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En quatre enjambées et demie, me voici dehors. Le bonhomme repéré depuis l’intérieur de l’usine à intestins vient de se saisir de l’appareil photo posé sur la banquette. Il fait volte-face pour se tailler, se trouve nez à nez avec moi et il est tellement sidéré qu’il en ouvre le bec autant que l’articulation de sa mâchoire le lui permet. Histoire de supprimer les courants d’air possibles, je le lui ferme d’un crochet au menton. Je vois alors ses yeux se brouiller comme un jeu de cartes renversé. Il titube, s’adosse au capot de la bagnole et reste les bras ballants, attendant une seconde pêche dont je lui fais grâce…

Vous connaissez les humains ? Illico, nous sommes cernés par une tripotée de quidams. Deux hommes qui se pitrognent, ça fait toujours recette ! Et voici messieurs les agents, à vélo, s’il vous plaît, l’air angélique, qui commencent par nous alpaguer au collet. Je n’ai que le temps de leur montrer mes fafs avant l’hécatombe. Lors, ils esquissent un salut et me proposent d’embastiller le voleur d’appareil photographique.

J’accepte d’autant plus volontiers que j’ai des questions multiples à poser au gars et qu’il me serait pénible de l’interroger devant tout le monde.

En route pour le poste !

Comme nous nous éloignons, Béru se met à gueuler depuis la lourde qu’il n’a pas d’oseille sur lui pour cigler ses tripes. Le patron, un grand chauve rébarbatif, lui barre le chemin.

— Fais la plonge pour payer ! lancé-je avant de disparaître.

Au commissariat, on met à ma disposition une petite pièce flétrie, chichement meublée d’une table en bois blanc et de deux chaises. Pour unique décoration : la photographie du président Coty, constellée de fientes de mouches.

Le type qui voulait secouer le Smelflex des Bérurier reste immobile, avec, à la pointe du menton, une mignonne tache jaune qui bleuira avant longtemps.

Je le défrime. C’est un grand gnace maigre comme un fakir, avec une figure de lavement mal digéré et des paupières bombées comme celles d’une grenouille ou de M. Daniel-Rops (de l’Académie française par Jésus interposé).

Je ferme la lourde et lui désigne une chaise.

— Assieds-toi !

Il obéit. Il semble rêveur…

— Aboule tes papiers !

Il met la main à sa poche intérieure, mais au lieu d’en sortir son larfouillet, il exhibe un très joli pétard de 9 mm.

— Il est à vendre ? demandé-je.

In petto, je songe que j’ai été une véritable crème d’andouille. J’ai négligé de fouiller le zig, faisant confiance à son air abattu. Et maintenant, s’il en a envie, il peut me coller dans la brioche autant de pralines qu’en contient son magasin.

D’un petit geste bref du canon, il me fait signe de lever les pognes. J’obéis. Croyez-moi, cet aimable farceur a sous ses paupières à demi-baissées une étrange lueur qui ne trompe pas un homme averti.

— Je vous parie une éclipse de lune contre la ligne bleue des Vosges qu’il serait fort capable de me flinguer en tout bien tout honneur.

Je hisse mes ustensiles à faire mouvoir les marionnettes à la hauteur de mes épaules.

— Mince de carte de visite ! apprécié-je. Sur simple présentation de ces papiers-là, on a droit à une place assise dans le métro, même les mutilés se flanquent au garde-à-vous…

Jusque-là, je tiens à vous le faire observer, je n’ai pas oui le son de sa voix. Il est peut-être muet, le chouraveur de Smelflex ?

Ou alors, il a un fusible qui a pété dans sa menteuse ?

Le voilà qui me fait signe à nouveau. Il a l’éloquence du geste, mon petit camarade. De façon on ne peut plus explicite, il m’enjoint de faire face au mur.

