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— Merveilleusement, lui dis-je, l’aérodynamisme est un des principaux facteurs de la vitesse.

CHAPITRE IV

Le petit écureuil… et le vieux gland

Retour sans encombre à Paris (Seine).

J’éjecte Bérurier devant sa lourde. Il fronce le sourcil en voyant le coiffeur du coin sortir de son immeuble. Les merlans sont bouclés le lundi et celui-ci, au lieu d’aller pêcher au pont de Suresnes, vient pécher avec Mme Bérurier. Le Gros est au courant, comme on dit à l’EDF. Il ronge son frein et ferme les yeux : l’infortune vient en dormant !

Je le vois rentrer un peu sa grosse tronche dans les épaules et saluer le pommadin d’un geste aimable.

Après tout, il vaut mieux que Mme Bérurier joue avec l’honneur de son mari plutôt qu’avec les rasoirs du coiffeur, comme ça elle ne craint pas de se couper.

J’embraye et regagne mon domicile. Félicie, ma brave femme de mère, m’attend en changeant le col d’une de mes chemises. Elle fabrique des cols et des manchettes dans les pans de ladite limace, si bien qu’après ce rodage de soupapes, la chemise m’arrive dix centimètres au-dessus du nombril.

— Salut, M’man, ça va…

Nous échangeons un baiser furtif mais solide. Le front de ma Félicie sent le cheveu gris et le savon de Marseille.

— Il y a un pigeon dans le Frigidaire, c’est le voisin d’à côté qui me l’a donné, je vais te le faire cuire…

Elle s’active.

Je pose mes lattes, ma veste et je me carre dans un fauteuil à bascule.

Le beurre crépite dans une cocotte… La radio joue en sourdine une valse anglaise triste comme un dimanche londonien… Je suis bien. J’aime notre pavillon, sa douceur, le trottinement de Félicie, l’odeur de terre mouillée du jardinet… J’aime nos meubles rococo, les perles de l’abat-jour, le chemin de table. La vie s’arrête à notre grille. Lorsque j’ai franchi celle-ci, je me trouve dans un univers suave, sucré, tiède…

La voix de M’man s’élève, tendre et préoccupée :

— Je t’ouvre une petite bouteille de bordeaux ?

— Eh, dis donc, M’man, c’est gala aujourd’hui ?

— Puisqu’il y a un pigeonneau…

— En quel honneur il t’a donné ça, le gâteaux d’à côté ?

— Ne crie pas si fort, Antoine, la voix porte !

— Il ne te ferait pas la cour, au moins ?

J’aime la faire rougir. Elle marche à tous les coups.

— Oh ! Antoine…

La voici qui revient, le ventre ceint d’un tablier blanc.

On entend toujours le floflottement du beurre et tout l’appartement renifle le pigeon en train de mijoter.

— Écoute un peu, M’man…

Elle sait que, dans mes instants de graves préoccupations, je lui narre mes tracas… Elle sait aussi que j’agis ainsi plus pour me permettre de penser tout haut que pour solliciter son avis. Elle s’assied.

— Alors ?

Je lui déballe le paquet, minutieusement. Lorsque j’ai terminé, elle se précipite sur ma bosse. Mais l’aubergine s’est dégonflée, ce qui calme instantanément ses angoisses.

— Bon, que penses-tu de ça, M’man ?

Elle essuie ses mains propres à son tablier.

— Je ne sais pas, avoue-t-elle. Et toi ?

— Moi non plus, je ne sais pas… Tout est tellement filandreux là-dedans. Lorsqu’on photographie un homme assassiné, on doit certainement se préoccuper de la pellicule, hein ?

— Il me semble…

— Pourtant un brocanteur a acheté l’appareil contenant cette image compromettante… Admettons… Il y a toujours une explication à tout. Mettons aussi que le type ayant tiré les photos du mort ait voulu récupérer l’appareil…

Je me tais. Ma pensée, à cette phase de l’histoire, est ténue comme une toile d’araignée. Un courant d’air la déchirerait… Félicie respecte mon silence. Elle voudrait bien aller retourner le pigeon, mais elle n’ose pas rompre le charme.

