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Je regagne mon hôtel la queue basse (j’ai des raisons). Que vont penser mes généreux patrons ?

Avant d’entrer à l’hôtel Bosphore et Férluyr, je cherche des yeux le vieux cireur de pompes, mais ne l’aperçois plus. Bien que ne le méritant pas, je m’octroie un bloody mary très musclé. La ville est éblouissante sous le soleil de cette fin d’après-midi. Je n’en ai pas éclusé deux gorgées que mon ronfleur retentit.

— Oui ? dis-je sèchement, bien décidé à expédier aux prunes quiconque me chercherait des poux par l’entrebâillement de la braguette.

La voix féminine de la veille au doux zézaiement de semoule incuite roulant sur une plaque de tôle, me gliglite le cornet.

— Il semble que vous ayez raté la cible, dit-elle.

— C’est arrivé même à Buffalo Bill, réponds-je.

— Il faut dire que vous vous êtes un peu… dispersé.

— On ne lutte ni contre sa nature ni contre les bonnes occasions, je dis en prenant une voix désinvolte.

— Une nouvelle possibilité va vous être offerte.

— Quelle est-elle ?

— Vous allez prendre place à bord de l’Exekias  ; une cabine vient de vous être retenue : Istanbul-Le Caire, ce qui vous donne une marge de manœuvre de quatre jours. Vous trouverez votre billet chez le concierge de l’hôtel, votre note est réglée. Pressez-vous car l’Exekias appareille dans deux heures.

— Merci pour ce brin de croisière, mais je dois avouer loyalement que le… sujet paraît allergique à ma personne.

— Les allergies les plus fortes se guérissent, fait la voix. Quoi qu’il en soit, vaincu ou vainqueur, vous quitterez le bateau à Alexandrie et rejoindrez Le Caire.

Tloc !

Raccroché.

Dis donc, je suis devenu une espèce d’outil ; on me commande non pas comme un larbin (à présent on peut plus) mais comme un agent secret, ma parole ! Je vais chiquer les toutous dociles jusqu’à quand ?

En maugréant, je fais ma valoche.

Il est peut-être désagréable de se laisser manœuvrer, en tout cas, l’aventure ne manque pas de sel, comme me le faisait remarquer M. Cérébos.

Chapitre V

QU’EST-CE QUE J’AI COMME VEINE D’AVOIR TANT DE CHANCE !

Je ne te demande pas ton âge, ni le tonnage du barlu. Ma cabine est confortable, sans plus ; encore bien beau qu’on m’ait dégauchi une place en cours de circuit.

Pendant les manœuvres d’appareillage j’arpente les différents ponts à la recherche de Vera, mais ne l’y trouve pas. J’en conclus qu’étant donné l’imminence du dîner, elle doit être en train de se mignarder devant la glace de son lavabo.

Quand la musiquette mélodieuse retentit, appelant les Vasco de Gama à la clape, je suis déjà saboulé princier : smoking bleu nuit, chemise bleu ciel à jabot, nœud pap’ de velours marine. Sans me vanter, j’en crache épais, espère. Tu colles ma photo à la Une de Vogue et tu doubles le tirage. Y a une éloquente traînée de regards sur mon passage : les mamans du bord qui me rêvent déguisé en gendre et leur plaçant un petit doigt de cour dans la moulasse au retour du voyage de noces pour mettre les relations familiales sur les bons rails.

Le maître d’hôtel en chef m’a placé à la table d’un couple d’Allemands, jeunes et sympas, discrets. La femme est jolie et l’époux rougit lorsque je lui adresse la parole, comme si j’allais lui proposer la botte. Leur péché mignon, je m’en aperçois vite, c’est la bouffe. Ce qu’ils se placent dans le burlingue, ces deux-là, tient de l’attraction. Je me dis que la petite poulette blonde, si choucarde, va rapidement virer grosse Bertha. Je l’imagine dans dix piges, défoncée par les maternités, Teutonne rougeaude, dévoreuse de saucisses. Je leur raconte que je fais le tour du Bassin Méditerranéen par fractions. Je suis géographiste, vous comprenez ? Ils comprennent. La jeune dame surtout, en briffant sa salade de langouste. Oui, oui, pour comprendre elle comprend : à preuve, j’ai son genou contre le mien ; ça veut dire quéqu’chose, non ?

