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Elle a un pince-nez, comme sur les gravures anciennes et un chignon gros comme un ananas.

— Vous désirez ? me demande-t-elle d’un ton rogue.

— Un renseignement.

Je pose la bouteille de chianti.

— C’est à vous, ça ? je demande.

Elle flanque son nez pointu sur la bouteille et déclare :

— Parfaitement. Pourquoi ? Vous avez une réclamation à faire ?

Je sors ma plaque et la lui montre.

— Que se passe-t-il ? s’enquiert-elle, le souffle coupé.

— Je me suis mis dans l’idée de retrouver le gars qui a bu cette bouteille, figurez-vous…

Elle n’est pas ramollie de la calbombe, la vioque. Sans mot dire, elle regarde le numéro de rappel : puis, tout en le marmottant, elle va consulter un registre.

Elle feuillette son gigantesque bouxon en pointant une langue qui rendrait rêveur un caméléon.

— Cette bouteille a été livrée à l’épicerie franco-italienne, boulevard Barbès, dit-elle.

— Merci…

Je reprends ma bouteille.

Bonsoir, mademoiselle.

Au moment où je vais franchir la porte, elle n’y tient plus.

— Monsieur le commissaire, balbutie-t-elle.

— Oui ?

— Il s’agit d’un meurtre ? questionne la vieille fille avec des yeux gourmands.

— Non, dis-je, d’un viol…

Elle se trémousse.

— Quelle horreur ! Comment ça s’est-il passé ?

Soixante ans de refoulement se manifestent.

— Une vieille demoiselle, fais-je négligemment. Le sadique l’a déflorée avec un pic à glace… Ç’a été affreux…

Puis je les mets en réprimant une copieuse envie de me boyauter tandis que la vieille salive comme un escargot.

Le patron de l’épicerie est un gros type brun. Il parle avec un délicieux accent piémontais.

Je lui montre la bouteille. Je lui montre ma carte. Je lui montre mes yeux et tout ça le décide à collaborer énergiquement avec la police.

— Cesti bouteille, dit-il, jé savais : j’ai livré avec beaucoup 112, boulevard Rochechouart. Cesti clienté, boivait molti chianti. Tosta lé semaine jé livrais ouna grossa quantitate…

Il se met du baume dans le cœur, le mandolinier. S’il était rasé de frais je l’embrasserais.

— Le nom de ce client ?

— Doupone…

Il me faut quelques instants pour réaliser qu’il veut dire Dupont.

Dupont ! Angelino a l’imagination réduite lorsqu’il se francise.

— Vous le connaissez, ce zèbre ?

— Non. Jé né connais qué sa bonne. Oune vieille Italienne.

Il me le décrit, et je reconnais sans peine, dans le tableau qu’il m’en fait, notre bonne vieille Alda.

La voilà élue bonniche, à cette heure… Moi je veux bien.

— Ça colle, fais-je. Dites, vieux, vous devriez faire comme si vous ne m’aviez jamais vu ; j’ai dans l’idée que ça vous éviterait pas mal d’ennuis…

Il tourne au gris orange.

— Madonna, murmure-t-il.

Il est prêt à s’effondrer dans ses sacs de couscous.

Cette fois, je comprends que l’heure des grimaces a sonné. Angelino est bien dégourdoche, mais il commet des imprudences comme tout le monde, et sa bouteille de chianti lui aura attiré pas mal de soucis. C’est mon petit doigt qui me le dit, et, croyez-moi, mon petit doigt en connaît long sur cette question.

Je me rends au 112 du boulevard Rochechouart. Cela se trouve à côté d’un grand café. La concierge me dit que M. Dupont demeure au premier.

Probable qu’il est asthmatique, Angelino, car il a la spécialité des appartements peu élevés. Ou alors c’est qu’il tient à ne pas être loin de la sortie.

Je monte et je tire carrément la sonnette.

Un court instant s’écoule avant que la porte ne s’ouvre. Je m’attends à me retrouver nez à nez, soit avec Alda, soit avec un chourineur du genre Mallox. Erreur profonde.

Dans notre métier, il faut s’attendre à tout, et à rien de défini.

La personne qui tient le battant de la lourde écarté est un petit lot de première. Je ne sais pas si vous avez aperçu sur les canards la photo de miss Univers ? Eh bien, cette fille, c’est miss Univers multipliée par dix mille. La regarder équivaut à un voyage à Capri.

Imaginez une souris de taille moyenne mais roulée d’une façon que Léonard de Vinci n’aurait pu prévoir. Elle a une poitrine qui vous ferait traiter de « touche-à-tout », des yeux ardents comme de la braise, une bouche prête à consommer, brillante de salive, des cheveux d’un noir de jais et surtout un teint bistre formidable. Elle est ambrée. Ses joues ont la couleur de certaines faïences provençales. Elle porte une robe rouge et elle a un parfum qu’on doit lui expédier directement du Paradis.

— Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-elle.

Un léger sourire fleurit sur ses lèvres charnues.

Quand j’ai une poupée ainsi baraquée dans mon espace vital, je sens ma moelle épinière se liquéfier et je ne me rappelle plus si la Seine coule d’Ouest en Est ou du Sud au Nord…

— Monsieur Angelino, fais-je.

J’avale ma salive. C’est comme si je gobais un paquet de coton hydrophile.

Elle accentue son sourire.

— Vous devez vous tromper d’étage, dit-elle. En tout cas je ne connais personne de ce nom.

— Vous êtes sûre ?

Son sourire s’évanouit brusquement.

— Mais, monsieur, fait-elle, sévère.

— Bon, dis-je précipitamment, en ce cas j’aimerais dire un mot à M. Dupont.

— De la part de qui ?

— Dé la part du beau-frère de la brouette à Lucas, celui dont le vélo perd de la valve, vous voyez qui je veux dire ?

Son visage antique s’empourpre.

Elle s’apprête à refermer assez violemment la porte, mais j’ai l’habitude de ces réactions et mon pied gauche bloque l’huis.

— Ah ça ! s’écrie-t-elle courroucée, vous avez des façons !

Elle se retourne et appelle :

— Charles !

Un grand gaillard paraît.

Il est tout pareil à un goal de football et, comme un goal, porte un pull à col roulé.

Ses cheveux sont taillés en brosse, son nez un peu de travers, ses yeux peu expressifs.

— Voilà, dit-il.

— Occupe-toi de cet homme, dit la beauté brune, il a des manières qui ne me plaisent pas…

Elle s’écarte de la porte et s’éloigne dans le vestibule.

Le goal me regarde.

— Que voulez-vous ?

— M. Dupont.

— C’est moi, dit-il.

— Je l’aurais parié, ricané-je.

— Dites donc, fait-il.

— On peut causer ?

— C’est à quel sujet ?

— Au sujet de ce que vous savez, et c’est pour parler de qui vous pensez, que je suis là…

Le ricanement, le persiflage c’est pas son turbin. Il fronce le sourcil en se demandant si je le prends pour une cruche ou quoi.

Je franchis le seuil.

— Entrez, dit-il enfin.

— J’ai un besoin urgent de parler à Angelino, dis-je. Et plus tôt je me trouverai en face de lui, plus vite vous serez débarrassé de ma petite personne.

— Angelino ! qui c’est ça ? dit-il.

La petite beauté a su comme toutes les donzelles, camoufler sa surprise, mais pour lui, ce pauvre endoffé, il n’en va pas de même. Il joue la surprise comme un nourrisson joue à la belote.

— Faites pas l’étonné, je ronchonne. Galopez prévenir le Rital qu’un de ses bons aminches a quelque chose d’ultra-confidentiel à lui dire.