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Nour écouta le long appel en frissonnant. Chaque homme et chaque femme sur la place était immobile, le regard comme tourné vers l’intérieur du corps.

Déjà, à l’ouest, au-dessus des rochers cassés de la Hamada, le soleil avait fait une large tache rouge. Les ombres s’étaient allongées démesurément sur le sol, puis s’étaient unies les unes aux autres, comme l’eau qui monte.

« Gloire à Dieu, au Dieu vivant, au Dieu qui ne meurt jamais, gloire à Dieu qui n’a pas de père ni d’enfant, qui n’a pas de soutien, qui est seul et de lui-même, gloire à Dieu qui nous dirige, car les Envoyés de Dieu sont venus apporter la vérité… »

La voix de Ma el Aïnine tremblait à la fin de chaque invocation, à bout de souffle, ténue comme une flamme, et pourtant chaque syllabe longue, détachée et pure, éclatant au centre du silence.

« Gloire à Dieu qui est le seul donateur, le seul maître, celui qui sait, qui voit, celui qui comprend et qui commande, gloire à celui qui donne le bien et le mal, car sa parole est le seul refuge, car sa volonté est le seul désir, contre le mal que font les hommes, contre la mort, contre la maladie, contre le malheur qui ont été créés avec le monde… »

La nuit emplissait lentement, d’abord la terre et les creux de sable, au pied des murs de boue, devant les hommes immobiles, sous les toiles de tentes, dans les trous où dormaient les chiens, dans la profondeur glauque de l’eau du puits.

« C’est le nom de celui qui protège, le nom de celui qui vient à moi et me donne la force, car son nom est le plus grand, son nom est tel que je n’ai rien à craindre de mes ennemis, et je prononce son nom à l’intérieur de moi-même quand je vais au combat, car son nom est le nom qui règne sur la terre et dans le ciel… »

Dans le ciel, où la lumière du soleil fuyait vers l’ouest, tandis que le froid sortait des profondeurs de la terre, montait à travers le sable dur et pénétrait les jambes des hommes.

« Gloire au Dieu immense, il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu le haut, Dieu l’immense, Dieu le haut, Dieu l’immense, celui qui n’est pas de la terre ni du ciel, celui qui vit au-delà de mon regard, au-delà de mon savoir, celui qui me connaît mais que je ne peux pas connaître, Dieu le haut, Dieu l’immense… »

La voix de Ma el Aïnine résonnait loin dans le désert, comme si elle allait jusqu’aux confins de la terre désolée, loin au-delà des dunes et des failles, au-delà des plateaux nus et des vallées desséchées, comme si elle arrivait déjà jusqu’aux terres nouvelles, de l’autre côté des montagnes du Draa, sur les champs de blé et de mil où les hommes trouveraient enfin leur nourriture.

« Dieu le puissant, Dieu le parfait, car il n’y a d’autre divinité que Dieu, le sage doué de puissance, le haut doué de bonté, le proche doué de savoir, le donateur infini, le seul généreux, le favorable, celui qui commande aux armées du ciel et de la terre, le parfait, le tendre… »

Mais la voix faible et lointaine touchait chaque homme, chaque femme, comme à l’intérieur de leur corps, et c’était aussi comme si elle sortait de leur gorge, comme si elle se mêlait à leurs pensées et à leurs paroles pour faire sa musique.

« Gloire, louange à l’éternel, gloire, louange à celui qui ne s’anéantit pas, à celui dont l’existence est suprême, car il est celui qui entend et qui sait… »

L’air entrait dans la poitrine de Ma el Aïnine, puis il expirait avec force, presque sans bouger les lèvres, les yeux fermés, le haut du corps se balançant comme le fût d’un arbre.

« Notre Dieu, le maître, notre Dieu, le meilleur, notre Dieu, lumière de la lumière, astre de la nuit, ombre de l’ombre, notre Dieu, la vérité seule, la parole seule, gloire et louange à celui qui combat dans notre combat, gloire et louange à celui dont le nom renverse nos ennemis, le maître de la terre de Dieu… »

Alors, sans même s’en apercevoir, les hommes et les femmes prononcent les paroles du dzikr, c’est leur voix qui s’élève chaque fois que la voix du vieil homme cesse en tremblant.