Comme j’ai arrosé le maître d’hôtel au jet rotatif, il a souscrit à ma requête en me plaçant à une table très proche de celle de Vera. Si bien que je suis en prise directe avec la jeune fille… Ce qui me surprend, c’est qu’elle voyage seule. Il est rare de trouver une personne de cet âge inaccompagnée dans une croisière. Qui est-elle ? Pourquoi cette solitude ?

Elle partage sa table avec une famille américaine coloured. Le papa ressemble au monsieur de couleur qui fait la pube pour Uncle Ben. La maman est dodue fagotée à la n’importe-comment. Ils ont trois chiars : des garçons binoclards à bouilles de surdoués timides, un brin obèses.

Vera discutaille en anglais avec ces braves gens. Elle paraît détendue et s’amuse des réflexions des mômes. Je ne la perds pas de vue, mais mes efforts oculaires restent sans effet.

Plus tard, dans le grand salon, je m’arrange pour trouver un siège proche du sien. Elle est toujours en compagnie de ses voisins de table. L’animateur du bord organise ce genre de danses à la con où ce sont les dames qui doivent inviter les messieurs. Vera propose un tango à Uncle Ben. Je me dis que, sait-on jamais, la prochaine danse sera peut-être pour moi ? Mais voilà l’Allemande qui se la radine pour m’inviter. Dis, je fais un score avec la Germanie, aujourd’hui. Vachement opérationnel, Sana, sur les mémés d’outre-Rhin. Elles en veulent toutes, du bel Antonio. Le mari, écarlate d’avoir repris trois fois de chaque plat (il y en avait douze au menu), m’adresse un grand signe de cocu cordial derrière sa boutanche de roteux. Que nous v’là partis sur la piste, la Fraulein et bibi, en pleine langourance. Je tangote dans les parages de la Chilienne : pas relâcher ma pression. L’obstination finit souvent par payer. Pour l’instant j’inscris toujours un zéro pointé à mon palmarès. Cette fille, je pourrais me déguiser en cosmonaute ou me produire à poil avec la bitoune sous le menton, elle continuerait de m’oublier. Je ne dois pas impressionner sa rétine. Faudrait peut-être que je m’oigne d’un produit spécial. Doit bien y avoir quelque chose à faire, non ?

Par contre, ma camarade chleuh met la gomme. Le tango, c’est propice au frotti-frotta. Elle pose sa tête sur mon épaule, la gueuse, s’abandonne. Merde ! et sa grosse flanelle, là-bas, comment va-t-elle réagir de voir bobonne en plein sirop ? J’efforce de la tenir au fond du court, derrière la barrière de culs trémousseurs, surtout pas monter au filet, on se ferait remarquer du cornard.

Emportée par la vaseline, elle oublie tout, la schön madame. Enquille carrément une de ses flûtes enchantées entre les miennes, remontant haut le genou pour me percevoir les valseuses en plein tango, ce qui constitue ce que Mansart appelait un comble. Elles ont le sens tactile qui leur dévale jusqu’au ménisque, ces surexcitées glandulaires.

Alors, en voiture Simone ! Talalala tsoin tsoin tsoin… Faut voir comme ils compassent les « cavaliers ». Se prennent pour des Fred Astaire. Cet air pénétré qu’ils arborent lorsqu’ils fendent les jambes de leurs partenaires, les emmènent promener à la basculette : un coup en arrière, un coup en avant. Linde Ben aussi s’efforce, tout excité, je sens bien, de tenir contre soi une blanche colombe. Talalala tsoin tsoin tsoin ! La foire à la gambille. Et puis y a ça, aussi : ils bichent d’être en smok, les gaziers. Ils s’auto-éblouissent. Se prennent pour des princes, des magiciens, des Casanova. Tu découvres sur la piste des vieux crabes trotte-menu, chauves et binocles, avec des loucheries impossibles et des lèvres inférieures comme des anus de vache. Ils s’agrippent à des dadames qui ressemblent au donjon de Vincennes drapé de soie, se perdent entre leurs mamelles frénétiques. Si tu veux vraiment savoir à quel point c’est homme, un con, offre-toi une croisière féerique, mon pote. Gala du commandant !