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— J’allais voir mes deux oncles à Champigny. Ils habitaient un pavillon, avec des dobermans. J’avais quinze seize ans. Ils se faisaient sucer l’un après l’autre. Ça ne les gênait pas que je les suce dans la même pièce. Il faut être sérieux : ils m’ont jamais forcée. J’ai jamais pris de coups. Ils se faisaient sucer à genoux. Quand c’était fini, des fois on se parlait et des fois on se parlait pas. Ils avaient des queues d’enfer. Ils étaient montés comme des bourricots.

— Champigny.

— Je peux même pas dire que j’aimais pas ça. Ça te dégoûte ?

— Pourquoi tu voudrais que ça me dégoûte ? C’était ta vie, après tout, et tes fesses.

Je ne pouvais quand même pas lui confier que j’avais eu moi aussi mes sombres dégueulasseries à moi, même si c’était de moins en moins à présent, mes fourbes cochonneries un peu salaces, mes sordides petites malpropretés. Peut-être que j’aurais dû, peut-être que ça l’aurait aidée… Ce qu’elle avait surtout, c’était trop de vitalité, trop d’appétits. Alex, en un sens, c’était pareil. On a continué à se noircir, à écouter du blues. Viviane tendait l’oreille, elle marquait la mesure avec sa tête, tout doucement, on aurait dit qu’elle rêvait. À un moment, elle m’a dévisagé avec sérieux :

— Ça serait un point de côté, si on baisait ?

— Il y a une petite chambre à côté. Elle sert parfois de champ de tir à l’un de mes fils. Jamais les deux ensemble. Ce sont des chasseurs solitaires.

— Souvent, quand je me faisais serrer, je pensais à toi.

— L’attention est touchante.

— Je te trouvais bandant.

— L’une des plus belles inventions de la langue française est l’imparfait. C’est aussi la plus pratique.

Elle a donné un coup de menton vers la porte :

— Alors, qu’est-ce que t’en dirait, qu’on se la montre ?

— Rien de bon.

Elle a eu un petit rire amer, mais très doux, a murmuré :

— Parce que je suis ce que je suis ?

— En partie, oui.

— C’est-à-dire ?

— Trop bien pour moi.

— Va te faire foutre. N’importe qui serait trop bien pour toi, pauvre con.

Je n’ai jamais su quand et comment elle était partie. Je me suis réveillé le lendemain matin, grâce au train postal de cinq heures. Il faisait, en s’ébranlant sous mes fenêtres, un immense raffut de concasseur. J’avais dormi dans mon fauteuil, tout comme à l’époque où mon royaume s’étendait sur trois arrondissements et que j’avais encore charge d’âmes. J’avais toujours mon automatique .45 à la ceinture. Il ne pouvait plus m’être d’aucun secours. Je me suis dévêtu et récuré à fond. J’ai changé de linge et de vêtements puis je me suis fabriqué un café qui tenait à la fois du cambouis et du détergent industriel. Je tenais difficilement debout. Je suis allé à la fenêtre. Dans mon dos, le téléphone a sonné.

J’ai laissé le répondeur faire son métier de répondeur.

C’était la voix d’Alex. Elle disait, sur un ton saccadé, sifflant de rage :

— Un clou chasse l’autre. Fumier. Tu n’a pas mis longtemps à changer de trou. Quand je pense… (Je n’ai jamais su à quoi elle pensait à cet instant.) Putain, une pétasse pareille… Je voulais m’excuser… (De quoi pouvait-elle avoir pu éprouver le besoin de s’excuser, ça non plus je ne l’ai jamais su.) Tu ne répondais pas au téléphone. Je suis montée. Tu n’étais pas là. Je suis redescendue t’attendre dans la voiture. J’ai attendu, attendu. Qu’est-ce qu’elle fait de mieux que moi ? Je sais que tu es là. Je sais que tu m’écoutes.

