On eût dit un sculpteur maniant le ciseau. Il sculptait la mort sur ces corps sans défense. Cette besogne le passionnait. Quand il eut « distribué » à la malheureuse les cinq balles qui lui étaient dévolues, il s’intéressa à Dorothy Trabadjalamouk. Celle-ci rampait lourdement en direction de la porte. Kriss eut un sourire de presque apitoiement.
— Oh ! le gros boa qui voudrait se sauver, fit-il. Croyez-vous que vous pouvez allez loin, gros boa plein de merde ? Non, non ! Restez tranquille et retroussez votre robe, gros boa.
Comme Dorothy gisait, inerte, il lui administra un maître coup de pied dans les côtes.
— Allez, allez, gros boa : exécution ! On relève sa robe ! Voilà. Bravo ! Quelles horribles cuisses gélatineuses et roses ! Non, non, ce n’est pas un boa mais une truie, pardon ! Mettez-vous à genoux, pour voir. J’ai peine à croire qu’il existe de telles dégueulasseries. Vous avez un foutu cul plein de vergetures et de cellulite ! Vraiment, il se trouve des types pour enfoncer leur pénis là-dedans ? La nature humaine est mystérieuse. Ça pendouille de partout, ma chère truie. Vous êtes répugnante ! Ne bougez surtout pas. Je vais vous prendre à mon tour. J’y tiens. Ouvrez-vous tout à fait, truie ignoble ! Plus largement encore ! Quelle horreur !
Il introduisit le canon de la mitraillette dans le sexe béant de la grosse femme.
— C’est bon, ma truie ? Vous me recevez bien ?
Il imprima un mouvement de va-et-vient à l’arme. Dorothy restait à genoux, grotesque sur ses coudes, le ventre pendant, les fesses largement offertes.
Kriss joua un instant de la mitraillette comme d’un gode.
Il s’enfiévrait un peu, donnait à sa voix des modulations qui pouvaient exprimer le désir.
— Vous êtes heureuse, la truie ? Abandonnez-vous complètement ! C’est exquis, n’est-ce pas ? Je crois que je ne vais pas tarder à jouir. Joignez-vous à moi ! Déchargeons ensemble ! Vous voulez bien, la truie ? Ah ! que c’est divin !
Il précipitait le mouvement du canon. Au bout d’un long moment de son manège, Kriss poussa un cri d’orgasme.
— Je décharge ! cria-t-il.
Il pressa la détente et la garda en position de tir. Les cinq dernières balles se perdirent, l’une après l’autre dans le corps difforme de Mrs. Trabadjalamouk. Le cri qu’elle voulut pousser mourut dans la paume de Kriss. Il retira sa main, tandis que la pauvre femme terminait ses jours sur un râle léger. Sentant ses doigts gluants de salive, il les essuya à la robe de sa victime. La mitraillette était restée plantée dans le sexe de Dorothy. Kriss l’y enfonça davantage de la pointe de son soulier. Quand il se retourna, il vit le chauffeur debout dans l’encadrement de la porte qui lui souriait, amusé.
— Ça défoule, dit Kriss sans s’émouvoir. Tout est paré ?
— La fille est dans le coffre de la voiture.
— Alors, allons-nous-en.
Ils remontèrent les degrés de ciment. L’odeur de la poudre et du sang grimpait avec eux.
Le Noir les attendait assis à la place passager. Il s’efforçait de nettoyer des taches de sperme sur son pantalon.
— Si j’avais su, je me serais moins pressé, bougonna-t-il.
— C’était bon tout de même ?
— Impeccable. C’est une petite salope.
— Si le docteur n’est pas trop pressé, j’aimerais bien l’essayer un peu, ricana le chauffeur.
— Tu te taperais les restes d’un négro ? demanda le Noir d’un ton sarcastique.
— Je me taperais même une chèvre qu’un juif vient d’enfiler, assura le chauffeur. Mon zob et mon cerveau font bande à part.
Il éclata de rire.
Kriss retira ses gants qui puaient la poudre, les roula en boule et s’en servit pour faire briller ses chaussures. Il regretta de n’avoir pas téléphoné à la police depuis la villa des Trabadjalamouk, histoire de leur refiler le numéro de la voiture utilisée par les fugitifs. Il le ferait en arrivant à « Sherazade House », après tout, it’s a long way de Suez à Alexandrie.
