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Bon, les pompes à essence, le caravansérail (comme s’éraille l’avant du car). Route de droite. Pas très large, bien goudronnée. Sur trois cents mètres, il se passe rien que du goudron dans du sable. Et puis ça commence à verdoyer. Une flore exubérante entre en scène. Et on distingue bientôt de vastes demeures arabo-californiennes de style, immenses, ceinturées de grillages très hauts, qu’on masque par des plantations, n’empêche que c’est électrifié, espère, et qu’il y a des signaux d’alarme branchés tous les cinq mètres. La route se ramifie en plusieurs voies serpentines ; lesquelles desservent les propriétés.

On voit vadrouiller des gardes armés jusqu’aux gencives, flanqués de molosses qu’ils ont du mal à tenir en laisse. De-çà, de-là, surgit une Rolls éclatante de santé avec pour certaines des pare-chocs en or massif. On circule les miches crispées, le Gros et moi, craignant de plus en plus la méchante interpellation.

Je cherche « Sherazade House », ne la trouve pas.

Quand j’ai tourniqué un bon bout, je me dis que tant pis, faut plier bagages. D’ailleurs, la mère Dorothy doit morfondre après sa tire et son satyre.

Et c’est en manœuvrant pour faire demi-tour que je lis la plaque émaillée contre une haie vive. Je me trouve sur une voie menant à un embarcadère. L’écriteau indique : « Sherazade House Island ». Et c’est souligné d’une flèche. Alors je recule en direction de l’eau. Voici un ponton d’acajou, superbe. Un Riva Aquarama Spécial y est amarré. Sur sa coque, il y a écrit « Sherazade House ». M’est avis que certains des occupants de cette île sont de sortie.

En visionnant le Nil, j’aperçois une petite îlette jolie, avec des arbres et un énorme rocher à son extrémité. Une imposante construction, sorte de palais mauresque au toit vert en occupe le centre. Elle est ceinte d’un réseau de grillage encore plus impressionnant que celui qui entoure El Al Hachiass.

Bon, voici donc le P.C. de mes « patrons ». Tu parles d’une crèche !

Béru qui a tout pigé me demande :

— C’est laguche ?

— On le dirait.

— Dis, c’est Al Quatre As !

— En mieux et en activité, admets-je.

— T’envisages quoi-ce ?

— Rien encore, j’observe.

Lui aussi. Nous restons un moment silencieux, contemplant de tous nos yeux, comme Michel Strogonoff.

Barrière électrifiée, signaux optiques, gardes en armes, molosses écumants, cellules photoélectriques, sans compter des serrures qui ne doivent pas être en aluminium ; l’ensemble de ce fort de luxe me paraît inexpugnable.

Sa Majesté en pète de saisissement. Puis, pour prouver qu’elle détient d’autres moyens d’expression, déclare :

— Quand tu fourvoyes dans c’te masure sans être invité par l’ taulier, tu dois plus toucher longtemps tes allocutions d’ chômage.

— Certes, conviens-je. Vouloir forcer le réseau de protection de cette baraque relève de la folie.

— Alors tu voyes les choses partir en sucette, grand ?

— Le phosphore, mon pote ! Le phosphore. Je vais sucer des allumettes, ça me donnera peut-être des idées.

SOMBRE INTERLUDE

Tripote pas les boutons. Si ce qui va suivre est noir, ça ne vient pas d’un mauvais réglage du poste. C’est l’historiette qui est commak.

On n’y peut rien.

…………………………………………………………

L’auto ralentit progressivement et se rangea devant une propriété visiblement inoccupée. Le chauffeur en descendit et partit d’un pas nonchalant en direction de la villa des Trabadjalamouk. Il tenait un grand bouquet de fleurs à la main, lequel était artistiquement enveloppé de papier cristal.