J’hésite, tiraillé entre ma dignité et mon trouillomètre qui flotte dans des régions minima, mais la dignité n’a jamais permis à un homme de devenir centenaire. Voyant le doigt du type se crisper sur la gâchette, je me décide à me coller au piquet. Mon naze est à quatre centimètres du papier de la tapisserie. Deux mouches en délire sont en train d’y faire ce que faisaient naguère les Bérurier Partners à l’hôtel Mes Délices. Elles ne se gaffent pas du critique de ma situation. Leur accouplement est intense. Je n’assiste pas à la fin du zizi-panpan car, brusquement, je déguste à la base du crâne une de ces infusions de matraque qui donnerait le goût de l’astrologie à un ver de terre.

Le mur se met à danser le rock and roll et je prends un billet de parterre.

Je ne perds pas conscience, pourtant, pendant un laps de temps que je ne suis pas en mesure d’évaluer, la réalité part en vacances au pays de l’abstrait. Un turboréacteur sauce mayonnaise mugit dans mes manettes… Je perçois vaguement un bruit de fenêtre ouverte et j’essaie de me mettre à quatre pattes… Au début, mon crâne en plomb m’entraîne en avant, pourtant j’arrive à me mettre droit.

L’homme au chapeau noir n’est plus là… Je me dirige vers la croisée à pas prudents. Elle donne sur une ruelle déserte… Bon, le zig s’est emmené promener sans attendre mon réveil.

Inutile de galoper… Je porte deux doigts prudents à ma nuque et j’ai envie de dire : « Excusez-moi, monsieur », car la protubérance que je caresse ne peut m’appartenir… Parole, ma tronche a doublé de volume ! J’agrandis mon stade en vue du match Toulouse-Lautrec !

La porte s’entrouvre et le visage d’un archer paraît. Il me contemple, réalise que je suis seul, aperçoit la bosse qui agrémente mon cirque d’hiver et extériorise son impression dominante de la façon la plus saisissante qui soit, la plus concise, la plus ramassée :

— Merde !

Et de se mettre à meugler comme un bœuf qui a sa crise de nerfs (de bœuf).

Les aminches du patelin se foutent carrément de moi lorsqu’ils apprennent mon aventure. Je dois reconnaître que pour un champion toutes catégories de la police, j’ai bonne mine. Il n’y a pas grande différence entre moi (dit mézigue) et deux kilos d’andouille pliés dans de la toile émeri.

Furieux comme un producteur de cinéma qui vient de signer par mégarde un chèque approvisionné, je quitte le commissariat.

C’est alors, et alors seulement, que je repense à Bérurier. Le Gravos doit renauder sauvagement. Peut-être qu’il s’est filé une toise avec le marchand de tripes ! Il est temps que j’aille payer son orgie…

Je regagne le restau en mâchouillant des insultes à l’endroit (et même à l’envers) de mon agresseur. Son coup de crosse m’a ouvert une perspective intéressante, non seulement sur la Voie lactée, mais aussi sur l’affaire scabreuse du mort photographié.

Les rues titubent un peu autour de moi, comme si elles étaient chlasses, mais je feins de ne pas m’en apercevoir pour ne pas les humilier.

Je pénètre dans le restaurant et j’avise le Gros affalé devant un verre de fine.

— T’en as mis du temps ! soupire-t-il. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Un escogriffe chouravait l’appareil photo.

— Pas possible !

— Si. Je l’ai embarqué à la maison Parapluie d’ici, mais figure-toi qu’au moment de l’interroger il m’a offert un voyage interplanétaire…

Je découvre ma bosse à mon pote. Il siffle d’admiration.

— Je n’ai jamais vu une aubergine pareille, assure-t-il. Fais-la photographier avant qu’elle désenfle, ça intéressera le musée de l’Homme !

Je hausse les épaules et sors mon crapaud pour casquer le gargotier.

Béru a un geste noble.

— Inutile !

— Tu as retrouvé ton pognozoff ?

— Non, j’ai gagné mon écot au 421. Le taulier est un minable à ce jeu, il ne sait pas tricher…

Là-dessus, nous quittons l’établissement.

— Tu peux conduire malgré ta bosse ? demande mon valeureux camarade de combat.