans ma mémoire le souvenir encore net de la bataille, c’est vrai, peut-être que je pourrais commencer à douter que cela est vraiment arrivé. Ce fleuve est comme le temps qui passe et qui emporte tout : les corps des vaincus, comme les espoirs des vainqueurs, tout cela va forcément disparaître un jour, oublié.

Pythagore a évoqué une solution pour résister au passage du temps.

Un « livre » ?…

Mais comment ma pensée pourrait-elle se matérialiser dans les pages d’un ouvrage de papier ?

Je réfléchis et je crois voir pointer un début de réponse. Pour que mon esprit « prenne matière », il va me falloir dicter en rêve à Patricia tout ce qui s’est passé.

Je lui raconterai l’histoire exactement comme je l’ai vue et comme je l’ai vécue, comme je l’ai perçue et ce que j’en ai déduit.

Je lui décrirai tout en détail au présent.

À elle, ensuite, de transformer mes souvenirs en mots pour que d’autres puissent un jour savoir ce qui s’est réellement passé.

Tous ne le croiront pas, évidemment, mais il se trouvera forcément parmi les lecteurs quelques-uns pour comprendre, et parmi ceux-là il y en aura peut-être qui auront envie de raconter mon histoire à leurs enfants.

Ainsi, grâce à ce livre, ma pensée résistera au temps et je n’aurai pas vécu pour rien.

POSTFACE

P-S 1 : Aucun animal n’a été maltraité ou blessé durant l’écriture de ce roman (même pour les scènes de combats, de poursuites, de cascades).

P-S 2 : Je soutiens l’association PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) qui vise à améliorer le statut des animaux dans notre société.

P-S 3 : Je voudrais rendre hommage au romancier Claude Klotz (aussi connu sous le pseudonyme de Patrick Cauvin, génial auteur, entre autres, d’E=mc2, mon amour). C’est en l’interviewant chez lui à l’époque où j’étais journaliste, avec son chat omniprésent, que je me suis dit : « Je crois que c’est cela la vie dont je rêve, travailler chez soi tranquille avec son chat qui vous observe et vous inspire. »

P-S 4 : Je tiens à remercier mon voisin toulousain, le vétérinaire Jean-Yves Gauchet, à qui l’on doit l’invention de la ronronthérapie. Cette science a pour objet d’étude les effets bénéfiques des ondes émises à basse fréquence (entre 20 et 50 hertz) par le ronronnement des chats. Celles-ci agissent non seulement sur les tympans mais aussi sur les corpuscules de Pacini, des terminaisons nerveuses situées au ras de la peau, et ont un véritable effet calmant. Le ronronnemenr du chat entraîne par ailleurs la production de sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans la qualité de notre sommeil et de notre humeur, réduisant ainsi le stress et accélérant en outre la cicatrisation osseuse.

P-S 5 : Le site Wamiz (http://wamiz.com) m’a été très utile, il offre des témoignages intéressants et décrit des comportements de chats assez atypiques.

P-S 6 : Simple question finale : et vous, que feriez-vous si vous étiez sous la domination d’un être cinq fois plus grand, avec lequel vous ne pouvez pas communiquer, qui vous coince dans des pièces aux poignées de porte inatteignables, et dont vous dépendez pour être nourri d’aliments dont vous ne connaissez même pas la composition ? (Remarquez, à bien y réfléchir, c’est aussi le statut des enfants, mais pour eux cela ne dure qu’un temps, n’est-ce pas ?)

MUSIQUES ÉCOUTÉES

DURANT L’ÉCRITURE DU ROMAN

Sonates de Beethoven, interprétées au piano par HJ Lim.

« Casta Diva », la célèbre aria de l’opéra Norma composé par Vincenzo Bellini.

« San Jacinto », extrait de l’album Peter Gabriel, de l’artiste du même nom.

Les Quatre Saisons de Vivaldi, interprétées par Joe Satriani (version hard rock à la guitare électrique).