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Pour ma part, j’ai ma menue boîte à fléchettes en pogne.

Tiens, chut ! V’là un garde qui se pointe en balayant la nuit de sa loupiote. Je le vise au-dessus de la lumière, tchloc ! Il fait encore deux pas et puis s’allonge sur le gazon. Ses deux autres collègues sont sidérés par la débandade des cadors. Ordinairement, ils sont surchauffés, les vilains toutous. Ils montrent les dents à tout-va, rêvent de fesses rebondies dans lesquelles les planter. Or, les voilà qui refluent en gémissant, paniqués à outrance.

Alors les gardes essaient de piger, les exhortent. Taïaut, taïaut ! Mais va te faire aimer en face, chez les Grecs !

Je me dis qu’on doit coûte que coûte envaper le service d’ordre avant de livrer assaut. Pour ce faire je rampe jusqu’à la meute glaglatante. Mon odeur d’avoir tripoté le lion, ça leur porte l’effroi à son comble, exprimerait Bérurier. Les deux gonziers en armes sont débordés. J’en profite : tchloc et tchloc ! Bonsoir, mes bijoux. Je m’empare de leurs seringues. On est beaux ! En avant, les poilus de Verdun pour une éventuelle distribution de dragées. C’est la tournée à Sana, ce soir, histoire de varier un peu.

Juste comme on s’approche de la lourde, la voilà qui se déponne toute seule, comme mue par un déclencheur à cellule photoélectrique. Tout continue de baigner dans le noir. Juste on distingue des loupiotes de secours derrière les vitres. Donc, la porte s’ouvre sur rien. Du moins je le crois, car, alors que j’hasarde, une balle me chuchote « gaffe à tes os » à l’oreille, en me tutoyant même le lobe. Je finis par apercevoir un grand noirpiot athlétique.

J’ai pas le temps d’interviendre. Magine-toi que le coup de feu a tiré notre Médor à crinière de sa torpeur gâtochante. L’appel de la brousse ! Il se rue comme un follingue sur mon tagoniste. L’autre s’attendait si peu qu’il a pas l’idée d’assaisonner la bête. Ou bien il a cru que c’était un des chienchiens de la house qui venait lui faire la lichouille. Toujours est-il que mon lion superbe et généreux se jette sur lui d’une détente retrouvée. Ça le change de son cirque pourri, l’amour ! Grouing croc ! En une seule gueulée il lui arrache la gorge. Parole ! Même que le Noir a sa tête qui tient plus que par l’habitude, elle pendouille de côté, lamentable et hallucinée.

On en profite pour se pointer, M. Bérurier et le commissaire de tes deux. Ça effervesce diantrement. Un second type avec un second revolver radine, qui défouraille contre notre pote le lion. Le king de la savane n’est que blessé, pour lors, il est fou furieux. Il se jette sur le nouveau. Même coup que précédemment : le coupe-cigare. Au suivant. Le lion en veut d’autres. Il a reniflé de la chair d’homme. Il continue, on n’a qu’à suivre. Il est le char d’assaut, nous deux les fantassins.

On investit Sherazade House. J’ai ma rapière dans une pogne, ma boîte lance-torpilles dans une autre, rien dans la troisième. Le carnage continue. Dès qu’un bipède se radine, vraoum ! Brutus lui fait sa joie de vivre. On lui en demandait pas tant. Moi, c’était simplement en prévision des dogs que je m’en suis muni, j’escomptais pas de sa part pareille efficacité. Un sacré nettoyeur de tranchées, je te prie de croire.

La baraque ressemble plus à rien. Heureusement qu’elle est dans l’obscurité, sinon ce ne serait pas regardable. Y a des allongés partout, du sang à profusion, on dérape dedans. Ma pomme, je vais de pièce en pièce. Ce faisant, je déboule dans un local qui ressemble à une salle d’opération, autant que la clarté lunaire me permette d’en juger. Un type en blouse blanche est là. Vera aussi. Inanimée, sur la table.

Je saute au colbak du mec.

— Elle est morte ? je lui questionne en anglais.

— Non, non.

— Vous avez déjà commencé à prélever sa moelle ?

— Pas encore, bredouille-t-il.

— C’est vous qui avez opéré les deux premières ?

Il est si terrorisé qu’il ne répond plus. Je lui écrase ses lunettes sur la gueule d’un coup de crosse. Il a du verre plein les châsses, le salaud.

— C’est vous, n’est-ce pas ? insisté-je.

