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Mon Allemande me dit que son julot, tous les Morgen, il descend pendant une plombe (de neuf à dix) à la salle de gymnastique pour ses abdominaux. Ensuite il monte sur le Brücke faire un peu de tir aux pigeons d’argile, plaoum, plaoum ! Fusillé ! Achtung ! Si bien, tu m’as compris tu m’as, qu’elle dispose de ses matinées, mâme Gerda. Ne me reste plus qu’à lui refiler le numéro de ma cabine pour avoir l’honneur de sa visite dès demain. Banco. Une occasion de se démailloter le nourrisson, ça ne se refuse pas.

La danse finie, elle me raccompagne jusqu’à ma place, ainsi que l’exige l’animateur. Faut toujours qu’un malin s’occupe des autres, sinon ils tourneraient à vide. Et plus le n’animateur exige des conneries turpides, plus ils sont contents, les zéros en toutes lettres. La drôlerie, pour eux, commence par un petit chapeau de papier ; quand, en suce, on leur distribue un mirliton, ça touche au délire. C’était fatal que je fasse carrière, moi qui fournis le Bonaparte manchot et le fluide glacial sans supplément.

Qu’à ce propos, une chose m’intrigue et même me tracasse un peu : je ne comprends pas qu’une flopée de gens écrivent des livres, du moment que j’en écris, moi. Je suis capable de faire romancier pour toute ma génération, ce qui leur permettrait, aux autres, de se lancer dans des voies mieux à leur botte : la plomberie, le commerce des moules, que sais-je.

Un San-Antonio, je veux pas avoir l’air de me moucher, mais il suffit pour assumer tout le département books. Alors que j’en vois qui ne savent quoi mettre sur une feuille blanche. Ah si : leur vie ! Ils la bricolent un tantisoit, la camouflent timidement, la prétendent roman. Ils se baptisent Henri alors qu’ils se prénomment Jules, et vogue, navire de papier ! Ils racontent leur henfance, leurs zamours, leurs chagrins. Quand c’est fini, ils recommencent, mais au lieu d’Henri, c’est René. La même histoire : ils n’en auront qu’une à dire pour tout jamais. Ils la situent ici ou là. Elle reste pareille : comment en serait-il autrement ? Pareille à la leur, pareille à celles des autres. Ils ont le visa sacré du consulat de la farine. Le livre du mois ; pardon : du MOI !

A chialer ! Ils savent pas imaginer. Ils n’imaginent même pas ce que c’est que l’imagination. Alors ils racontent les confitures de grand-maman, et aussi quand ils se touchaient, au pensionnat. Les choses de leur vie, quoi, c’est-à-dire de la vie.

Les rares qui ont de l’imagination n’ont pas de style. Ils écrivent au polaroïd. On est peu, je vous jure, toujours sans vouloir me moucher avec les doigts, des qui ont le chou et du souffle, qui savent se passer outre, te raconter une histoire qu’ils n’ont pas vécue, des personnages qu’ils n’ont jamais été, qu’ils ne deviendront jamais, à quoi bon, puisqu’ils les auront créés ? Je les guette, les espère. Ah ! tiens, voilà Jean Vautrin ! Avec ses quinze paires de lunettes (et encore, il regarde par-dessus celle qu’il a sur le nez !). Oui : Vautrin. Et puis quelques autres, mais je vais pas me lancer dans une liste ; c’est comme ça qu’on se fait des ennemis, j’ai déjà trop d’amis dont je ne sais plus que faire, ni où placer ; ni comment remplacer.

Des fois, je demande, en loucedé, comme quand on a des chiots corniauds ou des chatons à caser « Vous n’auriez pas besoin d’un ami en bon état ? Point trop fumier, jaloux juste ce qu’il faut, pas plus hypocrite que vous ou moi ; qui sait payer son pot quand c’est son tour et ne vous emprunte pas de fric ? Sa femme baise bien, ses gosses ne jouent pas du piano ». T’as beau parler à voix gourmande, les gens se méfient. Ils froncent les sourcils. Ils objectent : « Pourquoi cherchez-vous à vous en défaire s’il est si bien que ça ? » Je me trouble : « Parce que j’en ai trop, je ne sais plus où les mettre ! » Les teigneux se contentent pas de l’explication. « Alors pourquoi liquidez-vous celui-ci et pas un autre ? » « Mais ils sont presque tous à remettre. J’en garde trois ou quatre comme étalons ; les plus anciens, les plus sûrs, ceux en qui je veux croire. » Je me casse le nez contre un mur d’hostilité. « Ecoutez, je vais voir. J’en ai un qui est très malade, s’il lui arrivait quelque chose, je vous ferais signe !