Il pénétra dans la propriété et s’approcha du seuil. Il y demeura un instant, immobile, sans sonner, l’oreille tendue. Après quoi il contourna la demeure blanche et aperçut la Mercedes commerciale stationnée derrière la construction, à l’abri d’un massif de rosiers grimpants. Lesdits grimpaient après une armature de fer évoquant l’architecture d’un temple grec. Un jet d’eau murmurait au centre d’une immense vasque de marbre. Des oiseaux venaient s’y abreuver. L’homme rebroussa chemin. Comme ses pas crissaient sur le gravier, la porte de l’office s’entrouvrit et Dorothy Trabadjalamouk montra ses formes rondes.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle rudement, en arabe, puisqu’elle parlait cette langue et que le chauffeur était très évidemment égyptien à en foutre la colique à Ramsès II.

Dorothy avait des relents colonialistes dans l’inflexion, bien qu’elle eût épousé un Arabe. Son père avait régné sur des comptoirs de Suez et son grand-père sur une province des Indes ; il lui en restait une hérédité en désaccord avec les grands mouvements actuels.

— Je livre des fleurs à la villa « Sheramour », répondit l’homme en soulevant sa gerbe.

— C’est à côté, bougre d’ahuri, le renseigna Mrs. Trabadjalamouk avec courtoisie.

— Faites excuse, dit le chauffeur.

Il retourna à la voiture. Kriss l’y attendait, impavide derrière ses lunettes noires. Il portait un feutre léger, noir avec un ruban blanc.

— C’est bon, fit le chauffeur.

— Alors, on y va, dit Kriss.

Il enfila des gants gris, en peau très fine. Sur la banquette avant, un Noir rutilant de sueur attendait les ordres. Il était grand, massif, avec les cheveux presque rasés et la lèvre supérieure gonflée par une espèce de varice écœurante.

Les trois hommes gagnèrent la propriété de Dorothy en file indienne. Le Noir y pénétra le premier et longea une haie de crochepattes géants pour s’approcher de la villa. Kriss le suivit. Le chauffeur retourna sur l’arrière de la maison et, délibérément, toqua à la porte.

Dorothy réapparut. En apercevant l’homme, son gros visage bouffi exprima, malgré la peinture qui le submergeait, un sentiment de colère.

— Ah ! non, encore toi ! s’écria-t-elle.

— Il n’y a personne à la villa « Sheramour », balbutia le chauffeur.

— Et que veux-tu que j’y fasse, espèce de…

Elle n’acheva pas sa phrase car, d’un geste sec avec sa main libre, le chauffeur venait d’éventrer le papier qui enveloppait les fleurs et montrait à la dame le superbe revolver à barillet logé au centre du bouquet.

— Lève les bras et ferme ta sale gueule, grosse vache ! ordonna l’homme d’un ton aimable, en ponctuant d’un sourire.

La pauvre dame sentit son sang affluer à son cerveau et n’en plus repartir. Elle dressa ses ailerons et son fond de teint parut s’éclaircir quelque peu. Son vis-à-vis eut un sourire indéfinissable et émit un léger sifflement. Kriss et le Noir surgirent alors. Kriss tenait un revolver pourvu d’un silencieux. Il le tenait comme un cavalier sa cravache, s’en battant négligemment la cuisse.

Il s’approcha de la grosse Anglaise.

— Qui se trouve dans cette maison ? demanda-t-il d’un ton sucré, très bas ; un ton de loukoum.

— Mais que voulez-vous ? tenta d’ergoter Dorothy.

Il la gifla à toute volée et la tête platinée de Mrs. Trabadjalamouk heurta le chambranle de la porte.

— Qui se trouve dans la maison ? répéta Kriss.

Elle avait plein d’étincelles d’or dans la vue avec des traînées rouges comme dans un ciel de couchant. Une terreur lancinante se développa en elle. Elle comprit qu’elle avait affaire à des gens terribles que rien ne pouvait amadouer.

— Il y a une jeune fille.