Je soupire…

— C’est ça, au fond, le plus inouï de l’affaire : ce type qui, à Caen, a tenté de reprendre l’appareil photographique… Comment a-t-il pu remonter la filière jusqu’à cet instant, hein ? Cela sous-entend qu’il avait retrouvé la trace de Bérurier… Qu’il avait su que le Gros avait offert l’engin à son neveu, qu’il avait suivi le couple… Oh non, je te jure que j’y perds mon latin, M’man…

Félicie va secouer la casserole dans la cuisine. Moi, je suis emberlificoté dans mon raisonnement comme un jeune chaton dans un écheveau de laine.

Réapparition de Félicie.

Elle est satisfaite, probable que le pigeon du voisin prend bonne mine.

— L’homme qui t’a assommé était peut-être un simple voleur de voiture, un… un… comment appelles-tu ces gens-là, déjà ?

— Des roulottiers, M’man.

— Oui. C’en était peut-être un, tu ne crois pas ?

— On ne menace pas un flic d’un pétard, on ne l’assomme pas pour une inculpation aussi vénielle, objecté-je.

— Il avait peut-être d’autres choses plus sérieuses à se reprocher ?

— C’est possible…

Je chausse mes pantoufles et je vais à mon garage récupérer l’appareil.

Je le pose sur la table et le sors de son étui pour l’examiner attentivement. C’est du truc à dix sacs, neuf, étui compris. Il n’a absolument rien de particulier, pas même un numéro de série. Rien de plus banal, de plus anonyme… Rien qui fasse davantage congés payés que ce 6 × 9 noir à boutons chromés.

Après l’avoir tourné dans mes paluches pendant la cuisson du pigeonneau, je suis d’accord avec Félicie : le type de Caen ne pouvait être qu’un roulottier. Je n’avais pas fermé la lourde de ma guinde et il a voulu sucrer le truc posé bien en vue sur la banquette. Au commissariat, il s’est donné peur. Sans doute a-t-il un pedigree déplorable ?

Bon, cette seconde question est classée. Je donnerai un coup d’œil aux Sommiers, demain, histoire de vérifier si mon agresseur y figure. En attendant, monsieur le poulet va se taper le pigeon. Et le plus pigeon de nous deux, croyez-moi, c’est le poulet !

Il n’est pas sept heures du mat lorsque je joue Parlez-moi d’amour sur la sonnette de Bérurier. En le quittant, je lui ai annoncé que je viendrais le tirer des bras de l’orfèvre et je tiens ma promesse.

Il vient m’ouvrir, tout gluant d’un sommeil réparateur. Il s’est glissé dans un pyjama à rayures qui le fait ressembler à un vieux zèbre malade.

— Tu joues Prison sans barreaux, mec ? lui demandé-je avec entrain. Je tapote son ventre épanoui dans le pyjama.

— Tu devrais faire vérifier le gonflage, un éclatement est si vite arrivé !

Il se marre et ouvre la veste du vêtement de nuit. Je découvre alors une poitrine velue comme une marchande de poissons napolitaine. Il se gratte lentement, ce qui fait pleuvoir des miettes de pain sur le tapis élimé.

— C’est une manie que j’ai prise de bouffer au lit, m’explique-t-il. Alors ça démange, s’pas ?

Tout en m’initiant à sa vie privée, il fait sa toilette sur l’évier de la cuisine. Ses ablutions sont toujours extrêmement sommaires. Il se rase, se donne un coup de peigne et frotte ses battoirs sur un linge humide qu’il ne se donne même pas la peine de décrocher. Ensuite de quoi il amène au milieu de la pièce une chose immense et flasque percée de deux trous. Il pose un pied dans chacun des orifices, puis remonte la chose qui s’avère être un pantalon.

Il se débarrasse de sa veste de pyjama, la remplace par une chemise dont il oublie de rentrer le pan arrière dans le futal et enfile par-dessus sa hure une espèce de nœud coulant qu’il serre sur son col et baptise cravate.