Mon cul ! Ils ne font jamais signe. Les amis, ils préfèrent se les pêcher eux-mêmes, dans le grand salon de l’Exekias, par exemple ; au club, à la montagne, sur la plage… Sans s’occuper de leur pedigree. Ils ferrent celui qui les écoute le mieux ; auquel ils peuvent raconter leur situation, leurs bagnoles, leurs coups de verge… Les amis, c’est comme le chewing-gum trop mâché : faut les coller sous la table, en douce, et puis les oublier.

Et puis les oublier… Ça oui : les oublier.

Et alors, lorsque la dadame Germaine m’a remis sur mon siège et remercié d’avoir bien voulu accepter sa danse, le tout ponctué d’une œillade prometteuse à la Prométhée (genre : « Je te boufferai pas que le foie, beau voyou »), d’autres souris fanfrelucheuses se pointent pour me violer. Je me dis qu’elles vont me carboniser la soirée, ces pécores.

Juste au moment où la chef de file enjambe les guiboles d’une vieille Ricaine à moitié beurrée, je me jette en avant et il se passe très exactement le fait ci-après : Vera a invité l’aîné des garçons à Uncle Ben, elle le précède en direction de la piste. Je m’intercale entre elle et son poussin poussah. La jolie Chilienne ne s’en aperçoit pas. Chemin faisant, je me tourne vers le gros dadais binocleux et je lui dis qu’il retourne poser son gros cul dans son grand fauteuil. Le gamin, ahuri, obtempère. Vera arrive à l’orée de la piste et se retourne. Elle est nez à nez avec moi. Elle cherche le gamin, ne l’aperçoit plus.

— Il est retourné s’asseoir, murmuré-je ; c’est timide les bébés phoques à cet âge-là.

Et floup ! (ou plouf ! si tu as une culture classique), je la cueille d’autor, sans barguigner, pour l’entraîner dans une valse lente, pas trop cassante, à l’usage des vieux kroums. Vera se raidit, elle rebuffe sèchement avec une telle impétuosité que je suis obligé d’exécuter un pas en arrière. Ce faisant, je bute contre la godasse d’une grosse radasse omnipotente, ce qui la fait trébucher. Elle s’agrippe à ce qu’elle trouve, et je suis ce qu’elle trouve. Ma position portafausse jointe à sa surcharge pondérale me fait basculer.

Nous chutons l’un et l’autre sur la piste. La grosse personne est italienne, ce qui te laisse à imaginer ses cris, glapissements et autres clameurs ; ils sont si puissants et stridents que l’officier de quart (de brie) décide de mettre le cap sur la première boutique des frères Lissac pour changer de dunette.

Je voudrais me relever, aider la rombière à en faire autant, mais elle est avalancheuse, mémère. Je suis coincé, bloqué sous ses kilogrammes aux pâtes riches de chez le père Lustucru (celui qui refuse le cul de Germaine sous prétexte qu’il est fendu !). J’ai qu’une jambe à dispose et elle s’agite désespérément.

Autour de nous, c’est le monstre foutoir, la rigolade générale (que dis-je : amirale puisqu’on est à bord d’un barlu). Des gens s’empressent, belles âmes navigantes nanties de mains compatissantes. Un monsieur particulièrement fort (d’origine turque) écarte les autres pour se consacrer à la vieille. Et poum ! se fait une hernie ; tant pis, l’altruisme n’est jamais récompensé. Ayant laissé retomber sa charge vivante, ladite bieurle que c’en est pas permis, en romain moderne, et le traite de con en italien pur fruit.

Ça devient dantesque. L’Exekias roule des mécaniques. L’orchestre s’arrête et se demande s’il devrait pas attaquer Plus près de Toi mon Dieu, comme les musicos du Titanic, la fois (la dernière) où cet éminent paquebot avait rencontré la face visible de l’iceberg (on cause toujours de l’autre, merde !).