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— Notre seule chance, c’est de parvenir à gagner l’ambassade de France pour y demander refuge, dis-je. Là-bas, on s’expliquera, on se fera connaître, ils auront des assurances de Paris quant à notre moralité. Ils…

— Ils ballepeau, grogne l’Enflure Domestique. Les diplomates, tu les connais pas ? T’en as vu qui s’ mouillent, técolle ? Ils nous diront qu’on doit falloir aller s’espliquer à la police. Pas créer d’incendie diplômé entr’ l’Egypte et la France, que déjà Guy Mollet avait fait l’ con et qu’ ça leur a resté en traviole d’ la gargante, les Gyptiens. Les Arbis, ils vindicationnent. Chez leurs zigs, on oublille pas les crasses ; les roumis, y nous font cadeau à la peste noire. Jamais on s’ra blanchis, gars. Y a qu’nous aut’ qui pouvrons l’ faire.

— Mais comment, pauvre con ? On est deux fugitifs aux mains nues.

L’Abîmé se prend le front, façon Rodin Doderon. Je crois bien voir sortir des étincelles de ses oreilles.

— T’es bien d’accord, soupire l’Impérial, que c’est les gonziers de l’île Sherazade qui ont manigancé ce désastre ?

— Je ne vois pas qui d’autre aurait pu le faire.

— Donc, faut qu’on va aller régler c’t’histoire su’ leur terrain pisqu’ y sont v’nus fout’ la mort su’ not’ ?

— Tu as vu que c’est impossible, Gros.

— J’vais t’ dire la différence qu’existe entr’ toi z’ et moi, Sana. Toi, tu dis « impossib’ ». Moi, je réponds « mon cul ». Te rends-t-il-tu compte de ça ?

On s’est rabattus sur la Mercedes.

Béru a dégauchi tout un fourbi dans la villa. Alors, bon, on reroule gentiment en direction d’El Al Hachiass.

Vous ne pouvez pas savoir combien mon pauvre cœur est lourd, madame. Mais la foi du charbonnier qui anime le Gros me gagne. Et quel lot merveilleux cela lui fait, à cette foi ! Je me dis que deux hommes comme nous, ça vaut davantage que cent mille grognards de Napoléon actuellement.

Je conduis prudemment, selon mon habitude, ce qui est tout de même périlleux ici. On atteint les faubourgs. Je reconnais une esplanade sur laquelle un petit circus a planté son chapiteau corinthien. Quelques voitures bariolées, disposées en rond, composent une ménagerie. Je freine.

— C’ qu’ t’ar’v’ ? questionne Béru qui s’était assoupi.

— On va bivouaquer ici pour attendre la nuit, fais-je. Nous aurons davantage de chance de passer inaperçus.

Il maugrée.

— Et p’t’êt’ qu’on trouv’ra de quoi briffer, non ?

— C’est envisageable.

Donc, je me remise parmi des tacots invraisemblables. On entend rugir un lion. Assez languissant, le bestiau. Sûrement que c’est l’heure d’ la jaffe pour lui aussi et qu’il commence d’annoncer la couleur.

Nous descendons pour nous dégourdir les cannes. Moi, voilà qu’une drôle d’idée se met à palpiter sous ma coiffe. Un peu dingue, comme la plupart, mais pas conne. Je m’engage entre les voitures-cages. Un peu râpée, la ménagerie. Deux autruches qui n’en finissent pas d’avaler leurs cous, des fennecs désabusés, quelques chevaux (arabes, tu parles qu’ils allaient pas rater c’t’occase), des hyènes, un zèbre encore en pyjama, trois crocodiles de chez Hermès, deux vautours en train de se faire la gueule sur leur perchoir, quelques perroquets qui ne parlent qu’en braille et enfin the lion. Ah ! la pauvre bête ! Tu verrais l’ à quel point elle est mitée, cafardeuse, l’œil saumâtre, le museau pelucheux, la langue comme une tranche de jambon oubliée en plein soleil, et la tignasse tellement hirsute que tu t’attends à ce qu’il fume un joint ou joue de la guitare.

Voilà mon affaire. Dieu soit loué pendant toute la durée de ses représentations !