« Il est grand, le puissant, le parfait, celui qui est notre maître et notre Dieu, celui dont le nom est écrit dans notre chair, le vénéré, le sanctifié, le révélé, celui qui n’a pas de maître, celui qui a dit : j’étais un trésor caché, j’ai voulu être connu, et pour cela j’ai créé les créatures… »

« Il est grand, il n’a pas d’égal, ni de rival, celui qui est antérieur à toute existence, celui qui a créé l’existence, celui qui dure, qui possède, celui qui voit, qui entend et qui sait, celui qui est parfait, celui qui est sans égal… »

« Il est grand, il est beau dans le cœur des hommes qui lui sont fidèles, il est pur dans le cœur de celui qui l’a reconnu, il est sans égal dans l’âme de celui qui l’a atteint, il est notre maître, le meilleur des maîtres… »

« Il n’a pas d’égal, ni de rival, il est celui qui vit au sommet de la plus haute montagne, celui qui est dans le sable du désert, celui qui est dans la mer, dans le ciel, dans l’eau, celui qui est la voie, il est celui de la nuit et des étoiles… »

Alors, sans même s’en apercevoir, les musiciens se sont mis à jouer, et leur musique légère parlait avec la voix de Ma el Aïnine, en marmottant avec les notes aigres et sourdes des mandolines, avec la rumeur des petits tambours, puis, rompant tout à coup comme le cri des oiseaux, avec la mélodie pure des flûtes de roseau.

La voix du vieil homme et la musique des chalumeaux se répondaient maintenant, comme si elles disaient la même chose, au-dessus de la voix des hommes et des bruits sourds des pas sur la terre durcie.

« Il n’a pas d’égal, ni de rival, car il est le puissant, celui qui n’a pas été créé, la lumière qui a donné vie aux chandelles, le feu qui a allumé les autres feux, le premier soleil, la première étoile de la nuit, celui qui naît avant toute naissance, celui qui donne le jour et donne la mort à toute la vie terrestre, celui qui fait et défait la forme des créatures… »

Alors la foule dansait, et criait avec un bruit de déchirement :

« Houwa ! Lui ! »

en secouant la tête et en levant les paumes des mains vers le ciel noir.

« Il est celui qui a porté la vérité à tous les saints, celui qui a béni le Seigneur Mohammed, celui qui a donné le pouvoir et la parole à notre Seigneur le prophète, l’envoyé de Dieu sur la terre… »

« Ah ! Lui ! »

« Gloire à Dieu, louange à Dieu, l’immense, le parfait, le cœur du secret, celui qui est écrit dans le cœur, le haut, l’immense… »

« Houwa ! Lui ! »

« Gloire à Dieu car nous sommes ses créatures, nous sommes pauvres, nous sommes ignorants, nous sommes aveugles, sourds, nous sommes imparfaits… »

« Ah ! Houwa ! »

« Ô celui qui sait, donne-nous la vérité ! Ô toi, le doux, le tendre, le patient, le généreux, toi qui n’as eu besoin de personne pour exister !

« Ah ! Houwa ! »

« Gloire à Dieu qui est le roi, le saint, le puissant, le victorieux, le glorieux, celui qui existe avant toute vie, le divin, l’immense, le seul, le victorieux de tous tes ennemis, celui qui sait, qui voit, qui entend, le divin, le savant, l’immense, le témoin, le créateur, seul, immense, voyant, entendant, le beau, le généreux, le fort, le parfait, le haut, l’immense… »

La voix de Ma el Aïnine criait maintenant. Puis d’un seul coup elle s’est interrompue, comme le chant d’un criquet dans la nuit. Alors la rumeur des voix et des tambours s’est arrêtée elle aussi, la musique des guitares et des flûtes a cessé, et il n’y a plus eu, à nouveau, que le long et terrible silence qui serrait les tempes et faisait palpiter le cœur. Les yeux pleins de larmes, Nour regardait le vieil homme penché vers la terre, les mains couvrant son visage, et il sentit au fond de lui-même, rapide comme une lame, l’extrémité inconnue de l’angoisse. Alors Larhdaf, le troisième fils de Ma el Aïnine, se mit à chanter à son tour. Sa voix forte éclata sur la place, non plus avec la netteté pure de celle de Ma el Aïnine, mais pareille à un son de colère, et aussitôt les musiciens recommencèrent à jouer.