— Oui ! râle le bonhomme.

— Pour quelle raison ?

— C’est sur l’ordre de… du Tout-Puissant.

— Expliquez-vous.

Il ne peut.

On vient de m’allumer sec. Un type survenu sans bruit, habillé de noir. Il a lâché une salve avec un pistolet-mitrailleur. Ce qui m’a sauvé ? Le déclic du cran de sûreté qu’il avait oublié de relever. Le temps qu’il répare cette fâcheuse omission, je me suis jeté à terre. L’homme à la blouse blanche a tout pris dans le poitrail. Il va chercher son billet de parterre. Moi, j’ai ma boîte, tchloc ! Le mec en noir a eu un sursaut, sa seconde giclée vadrouille à trois mètres de moi, et puis il s’écroule, endormi.

Je me penche sur Vera : elle est sous l’effet d’un anesthésique et respire sur un rythme saccadé. Il me paraît que Béru a coupé le courant au bon moment. Une heure plus tard, elle avait la colonne vertébrale évidée comme une sarbacane.

Maintenant, tout est silencieux, sauf qu’on perçoit des gémissements par intervalles irréguliers. Je me pointe dans le hall. Notre pauvre lion finit sa pauvre existence en héros, touché à mort par la balle qui a dû lui sectionner une artère ; il s’est vidé de son sang. Il halète. J’approche de sa bonne bouille une lampe électrique trouvée dans la main d’un égorgé. Il a les babines ruisselantes de sang, de la viandasse humaine entre les dents. Il parvient à se passer des coups de langue sur le museau ; son regard est vitreux, pourtant, j’ai l’impression qu’il peut encore me voir et qu’il continue de m’approuver. Il me remercie de lui avoir accordé une fin à grand spectacle, au lieu de le laisser s’étioler dans sa roulotte déglinguée. Je suis un pote. Son ultime providence. Ça valait le coup !

Je cherche Béru, il n’est nulle part. Je le hèle. Son mâle organe me répond :

— J’arrive.

Et il apparaît, en effet, tranquille comme la mer à la tombée du jour, massif, dominateur.

— Où en es-tu ? questionné-je.

— En ceci, rapporte l’Immense. J’ai trouvé une bioutifoule chambre avec deux gonzesses dans un plumard qui m’ont l’air assez friponnes. En tout cas, elles n’ont pas peur de moi. J’te signale qu’a une aut’ pièce d’ la masure qu’est fermée par un panneau d’acier épais comme çu d’un coff’. Ça doit z’êt’ une chambre forte où qu’on r’mise les valeurs.

Il ajoute :

— Slave dit, tout l’ mond’ ici, il est clamsé ou endormi, mises à part les deux gonzesses. Y reste pus qu’ les cadors, dehors, qui continuent d’ chocoter biscotte notre pote lion.

Je lui raconte que Vera est sauve, sinon saine pour le moment.

— Qu’est-ce tu croyes ? me demande l’artiste. On se taille ou on prend pension ?

— Je veux attendre le réveil d’un type que je viens d’endormir. Ça m’a l’air d’être le chef de l’organisation ; quand il sera réveillé, je le cuisinerai pour avoir des explications. En attendant, il faut ligoter les gardes de l’extérieur pour parer à toute surprise.

— C’est l’affaire d’ deux minutes, déclare le Gros, si tu permettrais, ensuite j’aimerais aller bavarder avec les migonnes de la piaule. S’lon moi, c’sont des exclaves, ou dans le genre, que le taulier se paie quand sa zifolette fait sa coquette. Quéqu’chose comme son n’harem, quoi. Y a pas d’ raison d’ laisser perd’ cette belle marchandise.

INTERLUDE

Quand il avait compris que sa résidence était investie, le Tout-Puissant avait actionné le système de sécurité qui transformait son appartement privé en fortin. Heureusement que le rideau protecteur s’actionnait à la manivelle, sinon, sans électricité, il n’aurait pu le baisser. Il avait dû tourner lui-même le petit volant logé dans une niche, derrière une tenture. La manœuvre ne nécessitait pas un gros effort physique, et pourtant elle épuisa le vieil homme. Quand il eut terminé, il goba une pilule, puis s’effondra dans un fauteuil. La lampe de secours allumée par Kriss au moment de la panne répandait une clarté blanche, un peu crue, qui éclairait trop durement ce qu’elle touchait de son faisceau, tout en laissant le reste dans la pénombre.