Chapitre XII
LA KERMESSE HÉROÏQUE
— Acré, mec ! lance Sa Majesté gonflante en m’empalmant le brandillon.
Je pile net.
— Quoi, donc, Gros ?
— Y a d’ la visite, ou y en a z’eu.
— Où tu as vu ça, Nostrabérus ?
— Su’ la p’louse. Vise : des traces de pneus. On a fait une manœuv’ y a pas longtemps, les fleurettes à ma fée des braguettes sont toutes écrasées. Quéqu’un sont v’nus, mec.
Je stoppe et nous déhotons au milieu de l’allée. Un silence profond comme les réflexions d’un adjudant en retraite règne sur la propriété des Trabadjalamouk. On entend voler les insectes, et jusqu’aux papillons veloutés qui donnent l’impression de faire un chahut de tous les diables !
Instantanément, ça se resserre vilain dans mon alambic. Imparable, la certitude qu’il s’est produit une couillerie phénoménale m’empare.
— Faut en avoir la cornette, déclare le Mastar. J’ vais en r’pérage, gars. Placarte-toi, tu me couvriras en cas est-il qu’aurait besoin.
Me laissant la tâche délicate de traduire sa réplique en bon français, il file en direction de la villa.
Son absence dure.
A tout bout de champ, je m’attends à percevoir du grabuge. Et puis non, le Surdoué de la membrane réapparaît au coin de la masure, flageolant, avec une frite qui lui pend sur les épaules telles des oreilles d’épagneul. Cette fois, j’ai la certitude du malheur absolu et je fonce.
— Alors ?
— L’abomination, Grand ! Ils ont flingué la coterie, le vrai carnage salopard. Des viceloques. Si tu verrais la manière qu’ils ont opéré pour ma douce et tendre ! Ah ! les fumiers, les sales fumiers, si j’ les tiendrais, je leur arrache les couilles et je leur fais bouffer !
— La gosse ?
— Ta souris ? Y est plus : embarquée !
Je galope à l’intérieur de la maison pour y découvrir ce qui t’a exceptionnellement été décrit à la troisième personne dans l’interlude précédent. Ce massacre froidement perpétré me glace le dedans des os.
Je songe à Vera. Je devine pourquoi ils l’ont emportée, ma gentille gosse. Sa moelle épinière à elle aussi ! Mais on clapote en plein cauchemar, bonté de Bouvines ! Ça va chier dur pour nous deux. Tu parles : ils ont sulfaté le juge et les deux femmes avec la mitraillette dont nous nous sommes emparés au moment de mon évasion. Je te parie un litre de vin contre un devin d’élite que seules nos empreintes s’y trouvent. Ils auront opéré avec des gants. Ne leur reste plus qu’à balancer le numéro de la tire de Dorothy pour qu’on se fasse alpaguer vite fait et flinguer à vue. On tourne ennemis publics numéros un et deux, avec ces événements ! A présent, on n’a plus de soutien. Faut dégager rondo, et à pincebroque ! Finito la coopération de la mère Trabadjalamouk. Adios, le barlu de son parent ! La béchamel coagule. Elle s’épaissit pis que du ciment prompt. Tout est bouché. On peut plus dépêtrer (verbe pronominal, mais je t’en fous !). C’est la noyade honteuse. Jamais nous ne nous innocenterons.
— C’est la crise, non ? demande Béru.
— Complète et apparemment irréversible.
— T’as vu la gâterie qu’y z’ont aménagée à la môme Dodo ? Tu parles d’une injection de spermanganate ! Y z’ont une manière d’ traiter la salpingite, ces vaches !
J’ai dans le cœur une petite musiquette rouillée. Elle me joue l’adieu à Vera. Ma petite Chilienne à peau mate ! Dedieu, je voudrais… je voudrais… Mais nib ! On est impuissants, foutus, juste bons à morfler la salve d’un flic égyptien, façon Sadate qui faisait bravo, bravissimo aux vilains scouts qui s’approchaient pour le vaporiser, ce con !