De temps à autre, le gars Brutus pousse un miaou sans conviction. Il réclame pas de la croque vu qu’il lui reste un quartier de barbaque bleu de mouches sur sa paille, mais plutôt de la compagnie. Pour être franc, il se fait tartir, le roi de l’Atlas. C’est l’heure de la sieste dans les roulottes et on n’aperçoit âme qui vive sur le terre-plein.

Bibi prend sa décise sans barguigner. Ma petite boîte gadget. Elle est radicale sur les hommes, j’espère qu’elle agit aussi sur les lions.

Elle n’est pas grande : boîte à pilules. Où la planqué-je ? Dans le talon droit de ma godasse qui pivote. Elle a échappé à la fouille dont j’ai été l’objet (d’art) lors de mon arrestation (thermale). J’y cueille une fléchette grosse comme un plomb de chasse. Le long du couvercle de la petite boîte, se trouve un minuscule tube au diamètre de la fléchette. Ouvrage de haute précision, qui relègue les james bonderies dans le magasin de farces et attrapes du passage de l’Argue à Lyon.

Je charge le tube lance-fléchettes, qu’ensuite, grâce aux deux minuscules charnières du couvercle, je vise le cul du lion. Et tchlac ! Le bestiau tressaille de la partie postérieure, se refait un brin de miaou désœuvré, puis passe outre le léger incident qui ne le tarabuste pas plus que le harcèlement d’une grosse mouche bleue.

Je le guigne en loucedé. Nos regards se rencontrent. Le sien est bourré de cafard. Pas antipathique, le roi des animaux. Il fait très déchu. Tu croirais un peu le pauvre Humberto en exil au Portugal. Je crois même déceler une lueur amitieuse dans ses yeux. Il apprécie ma compagnie, Brutus. Me trouve gentil d’être là alors que tout un chacun joue les couleuvres. Et puis ses lourdes paupières se closent et il se met à faire dodo, la crinière entre ses papattes ; sans histoire.

J’attends un peu et le touche à travers les barreaux. No réactions. C’est du bon toutou, ça, après tout. Ça règne sur la gent animale dans La Fontaine seulement. Sinon, coucouche panier, Canigou et Ronron, donne ta pattoune, Médor.

Je module un sifflement qui m’est particulier, du coin de la bouche. Le Gros se pointe.

— Tu m’as causé ?

— Aide-moi à dégager la bestiole, fais-je en déverrouillant la cage.

Sa Majesté s’effare.

— Tu veux embarquer ce gros machin ?

— Exact.

— Pour en quoi fiche ?

— Tu le verras bien.

Alexandre-Benoît chasse les mouches noircissant le quartier de barbaque malodorante qui gît dans la paille et arrache un gros lambeau de viandasse qu’il bouffe toute crue.

— Ce gros greffier, y laisse l’ meillieur, grommelle-t-il. Quand tu penses qu’on est dans l’ tiers monde et qu’ les lions sont repus d’ bidoche, ça cloche quéqu’ part, non ?

— Aide-moi, Immonde ! On va l’traîner jusqu’à la voiture.

— T’es louf, si y s’réveille, y va nous glouper les bijoux d’ famille qu’ ça f’ra pas un pli !

— Ne t’occupe : il a sa dose.

Bon, alors on s’attelle à la tâche.

Elle est rude. Il pèse cent cinquante kilos, ce teigneux. Mais Bérurier c’est l’homme-grue, souviens-t’en. Le palan qui passe. Tu le verrais choper les cuisseaux de messire lion et s’atteler entre, l’admiration te viendrait ! Hoo-hiiissse !

Ça dégage, j’aide. A peine. On arrache l’animal de sa cage, on faufile entre celle de deux gibbons qui se trimbalent des culs gros comme des courges, et celle du zèbre, lequel continue d’attendre son breakfast avant de se changer. Je vais manœuvrer notre tire manière à présenter l’arrière. C’t une commerciale, ne l’oublie pas. Nous conjuguons nos efforts. Rehooo-hiiiissse ! Baloum tchlaof ! Brutus est affalé dans la tire. Je file une couvrante par-dessus. Gros dodo, chérubin. Après quoi nous partons. Rien n’a remué dans le secteur. A croire que les gens du cirque sont aux vêpres. Tant mieux, nous avons bien mérité que la chance nous file un petit coup de mano, non ?