Elle a continué un bon moment. Près de dix minutes. Elle m’a fait au passage une addition salée. À la fin, elle s’est mise à débiter de véritables insanités. Vache mais régulier. Pourtant, elle non plus je ne l’avais pas forcée à quoi que ce soit. À l’entendre, je n’étais plus à présent qu’un porc immonde, un infect saligaud. Un franc dégueulasse. Un véritable fils de pute. Pourquoi non ?

Les pires griefs qu’on peut faire, c’est encore bien les griefs de cul. Le vrai sordide, on le sait bien, c’est quand on tape en dessous de la ceinture. C’est là que ça fait le plus mal. C’est que le cul, c’est le pauvre délire de la viande, sa petite part de rêve à elle, la barbaque, sa petite fête de tant qu’elle est encore un peu vivante… Quand la bidoche a cessé de rire, il ne reste plus comme perspective que la charogne… C’est pas drôle, la charogne… Rien qu’à cause de ça, jamais on ne devrait mépriser…

C’est pourtant de cette façon qu’on vous torpille quelqu’un pour tout de bon… En tapant bas… Comme bien de ses petites camarades, Alex savait faire. Comment lui en vouloir ? C’est toujours comme ça lorsqu’on a cessé de plaire. On reprend tout en travers de la gueule. Fallait pas se découvrir. Tant pis. Lorsqu’elle a eu enfin raccroché, je suis allé me passer de l’eau sur la figure. J’ai encore allumé une cigarette. Tout en réécoutant son message, je me suis regardé dans la glace.

Fils de pute.

Je ne pouvais pas lui donner tort. On aurait réellement dit qu’elle parlait d’un autre homme, il y aurait peut-être eu moyen de se défendre, mais c’est pourtant là que le peu de confiance qu’il me restait en moi s’est enfui. J’ai lâché la rampe pour tout de bon. Le reste…

… As time goes by…

22

Le reste n’a pas duré longtemps…

J’ai merdé en commissariat… De plus en plus… Monseigneur a fait ce qu’il a pu, tout ce qu’il a pu, tout le temps qu’il a pu… Des commissions rogatoires passées à la trappe, des affaires expédiées à la six-quatre-deux… Des permanences pas prises… Rien que des conneries… Zombie presque tout le temps, je ne me rendais même plus compte… Je me rappelle seulement une de ses dernières réflexions, à Monseigneur. Il me disait, à propos de je ne sais plus quoi, que j’avais fait ou pas fait :

— Si on greffait ton cerveau à la place de celui d’un corbeau, le foutu connard serait capable de voler à reculons.

Dans mon dos, le taulier de la Division a rédigé et transmis un rapport attirant l’attention sur ma manière de servir… Je l’ai su beaucoup plus tard, quand ça ne pouvait plus servir à rien…

Un soir, devant témoins, j’ai mis ma carte de flic, ma médaille, mon .45 au coffre. J’ai laissé tout mon fourniment et je suis parti. Je ne suis même pas repassé chez moi. Tombé six semaines plus tard au cours d’un banal contrôle de police dans le métro. Station Chardon-Lagache. Redressé grâce aux paluches. Quand vous rentrez à la préfecture de police, on vous fait un face-profil, un relevé d’empreintes, tout comme n’importe quel malfaiteur ordinaire. C’est comme ça qu’ils m’ont dégringolé, sur une ronde-battue à la con… Plus le moindre papier sur moi, plus un sou non plus. Plus rien qu’un baltringue comme les autres. Embarqué au poste.

C’est une brigadier-chef qui a eu un soupçon… Elle se rappelait vaguement un type, un flic qu’elle avait rencontré… Ça lui disait vaguement quelque chose… Il y avait eu un message de recherches… Passé au piano, ils n’ont eu aucun mal à établir mon identité. État-major P.J. avisé. Quelqu’un de la direction s’est déplacé. C’était en plein milieu de la nuit. Il était emmerdé, ça se voyait. Il a tenté de m’interroger. Silence radio. Il a compris la situation. Cabanis, direct… L’infirmerie psychiatrique de la préfecture…